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mardi 31 mai 2022

Huis clos, Jean-Paul Sartre scène 5 (début de la scène)

 Huis clos, Jean-Paul Sartre, 1944

Scène 5


(de Garcin « Allons, pourquoi sommes-nous ensemble ? »

à Inès « Le bourreau, c’est chacun de nous pour les deux autres. »)

Voir le texte ICI

 

Coupables ou non coupables ?

Ou la comédie des faux aveux en déni de l’enfer

 

Voici deux commentaires de cette scène par deux élèves

Premier commentaire

Philosophe fondateur de revues, auteur d’essais, de récits et de pièces de théâtre, Jean-Paul Sartre s’engage dans les combats de son époque de la Seconde Guerre mondiale à la Guerre Froide. Il invente l’Existentialisme qui pose la question du sens de l’existence et de l’engagement. Sa pensée est exposée dans ses romans, La Nausée (1938) ou des pièces de théâtre, Les Mouches en 1943 et Huis clos un an plus tard. Dans cette pièce trois personnages sont condamnés à être ensemble pour l’éternité. Dans l’extrait de la scène 5 que nous étudierons, les trois personnages cherchent à se disculper en faisant des faux aveux. Tout commence lorsqu’ils se mettent à chercher la raison pour laquelle ils sont réunis et s’achève uniquement lorsqu’ils l’ont assimilée. Nous verrons comment le trio se retrouve piégé par la situation malgré les jeux de comédie qu’ils mettent en place. Tout d’abord, nous étudierons la comédie des faux aveux puis comment leur culpabilité éclate.

 

       I.            La comédie des faux aveux en déni de l’enfer

 

A. Un jeu de comédie

 

·          Face à l’interrogatoire d’Inès qui cherche à savoir pourquoi Estelle et Garcin sont en enfer, Estelle préfère nier les faits en répétant « je n’en sais absolument rien » et en s’exclamant « je ne sais pas du tout ! ».

·         Chacun d’eux joue à l’innocent. On peut l’observer par les pronoms interrogatifs « Quoi », mais aussi par le champ lexical de la stupéfaction « brusquement », « étonnée », « vivement » dans les didascalies.

·         Inès justifie la situation par un manque de « courage », mais ce n’est pas pour autant qu’elle avoue ce qu’elle a fait pour arriver en enfer.

 

B. La petite sainte et le héros sans reproche

 

·         Est-ce une simple erreur ? En tout cas c’est ce qu’Estelle préfère prétendre face à la situation « Est-ce qu’il ne vaut pas mieux croire que nous sommes là par erreur ? ». Elle raconte sa vie de manière dramatique : une femme qui était orpheline et pauvre et qui a dû faire des sacrifices. Afin de se disculper, elle emploie des questions oratoires : « Croyez-vous que ce soit une faute ? »

·          De même Garcin se fait passer pour un héros sans reproche qui a été fusillé, selon lui, pour avoir vécu « selon ses principes ». Il cherche, lui aussi, à se déculpabiliser par des questions oratoires « Où est la faute ? »

·         Inès ne dit toujours rien quant à la raison pour laquelle elle se trouve en enfer.

 

Ainsi les trois personnages cherchent-ils à se disculper et jouent-ils une comédie mensongère dont les autres ne sont pas dupes. Cependant, cela ne suffit pas en enfer.

 

    II.            Tous coupables !

 

A.    Se faire trahir par l’expression de ses sentiments

 

·          La part de culpabilité du trio se dessine par leur expression. En effet,  lorsque Estelle cherche à prouver son innocence, Inès et  Garcin se mettent à sourire : « Ne souriez pas » leur dit-elle.

·         Inès se montre ironique face à la situation. Ainsi nomme-t-elle Garcin « un Héros » alors qu’elle sait qu’il est un lâche. Elle utilise une antiphrase ironique.

·        L’échange entre les trois personnages est de plus en plus violent, en particulier à l’égard d’Inès. Estelle se comporte « avec insolence » et Garcin  se fait menaçant « la main levée ».

 

B.     L’enfer psychologique, un enfer redoutable

 

·         Inès est la plus lucide.  Elle sait et ne détourne pas la réalité. Elle utilise des exclamations et des répétitions afin de souligner qu’ils sont « entre assassins » et « en enfer » : « En enfer ! », « Damnés ! Damnés ! » et qu’il faut à présent « payer ». Elle se délecte à l’annoncer aux autres.

·          Elle est donc la première à avoir compris le principe de l’enfer : « Il n’y a pas de torture physique » et chacun d’entre eux est le bourreau pour les deux autres. Face à la réalité, Garcin et Estelle demandent à Inès de se taire « Taisez-vous », « Voulez-vous vous taire ! », « Est-ce que vous vous tairez ? ». Ce déni est bien inutile ...

·        Sartre donne une représentation de l’enfer qui déjoue les mythes religieux avec un enfer psychologique où « le bourreau c’est chacun de nous pour les deux autres ».

       Le trio refuse sa situation d’où les jeux de comédie que deux d’entre eux mettent en place. Dans un premier temps, les trois personnages cherchent à se disculper par le refus de la vérité et de la responsabilité, par le mensonge ou par le jeu de séduction ou de pouvoir, afin d’aveugler l’autre ou de se l’approprier. Cependant, cela ne suffit pas car ils savent qu’ils sont réunis en tant qu’assassins. Ainsi Sartre met-il en place un enfer psychologique (et non religieux) où doivent se confronter les personnages pour l’éternité. Il développe davantage sa théorie dans ses autres œuvres comme L’Existentialisme est un humanisme. Selon lui, « l’existence précède l’essence » donc « on est ce que l’on fait de sa vie ». Si on ne veut pas que l’enfer ce soit les autres, car on n’existe que par leur regard, il faut bien user de sa liberté pendant sa vie (« l’homme est condamné  à être libre »), être responsable de ses actes librement choisis, avoir du courage et être solidaire du genre humain, sinon l’Enfer pour toujours.

 Leïla (classe de 1S5, mai 2012)

 

 

Deuxième commentaire

 Huis clos de Jean-Paul Sartre (scène 5)

             Jean-Paul Sartre est un des fondateurs de l’Existentialisme en France. Il a importé ce mouvement allemand où seuls les actes sont pris en compte et non pas les intentions. C’est ainsi que dans la pièce de théâtre Huis clos écrite en 1944, Sartre montre que l’homme doit prendre conscience de la notion de liberté ainsi que de la responsabilité de chacun. En effet, Huis clos présente l’enfer sartrien qui consiste à vivre sous le regard  des autres. Par conséquent dans la scène 5, les trois protagonistes, Garcin, Inès et Estelle, sont réunis dans une pièce dans laquelle ils vont devoir « vivre ». On pourra se demander comment ils vont essayer de se cacher leur culpabilité pour s’inventer des vies vertueuses. Nous étudierons d’abord la comédie des faux aveux dans un interrogatoire mené par Inès puis le début de leur descente en enfer.

       I.            Les faux aveux

 

1)      L’interrogatoire

 

·         Dès le début de l’extrait Inès, qui prend le rôle de procureur d’un procès, commence l’interrogatoire de Garcin et d’Estelle. Elle pose donc des questions brutes pour connaître les actes que ces deux personnages ont commis pour être arrivés en enfer. Par exemple, elle demande : « Qu’avez-vous fait ? Pourquoi vous ont-ils envoyés ici ? »

·         Suite à ces questions, Estelle va nier en prétendant : « Mais je ne sais pas, je ne sais pas du tout ». Elle suppose qu’elle s’est retrouvée ici seulement à cause d’une « erreur » provoquée par « des employés sans instruction ».

·         Devant ces questions embarrassantes, Estelle et Garcin se sentent mal à l’aise d’où la répétition de « ne souriez pas ». Ils vont donc choisir la facilité en racontant leur histoire de manière à les rendre innocents.

  

2)      Une comédie mensongère

 

·         Estelle et Garcin vont raconter des faux récits pour se présenter comme de simples innocents.

Lors de son histoire, Estelle utilise un registre pathétique pour inspirer la pitié et ainsi se montrer comme étant une victime. Celle-ci emploie donc un vocabulaire qui permet de tourner son récit en drame comme « orpheline », « pauvre », « sacrifier ».

·         Estelle veut expliquer son innocence en montrant ses sacrifices faits pour son frère malade ainsi que sa « jeunesse [donnée] à un vieillard ». De plus, cette jeune femme veut être déculpabilisée d’où les nombreuses questions oratoires : « Qu’auriez-vous fait à ma place ? ».

·         Quant à Garcin, il prétend être mort pour avoir vécu selon ses principes. Lui aussi utilise des questions oratoires telles que « Que faire ? » et « Où est la faute ? ».

·         Suite à ces faux récits, Inès use d’ironie en les appelant « Un Héros » et « la petite sainte ».

 

Lors de cet interrogatoire agressif d’Inès, les accusés vont se présenter de manière valorisante dans leurs récits. Ils refusent donc d’accepter la vérité. C’est ainsi que va commencer la sensation d’enfer entre ces personnages.  

   

    II.            Le début de l’enfer

 

1)      Des rapports de force se dessinent

 

·         Estelle et Garcin se sentant persécutés par les nombreuses questions d’Inès vont s’entraider face à celle-ci. En effet, ils recourent à une solidarité en approuvant ce que chacun d’eux raconte. Cependant cette solidarité ne va pas se prolonger étant donné qu’elle s’appuie sur des mensonges, même si Estelle feint d’absoudre Garcin en disant : «  Il n’y a pas de faute ».

·         C’est pourquoi Garcin et Estelle se liguent contre Inès en lui ordonnant de se taire. Estelle ordonne à plusieurs reprises : « taisez-vous » et Garcin appuie : « est-ce que vous vous tairez ». Nous pouvons donc voir que des tensions commencent à se créer.

·         Les échanges entre les protagonistes deviennent rudes, marqués par une ponctuation forte dans les apostrophes d’Inès : « Damnés !», « En enfer !».

 

2)      La vérité de l’enfer dévoilée

 

·         C’est Inès qui est la première à comprendre la vérité sur l’enfer. Elle va donc en informer ses deux camarades avec cynisme. Elle  affirme que l’enfer : « c’est chacun d’eux pour les deux autres ».

·        Elle explique ce principe en comparant l’enfer à un hôtel « en self service », d’où l’emploi du vocabulaire de l’hôtellerie en rapport avec le lieu singulier où ils se trouvent réunis : « une économie de personnel », « clients », « services ». Cette image est évidemment ironique et réduit l’enfer traditionnel à une réalité prosaïque.

·         La révélation se fait donc par Inès qui leur apprend aussi qu’ils sont tous des « assassins ». Elle explique qu’ici « ils [la direction de l’hôtel] ont réalisé une économie » puisque ce sont les clients qui occupent alternativement la fonction de bourreaux pour les autres.

  

Ainsi Sartre nous présente-t-il un interrogatoire conduit par Inès dans lequel elle souhaite faire dire aux deux autres la vérité puisqu’elle a déjà admis qu’elle-même était damnée et méchante. Mais tout cela entraîne une montée de violence entre les personnages. C’est Inès qui amorce la philosophie de Sartre en prétendant que l’enfer c’est les autres car on n’existe que par leurs jugements. Selon l’auteur, il faut être responsable de ses actes car « l’existence précède l’essence » donc « on est ce que l’on fait » et mentir ne sert à rien : on ne peut rien cacher en enfer ! De plus, nous devons user courageusement de la liberté dont on dispose vivant, puisque « l’homme est condamné à être libre ». Ainsi les principes existentialistes essentiels sont d’avoir du courage, d’être responsable de ses actes et d’être solidaire du genre humain. Cette pièce sera reprise au cinéma en 1954 par Jacqueline Audry avec néanmoins quelques différences. Mais dans les deux versions les rapports de force et la philosophie sartrienne sont bien présents.

 

Pauline (classe de 1S5, mai 2012)

Voir le commentaire de la fin de la scène ICI