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samedi 28 janvier 2023

Dissertation sur la représentation du pouvoir au théâtre

 

Dissertation corrigée EAF sur la représentation du pouvoir

Voir sujet ICI

Sujet Comment le théâtre permet-il une représentation du pouvoir et dans quel but ?



« Un cheval ! Un cheval ! Mon royaume pour un cheval ! » Dans la tragédie Richard III qu’il écrit en 1592, William Shakespeare (1564-1616) prête à Richard III, le roi bossu, la volonté d’avoir voulu échanger son royaume pour un cheval afin de prendre la fuite, lors de la bataille de Bosworth où il fut tué. C'est dire que, devant le danger de perdre la vie et le pouvoir, un roi comprend enfin où sont ses priorités ! Mais, tant qu'il est en vie et tout puissant, un homme de pouvoir, quelle que soit la nature de son autorité, ne s'en préoccupe pas, ou seulement après en avoir épuisé l'ivresse. Le théâtre est un des moyens frappants de représenter le pouvoir et parfois de manière détournée pour échapper à la censure quand elle est, elle aussi, un pouvoir répressif. Nous nous demanderons comment le théâtre permet une représentation du pouvoir et nous nous interrogerons sur les buts poursuivis. Mais au préalable, il est nécessaire de définir les formes de pouvoir et d'examiner leur validité.

 


               

Quand on dit pouvoir, on pense en priorité au pouvoir politique, et nombreuses sont les pièces de théâtre, de l'Antiquité à aujourd'hui, qui mettent en scène des rois, des empereurs ou des dictateurs. Pourtant le pouvoir s'exerce partout ailleurs dans les institutions, comme l'Eglise, l'Armée, l'Ecole, la Justice, l'Entreprise et même la Famille !

                Ce pouvoir quand il est accepté par tous, car confié par délégation ou détenu par un individu intègre, est légitime et ne donne lieu à aucune contestation. Ainsi le roi du Cid de Corneille joue-t-il les arbitres bienveillants dans la querelle de cœur et d'honneur qui oppose Chimène à Rodrigue et recueille-t-il la considération de ses sujets. De même, le roi qui est cité dans Tartuffe de Molière fait preuve d'indulgence envers Orgon  malgré la complicité de ce dernier avec un frondeur et le souverain contribue à démasquer le cupide et hypocrite Tartuffe. « Je veux me faire craindre et ne fais qu'irriter » constate Auguste dans Cinna de Corneille et, renonçant à sa cruauté et à sa tyrannie, il finit par pardonner aux conjurés qui voulaient l'assassiner et fait preuve d'une clémence qu'on pressent durable désormais.

                Les figures de l'autorité parentale juste, du bon maître d'école, de l'homme de loi intègre et même du militaire méritant sont également représentées. Pensons à Jeanne d'Arc dans L'Alouette d'Anouilh, au Cid de Corneille pour les personnages de guerre, à Topaze de Pagnol en instituteur méritant et naïf qui deviendra homme d'affaire avisé dans un monde corrompu,  au père sévère mais sensible de Diderot dans Le père de famille ou à Don Luis le père bafoué de Dom Juan. Si les exemples abondent, on remarque toutefois que ces détenteurs de l'autorité juste sont très rarement de grandes figures. C'est sans doute que, lorsque les rôles sont bien remplis, ils ne donnent pas lieu à une histoire passionnante ou alors on nous montre ces personnages en lutte pour rétablir ou justifier leur légitimité. Mais montrer l'exercice d'un pouvoir juste n'offre pas un grand intérêt dramatique. Et si l'éloge du pouvoir politique est trop poussé, alors c'est soit une pièce de commande ou de complaisance intéressée de la part de l'auteur, soit une pièce de propagande destinée à endoctriner. Tous les régimes tyranniques ont eu leurs zélateurs. C'est bien pourquoi le théâtre représente, plus volontiers et avec plus de bonheur, les manifestations du pouvoir injuste.

 

                

 La sixième tapisserie de la série des cinq sens de La dame à la licorne (musée de Cluny)

 

C'est donc du pouvoir abusif que nous parlerons. Qu'il soit politique comme c'est souvent le cas, ou d'une autre nature, ce qui est montré au théâtre ce sont ses manifestations les plus injustes, cruelles, stupides, perverses et, pour cela, les dramaturges ont à leur disposition toutes sortes de moyens et toute une série de types de despotes.

                Caligula dans la pièce de Camus se montre cynique et pervers, forçant Lépidus dont il vient de tuer le fils à répéter qu'il n'est pas de mauvaise humeur, « au contraire » ! Il fait preuve de cruauté morale autant qu'il se livre à  des exactions physiques. Il règne par la terreur que répand sa folie. Ubu, de Jarry, est aussi un tyran déséquilibré et grotesque. Aux mauvaises manières partagées avec Caligula, il ajoute la grossièreté dans le langage, ponctuant son discours de « cornegidouille » ou autre « merdre ». C'est un roi fantoche mais tout aussi redoutable, ne réfrénant pas ses plus bas instincts, à commencer par une cupidité féroce. Si Egisthe dans les Mouches de Sartre paraît plus pondéré, ce n'est qu'une illusion car il s'en prend à sa propre famille, méprisant son épouse, sa complice dans le meurtre, et punissant sa belle-fille Electre. Le roi mourant de Ionesco, s'il est dépossédé de son pouvoir et par là-même pitoyable, n'en demeure pas moins inquiétant dans sa mégalomanie et son autoritarisme absurde.

               

Les dramaturges ont donc à leur disposition toute une série de moyens pour représenter les tyrans  que ce soient les genres théâtraux, les registres et les variétés de mise en scène. Dans la tragédie, le genre noble s'il en est, le roi ou la reine se doivent d'être grands jusque dans le crime et la démesure. Ainsi Cléopâtre dans Rodogune de Corneille n'hésite-t-elle pas à envisager le meurtre de ses deux fils pour conserver le pouvoir mais elle le fait dans un monologue en alexandrins, dans un style irréprochable et avec une maîtrise de soi qui terrifie mais qui a du panache, c'est un monstre qui a de l'allure ! En revanche, Molière dans ses comédies tourne en dérision bien des détenteurs abusifs de pouvoir, ainsi  Arnolphe, le barbon qui veut épouser de force un tendron, est-il ridiculisé par Agnès elle-même dans L'école des femmes. Même Dom Juan, le « grand seigneur, méchant homme » et beau parleur, est décontenancé devant la rectitude morale du pauvre et ne conserve la face qu'en lui jetant en aumône un louis d'or. Dans ses comédies de mœurs, Marivaux inverse les rôles de maîtres et valets pour bien montrer la possible réversibilité des situations nées des hasards de la naissance. Beaumarchais, à la veille de la Révolution, ira plus loin avec son Figaro qui harangue dans son monologue les aristocrates nantis : « Qu'avez-vous fait pour tant de biens ?  Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. Du reste, homme assez ordinaire». Il est d'ailleurs significatif de noter que la pièce fut encore interdite pendant l'occupation allemande ! Cet esprit de revendication est, après tout ancien, et appartient bien à la tradition française car on trouve le pouvoir moqué sous toutes ses formes dès les farces du Moyen Age, que ce soit l'avocat véreux à son tour floué dans La farce de maître Pathelin, ou les curés paillards, ou les médecins ignorants, ce dont se souviendra Molière. Dans les drames romantiques, les roturiers, voire les gueux vont se mesurer aux reines pour les aimer, tel « le vers de terre  amoureux d'une étoile » dans Ruy Blas de Hugo. Avec la montée des dictatures au milieu du XXe siècle, le théâtre se fait ouvertement politique comme dans la pièce du dramaturge allemand Bertold Brecht, La résistible ascension d'Arturo Ui, qui portraiture Hitler en gangster du Bronx et dont est extraite la phrase d'avertissement : « Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde. »



               

Les genres sont donc tous sollicités pour représenter le pouvoir abusif mais aussi tous les registres, le burlesque avec la farce, le comique avec la comédie, le tragique avec la tragédie classique, le lyrique et le pathétique avec le drame bourgeois ou le drame romantique, l'absurde avec les pièces d'après guerre à la manière de Ionesco ou de Beckett ou encore le théâtre à thèse comme celui de Sartre ou de Camus. Bien sûr, les mises en scènes sont variées, et vont du respect le plus absolu au climat de l'époque où les pièces ont été créées, avec perruques, canons et talons rouges pour les costumes du XVIIe siècle jusqu'aux audaces contemporaines où le décor est dépouillé à l'extrême et où les jeux de lumière et les bruitages les plus modernes remplacent la toile de fond et le rideau rouge des théâtres à l'italienne. Cela pouvait aller du jeu très physique de Molière, lui-même acteur et metteur en scène, qui se réservait les rôles de valet et faisait le pitre à merveille, jusqu'à la diction déclamée et emphatique de la tragédie classique, dans des décors figés, encore en vigueur à l'époque de la grande comédienne Sarah Bernhardt qui jouait des rôles d'hommes, comme les comédiens de Shakespeare jouaient les rôles de femmes. Puis vint le théâtre Antoine, précurseur du théâtre moderne, suivi par Jean Vilar, l'inventeur du festival d'Avignon jusqu'à Peter Brook, Ariane Mnouchkine ou le populaire Robert Hossein. La représentation du pouvoir, comme toutes les représentations des rapports humains, a varié au fil du temps car le théâtre est un art vivant et cultive la provocation.

              

Mais peu importe au fond les audaces de mises en scène car ce qui compte, évidemment, c'est de toucher le public ou plutôt les publics, de toutes les époques, les lieux et les catégories, jeunes ou vieux, riches ou pauvres ; on reconnaît justement la valeur d'une œuvre à sa capacité à durer et à s'adapter aux époques, aux goûts, aux situations. Le but du théâtre en général est de divertir, instruire, faire réfléchir mais aussi de pousser à la réaction et à l'action en dénonçant les abus de pouvoir justement.

                Le théâtre est donc souvent une tribune qui dénonce et revendique la liberté de penser, d'agir, d'aimer, d'exister tout simplement. Il met en garde contre les séductions des tyrans, avertit les dirigeants de leurs dérives, voire pousse le peuple à la révolution. La censure ne s'y trompe pas qui interdit les pièces et la littérature en général à toutes les époques et dans tous les pays, d'où les travestissements imaginés par les auteurs pour la déjouer. La cabale des dévots hostile à Molière s'est trouvée d'indignes successeurs dans les régimes totalitaires de bien des pays et même encore aujourd'hui.

 

Rideau de scène du théâtre des Célestins à Lyon


Mais le théâtre est un phénomène social, un art public et collectif qui se prête au débat d'idées d'où l'importance du dialogue argumentatif, forme vivante, héritière du dialogue philosophique qui permet la confrontation des thèses ou opinions, du monologue délibératif qui restitue le cheminement de la pensée d'un individu. Les idées s’incarnent dans des personnages. Le texte théâtral est principalement constitué de dialogues, mais les personnages s'adressent autant, sinon davantage, au public qu'aux autres protagonistes. Le public est interpellé, sommé de juger les situations, les discours et les comportements. C'est le principe de la double énonciation.

Les conflits et les crises mis en scène reflètent les conflits et les crises de la société. Par exemple, le conflit entre le héros aristocrate et le pouvoir royal dans le théâtre de Corneille ; ou encore les conflits entre le maître et le valet de Molière à Hugo (Ruy Blas) sans oublier, naturellement, le théâtre de Beaumarchais. C'est une tribune efficace mais risquée qui permet de dénoncer les injustices sociales : Marceline et la question de la liberté des femmes, le monologue de Figaro qui met en cause les privilèges de la naissance. Le théâtre pose des problèmes politiques ou sociaux : Aimé Césaire qui dénonce le colonialisme ou Genet qui expérimente une dramaturgie liée à la fascination pour le mal, pour la délinquance, assez proche du théâtre de la cruauté, développé par Antonin Artaud ; Les Mains sales de Sartre qui montre les contradictions du parti communiste ; Tartuffe de Molière qui dénonce le pouvoir abusif de la compagnie du Saint Sacrement qui régente la société de son époque.

Le théâtre s'expose donc à la censure comme nous l'avons vu, mais aussi au malentendu. Pour preuve les interprétations diverses de l'Antigone d'Anouilh : le dramaturge est-il pour Créon ou Antigone ? En représentant des monstres, les auteurs ne courent-ils pas le risque de la fascination autant que de la répulsion ? Les spectateurs ne commettent-ils pas des erreurs en faisant d'un seul personnage le porte-parole de son auteur ?

Le théâtre est un miroir de la société, un porte-parole des idées de l'auteur dont il est cependant difficile parfois de déceler les intentions. L'auteur s'exprime à travers plusieurs personnages, il pose des questions sans forcément y répondre. C'est cette complexité qui fait toute la valeur d'un théâtre qui s'adresse d'abord à l'esprit et à la réflexion.

 



 Représenter le pouvoir, c'est, comme nous l'avons vu, d'abord critiquer son abus. Le pouvoir juste n'étant pas un sujet principal en soi, tant il est vrai que les institutions heureuses, comme les gens heureux, n'ont pas d'histoire. Représenter le pouvoir, c'est aussi le plus souvent s'attaquer à l'autorité politique, même si les autres formes d'autorité sont aussi contestées et l'on s'aperçoit le plus souvent qu'elles sont alliées au pouvoir en place. Pour mettre en scène la tyrannie, le dramaturge dispose de bien des moyens d'écriture théâtrale : les genres et registres comique, tragique, lyrique, polémique et les formes de discours du dialogue et du monologue argumentatifs. Bien des auteurs se sont préoccupés de la mise en scène, en montant eux-mêmes leurs pièces ou en suivant de près les metteurs en scène. Mais qu'on joue en costumes d'époque ou en jeans, en salle ou dans la cour du palais des papes, avec un micro ou en  utilisant l'acoustique des lieux, l'important c'est de capter l'attention du spectateur. Le faire rire, le terrifier ou susciter sa pitié, cela fonctionne toujours très bien. Mais concernant la représentation du pouvoir abusif, le dramaturge veut souvent se faire éveilleur de conscience et aussi artisan d'une forme de révolution. La censure officielle l'a bien compris qui a contrôlé ou contrôle encore de près toutes les pièces jugées subversives. Critiquer les dangers du pouvoir abusif pour ceux qui le subissent comme pour ceux qui l'exercent n'est pas une entreprise aisée et parfois l'interprétation des pièces est ambiguë pour le spectateur qui doit démêler les intentions de l'auteur et se livrer à une réflexion personnelle parce que le sens lui résiste. C'est la particularité des œuvres de qualité de ne pas épuiser le sens et de laisser le champ ouvert à l'interprétation. Les pièces de boulevard, elles, sont sans mystère ! Le théâtre de contestation est né dans la rue, sur les tréteaux et retourne dans la rue dès que la situation le demande ou s'aventure dans la caricature avec des marionnettes à la télévision. Mais ces dérivés populaires ne remplacent pas les immortelles et universelles pièces de Shakespeare, Molière et de tous les autres grands auteurs du théâtre. Finalement, le théâtre de contestation du pouvoir est garant de nos libertés. La preuve : quand elles disparaissent, il est empêché lui aussi. Au temps de la Grèce antique, le théâtre était une cérémonie pour les Dieux, depuis les dieux se sont incarnés et le théâtre est devenu une cérémonie politique et sociale, salutaire pour les hommes.

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Question sur les quatre textes du corpus : 

Quelles figures de rois ces quatre extraits proposent-ils ? Justifiez votre réponse.

Voir sujet ICI

                             Le pouvoir détermine les rapports humains mais, quand il devient tyrannique, il les fausse. Dans les extraits de théâtre que nous allons étudier, Ubu roi de Jarry, Les Mouches de Sartre, Caligula de Camus et Le roi se meurt de Ionesco, le pouvoir est exercé par un monarque absolu, roi ou empereur. Nous observerons en quoi ces textes illustrent des aspects du pouvoir absolu et abusif. Nous verrons d’abord comment se manifeste le désir de puissance sur les êtres et sur les choses, puis les limites de cette emprise.

            La tyrannie s’impose d’abord, pour deux personnages de rois, par une prise illégitime du pouvoir par la force et le meurtre : Ubu tue Vencesla et Egisthe assassine Agamemnon. Elle s’installe ensuite par la terreur qu’ils instaurent pour soumettre les peuples. Ainsi Ubu défonce-t-il la porte des paysans avant de détruire leur maison, aidé de "sa légion de Grippe-Sous". Caligula oblige ses courtisans à rire et à l’approuver sous la menace. Egisthe punit sa belle-fille Electre et méprise sa femme qui le craint. Seul le roi mourant de Ionesco n’exerce plus d’influence sur son entourage mais ne renonce pas à leur donner des ordres insensés. Tous sont rongés de désirs, voire de caprices. Ubu veut s’enrichir en volant ses sujets, Caligula se délecte de la peur qu’il inspire ("La peur, hein, Caesonia, ce beau sentiment, sans alliage..."), Le roi de Ionesco veut contrôler les êtres et même les éléments, Egisthe "donnerait son royaume pour verser une larme".

            Cependant, cette volonté de puissance a ses limites : la faiblesse et le ridicule. Le plus grotesque est Ubu. Cela se traduit dans son langage et dans ses actes. Il emploie un niveau de langue familier avec des mots déformés comme "ji" au lieu de "je", "merdre" au lieu de "merde". Il utilise des jurons fantaisistes comme "cornegidouille". Mais le pire est qu’il revendique ses escroqueries : "avec ce système, j’aurai vite fait fortune, alors je tuerai tout le monde et je m’en irai". Il collecte lui même les impôts et tient des propos outranciers. C’est un personnage grossier, brutal, stupide et ridicule, une vraie caricature de la dictature. Caligula est plus inquiétant, plus pervers et plus imprévisible : il passe de la gaieté à la colère, manipule ses courtisans, leur fait répéter des phrases comme des perroquets. Cependant, il se comporte à table comme un goujat et n’a aucune dignité. Le plus lucide est Egisthe qui exprime regret, lassitude et le désir d’éprouver des émotions. Mais cette faiblesse qu’il avoue est en réalité un total vide existentiel. Il a compris la vanité du pouvoir et pourtant il continue à l’exercer. Le plus pitoyable est le roi mourant, mégalomane et totalement impuissant. Son impossibilité à se faire obéir le pousse à des demandes délirantes. Pour lui, le pouvoir c’était la vie. Avec la mort, il est dépossédé de tout.

            Ces quatre rois illustrent les composantes du pouvoir abusif : l’excès, la violence, la toute puissance des désirs, la sottise, la méchanceté et la folie. Mais ces rois sont pitoyables comme le roi mourant, ridicule comme Ubu, insensible et glacé comme Egisthe ou pervers comme Caligula. Pour eux, exercer le pouvoir, c’est se livrer à leurs instincts les plus bas et c’est exploiter et terrifier les autres.

dimanche 27 novembre 2022

Le héros représentatif de la société, dissertation rédigée

 Dissertation

 

La lecture de L’Orphelin de la Chine de Voltaire dans le salon de Mme Geoffrin  

par Lemonnier en 1812

 

Sujet :

 

Le roman présente des héros représentatifs des aspects de la société de leur temps. Montrez cela à travers plusieurs exemples.

 

 

          Modèle de bravoure ou personnage médiocre, le héros est un ingrédient essentiel du roman qui se forge autour de cette entité élémentaire. Si le héros ne laisse pas le lecteur indifférent, s'identifiant à lui, ou bien le stigmatisant, c'est surtout parce qu'il reflète des facettes de la société humaine. Ainsi nous montrerons en quoi le roman présente des héros représentatifs des aspects de la société de son temps. Nous verrons d'abord que ces héros sont représentatifs de la pensée de l'époque, puis nous aborderons le fait qu'ils reflètent la réalité sociale de l'époque, avant de nuancer le propos et d'observer l'existence de héros atemporels.

 

 

          Tout d'abord, le roman met en scène des héros représentatifs de la pensée de leur temps.

          Ces héros peuvent s'imposer comme les porte-parole des rêves et espoirs de la société et traduisent alors un idéalisme collectif. La Renaissance, véritable révolution culturelle où l'Homme foisonnant d'inventivité s'efforce de comprendre le monde, a sans conteste délivré un message idéaliste fort. L'écrivain anglais Thomas More dans L'Utopie (1516) se lance ainsi dans l'ostentatoire description d'une société parfaite et pacifique. Et tout cet univers idyllique est fondé par Utopus, génial concepteur à l'initiative de cette prospérité où « les Utopiens ont la guerre en abomination ». Dans un élan comique, son confrère français Rabelais narre en 1532 et 1534 les aventures de deux géants, personnages éponymes, dans Gargantua et Pantagruel. Le géant est le symbole même de l'idéalisme de la Renaissance. Son féroce appétit est évidemment à transposer à l'appétit intellectuel des humanistes.

          Au contraire, les héros de roman peuvent être représentatifs du désenchantement de l'époque. Le Romantisme du XIXe siècle est emblématique. Ce tenace « mal du siècle » comme l'écrit Chateaubriand trouve ses racines dans la fin brutale de la glorieuse ère napoléonienne et aux acquis de la Révolution, balayés par le retour de la monarchie. Le même auteur, dans le roman semi-autobiographique René (1802), relate la vie du héros éponyme exilé dans la tribu indienne des Natchez. René est à la recherche d'une identité qu'il ne trouve pas, obsédé par cette quête infructueuse, dominé par des forces qui le dépassent. Dans une atmosphère teintée de mysticisme, il ressent le « vague des passions », et surtout une profonde mélancolie. René est donc emblématique du héros romantique, errant dans la psyché, qui « étouffe dans l'univers » comme le déclarait si bien Rousseau.

          Les héros de roman permettent aussi de cerner la mentalité de l'époque. A travers leur progression dans l'histoire et les interactions entretenues avec les autres personnages, ils se font les révélateurs des lois morales qui régissent la société. Ainsi dans La Lettre écarlate (1850), l'Américain Nathaniel Hawthorne conte le martyr d'Hester Prynne, jeune femme vivant dans une communauté puritaine à Boston dans le Massachusetts, condamnée à porter sur la poitrine la lettre A pour Adultère. L'auteur se lance alors dans un pamphlet virulent contre la société puritaine, débarquée dans le Nouveau Monde en 1620 et fondatrice des treize colonies de la côte-est. Les dures épreuves endurées par l'héroïne tendent à pointer du doigt l'intolérance de cette communauté, persistante dans la culture américaine du XIXe siècle, et l'hypocrisie de ses dirigeants, soucieux de maintenir un équilibre moral digne mais incapables de voir les travers de ses membres. Au final, Hawthorne dénonce cette « tendance à devenir cruel », détentrice du « pouvoir de faire souffrir »

 

         De cette façon, le roman présente des héros, reflet de la pensée de leur temps. Ces héros traduisent l'idéalisme de la société, ou bien sa désillusion. Ils révèlent aussi la mentalité de l'époque, et permettent de déceler une société figée et conservatrice. Cependant, le héros de roman peut être représentatif de la réalité sociale de l'époque.

 

Gargantua (gravure de Gustave Doré)  

         

Son parcours dans l'histoire renseigne le lecteur sur l'organisation de la société. Le héros permet donc d'identifier les codes de la société. Observons les péripéties du héros de Maupassant Georges Duroy dans Bel-Ami (1885), jeune arriviste propulsé dans les dures exigences de la conquête de Paris. C'est alors la complexité de la réussite sociale qui est abordée, dont les clefs sont détenues par l'aristocratie, cet univers impitoyable constitué de mondanités, d'anoblissement frauduleux, de relations, d'adultère, où capitalisme, politique et influence des femmes sont étroitement liés : « Le Monde est aux forts. Il faut être fort. Il faut être au-dessus de tout. » Maupassant dépeint également, à travers le métier de journaliste de Duroy à La Vie française, le monde de la presse. La presse au XIXe siècle devient fondamentale, capable de faire ou défaire les carrières politiques. C'est l'émergence de ce qu'on appellera au siècle suivant le « quatrième pouvoir ».

          Loin du prestige et la richesse des élites sociales, le héros se fait souvent figure emblématique du bas peuple. Le roman réaliste mis à l'honneur dès1850 se veut une peinture fidèle de la société, et inévitablement des classes populaires majoritaires. Dans un contexte de Révolution Industrielle, Zola dans Germinal (1885) s'attache à relater le quotidien d'Etienne Lantier, jeune homme qui aux mines de Montsou dans le Nord de la France découvre les conditions de travail effroyables, la « lenteur des minutes monotones, qui passaient une à une, sans espoir ». Le héros, au contraire plein d'espoir, pousse les mineurs à la grève contre la Compagnie des Mines pour rétablir la justice sociale et inspirer « la vision rouge de la Révolution ». Etienne Lantier est bien sûr en référence directe au vent marxiste qui souffle sur l'Europe, poussant le prolétaire écrasé dans la lutte contre l'exploitant bourgeois.

          Le héros de roman permet également d'aborder des problèmes d'actualité, typiques de l'époque. Même si Louis-Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit (1932), dans un élan de pessimisme absolu, fait de son héros, Bardamu, le champion de la provocation, ce dernier n'en dénonce pas moins les maux de la société, critiquant le militarisme et ses « soldats gratuits », l'Etat-Nation, ce concept patriotique qui lance la « Patrie n°1 » à l'assaut de la « Patrie n°2 » dans un carnage total, ou encore l'avancée de l'American Way of Life et son fordisme, ce système qui « broie les individus, nie même leur humanité et les réduit à la misère ». D'autre part, le héros joue aussi un rôle politique. D'autant que les romans du XX e siècle, dénonciation virulente des totalitarismes, sont abondants. Le récit du paysan russe, condamné au goulag dans Une journée d'Ivan Denissovitch (1962) d'Alexandre Soljenitsyne, est poignant. Il est le symbole de ces innocents écrasés par l'absurdité du régime soviétique, ayant restreint leur humanité aux besoins élémentaires de subsistance, accrochés à l'espoir de survivre, jour après jour : « Une journée de passée. Sans un seul nuage. Presque de bonheur. »

 

          Ainsi, le héros de roman est représentatif de la réalité sociale de l'époque, parfois dure, à travers ses problèmes, son organisation et ses codes. Pourtant il existe aussi des héros atemporels.

 

 

          Loin de mettre en scène un héros représentant divers aspects de la société de son temps, le roman peut présenter un héros atemporel, dans lequel l'Homme se reconnaît quelle que soit l'époque, porteur de valeurs universelles. Henri Charrière, le célèbre malfrat, dans Papillon (1963), met en avant le désir éternel de liberté de l'Homme. Au travers de cette œuvre humaniste, l'auteur évoque sa vie de prisonnier au bagne de Cayenne. Clamant son innocence pour un crime qu'il n'a pas commis, ce « papillon » tentera de s'évader à maintes reprises, aussi bien mentalement que physiquement : « Je m'envole dans les étoiles ». L'amour, véritable topos de la littérature, revêt aussi un caractère universel. Ce sentiment qui traverse les âges trouve matière à faire débat, s'opposant souvent à l'argent, à l'image de l'endogamie aristocratique où le mariage va dans le sens de l'intérêt. Gabriel Garcia Marquez relate ainsi dans L'Amour au temps du Choléra (1987) une histoire d'amour de cinquante ans, où dans les Caraïbes de la fin du XIXe siècle, un homme attend sa bien-aimée, mariée à un riche médecin. Repoussé par Fermina, Florentino se réfugie dans la poésie. Sa vie est tournée vers le seul but de se faire un nom pour mériter celle qu'il ne cessera jamais d'aimer. L'amour rayonne ici dans toute sa noblesse, se heurtant aux clivages sociaux. « Le cœur possède plus de chambres qu'un hôtel de putes » écrit d'ailleurs avec humour l'auteur.

          A l'inverse, les héros de roman peuvent révéler les défauts de l'Homme et traduisent sa médiocrité persistante. L'Or (1925) de Blaise Cendrars pointe de facto la soif de richesse inaltérable de l'Homme, à travers l'histoire tragique du Général Suter. Cet homme qui fit fortune en Californie grâce à l'agriculture dans la première moitié du XIXe siècle, se retrouve ruiné par la découverte d'or sur son territoire en 1848 et la grande ruée vers l'or qui s'en suit, dévastant tout ce qu'il a construit à coups de prospecteurs malhonnêtes. Le récit est poignant : « L'Or l'a ruiné ». La soif de richesse est dans cette œuvre d'autant plus tragique qu'elle ne provoque pas la perte des truands qui en sont atteints, mais, dévastatrice, celle d'un homme innocent qui mourra fou, tristement, en plein Washington.

         Enfin, certains héros de roman ne semblent s'inscrire dans aucune société. C'est le cas de Meursault, protagoniste de L'Etranger (1942) d'Albert Camus. Le titre est explicite. Ce personnage passif, indifférent à la mort de sa mère, avouant ouvertement et sincèrement sa culpabilité dans le meurtre de l'« Arabe » tué à cause de la chaleur harassante du soleil d'Algérie, malencontreusement, et résolu à être exécuté, est un héros absurde. C'est là le point de départ des œuvres de Camus qu'il nommera « cycle de l'absurde ». Ce héros atypique semble ne pas se soumettre aux lois de la société. Camus s'expliquera d'ailleurs plus tard : « Il est étranger à la société où il vit […] Meursault ne joue pas le jeu. Il refuse de mentir. »

 

 

En conclusion, le roman présente des héros représentatifs des aspects de la société de leur temps. Ces héros sont porteurs de la pensée de l'époque dans son idéalisme ou sa désillusion et sont révélateurs de la mentalité de la société. Par ailleurs, ces héros informent de la réalité sociale de l'époque, son organisation et ses difficultés. Néanmoins il existe des héros atemporels qui traversent les époques, porteurs de valeurs, ou au contraire de défauts, persistants chez l'Homme à travers l'Histoire. D'autres encore s'imposent comme de véritables intrus qui ne s'inscrivent dans aucune société. En tout cas, le héros apparaît comme un élément essentiel pour le roman, création pure de l'Homme, miroir de ses pensées et aspirations. Malgré tout cette importance est relative. Il est intéressant d'observer que certains romans ne s'organisent autour d'aucun héros véritable. Citons pour cela le courant du Nouveau Roman (1942-1970) où le héros devient subsidiaire, souvent nommé par ses initiales, dans l'optique pour ses membres de renouveler le genre romanesque, à l'image d'Histoire (1967) de Claude Simon, collage de souvenirs mêlant grande Histoire et vie personnelle.


François 1ière S2 (décembre 2010)

Dissertation sur le roman autobiographique

 

L’autobiographie : une célébration de l’ego ?



 

Dissertation rédigée


Dissertation

 

Sujet : Le roman autobiographique n’est qu’une célébration de l’ego.

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Le roman autobiographique est un genre littéraire qui a mis beaucoup de temps à se définir et à s’imposer. Même s’il existe de nombreuses œuvres anciennes s’apparentant au genre, telles que Les Confessions de Saint Augustin, c’est à la fin XVIIIe siècle qu’est publiée la première véritable autobiographie : Les Confessions de Jean Jacques Rousseau (1782). Le genre se définit comme un récit rétrospectif que l’auteur fait de sa propre existence. C’est donc un « récit de vie » où le narrateur, le personnage et l’auteur ne font qu’un. Cependant, l’auteur ne cherche pas toujours à retranscrire la stricte vérité et la fiction est parfois bien présente. Nous pouvons donc nous demander si celui-ci a uniquement pour but de flatter son ego à travers l’écriture d’un roman autobiographique ou s’il a des aspirations autres qu’un pur besoin narcissique. En premier lieu, nous examinerons ce qui ressemble à une satisfaction personnelle puis les éléments qui présentent d’autres aspects du roman.

 

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Pour un auteur, l’écriture d’un roman autobiographique est une satisfaction évidente : en effet, la publication du récit de sa vie est un bon moyen de laisser une trace écrite permanente de son existence. Ainsi, Romain Gary nous fait part de sa jeunesse difficile et de sa participation active à La Seconde Guerre Mondiale dans La Promesse de L’Aube, paru en 1960. Retranscrire sa fierté d’avoir obtenu le grade de capitaine est très glorifiant pour lui-même. Pour de nombreux auteurs, leur passé est une fierté qu’ils expriment dans l’écriture.

D’autre part, les héros de ces romans sont les représentations à l’identique de leurs auteurs : ils portent les mêmes valeurs et idéaux qu’eux, et ont en commun parfois jusqu’à la ressemblance physique. Ils sont donc à la fois un moyen pour l’auteur de s’exprimer mais aussi de se montrer, de célébrer son image. Bardamu est l’alter ego de Louis-Ferdinand Céline dans Voyage au Bout de la Nuit : tous deux ont connu la guerre des tranchées, ont le même prénom Ferdinand et un fort tempérament (leur seule différence est leur opinion politique opposée). On retrouve également Rastignac, l’alter ego de Balzac dans Le Père Goriot. L’alter ego est un moyen de célébrer l’ego de l’auteur l’ayant créé.

Ecrire un roman autobiographique traduit également le besoin de combler une faille narcissique pour l’auteur qui souhaite être reconnu. Ce dernier effectue une sorte de thérapie sur lui-même, prend du recul et réfléchit sur sa propre personne et éprouve également le besoin de se connaître. Socrate disait : Connais-toi toi-même au Ve siècle avant J-C. Hervé Bazin fait le récit de son enfance difficile, qu’il a très mal vécue avec sa mère Folcoche dans Vipère au poing, paru en 1948. Le traumatisme vécu est l’élément déclencheur de l’écriture : « Où peut-on être mieux qu’au sein d’une famille ? Partout ailleurs ! » dit Hervé Bazin. Cette réflexion sur soi est une réflexion rendue publique : on peut parler d’une mise en avant personnelle, donc d’un grossissement de l’ego. Enfin, le roman est le plus souvent rédigé à la première personne du singulier : le narrateur crée un lien fort avec le lecteur, qui vit l’histoire à travers ses yeux. L’auteur fait passer ses idées et ses valeurs au premier plan, il se met donc en avant.

 




Vénus à son miroir de Diego Vélasquez (1648) National Gallery Londres

 

Malgré cela, les romans autobiographiques sont nombreux et abordent donc de nombreux thèmes : leurs sujets ne concernent pas uniquement la personnalité de leurs auteurs. Ils sont l’objet d’un réflexion de ceux-ci sur eux-mêmes mais peuvent avoir une visée universelle et contiennent également une réflexion sur les autres ou la société. Ainsi, Jean-Jacques Rousseau entreprend une réflexion philosophique sur la nature de l’homme et l’esprit humain dans Les Rêveries du promeneur solitaire (en 1782), où il présente une vision philosophique du bonheur : « Je sais et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse trouver ». Le roman autobiographique n’est donc pas tourné uniquement vers son propre auteur, mais aborde aussi des thèmes beaucoup plus larges.

De plus, l’auteur laisse dans son roman un témoignage, où il dépeint avec précision la société de son époque, et nous apporte de nombreux renseignements dans la description de sa vie quotidienne : ces romans sont donc parfois de véritables documentaires. C’est le cas de La Place (1983), dans lequel Annie Ernaux nous plonge dans la vie quotidienne des classes populaires puis moyennes pendant le XXe siècle, ainsi que l’élévation du niveau de vie. Elle écrit d’une « écriture plate » et reste effacée : « Ecrire, c’est d’abord ne pas être vu ».  Le Journal d’Anne Franck (1947) est également un témoignage très prenant de la vie des Juifs cachés pendant la Seconde Guerre Mondiale. Dans ces romans, l’auteur reste discret, et met l’accent sur des détails de sa société plutôt que sur sa propre personne. Le roman autobiographique est aussi un moyen d’expression, qui permet à l’auteur de faire valoir une vision critique de sa société et de donner son avis sur des thèmes, sujets aux polémiques. Il a parfois une visée morale, comme Adolphe (1816) de Benjamin Constant, qui traite de thèmes tels que la fatalité, la responsabilité en matière amoureuse : «  Le cœur seul peut plaider sa cause », et qui critique la vie mondaine.

Le roman autobiographique est un genre récent, et il a donné naissance à un sous-genre nouveau et moderne : le roman d’autofictionoù l’auteur mêle réalité et fictionPour Stéphanie Michineau (XXIe siècle) : « L’écrivain se montre sous son nom propre dans un mélange savamment orchestré de fiction et de réalité ».  Le roman fiction permet donc de se détacher de la vie de l’auteur, strictement basée sur la réalité, et qui n’occupe plus le thème central de l’œuvre. Tristan Vaquette s’improvise héros de la résistance française pendant l’occupation nazie dans Je gagne toujours à la fin (2003) et développe les thèmes de l’intégrité intellectuelle et la liberté d’expression. L’autofiction est alors une occasion pour l’auteur de se projeter dans un personnage qu’il a créé, mais différent de son alter ego. Le roman  d’autofiction met donc une distance entre l’ego de l’auteur et les sujets abordés dans son roman : l’auteur ne s’y représente pas. L’autofiction est également un bon moyen pour l’auteur de surmonter des difficultés de mémoire. En effet, une mémoire très précise est nécessaire pour retranscrire toute une vie. Franklin Jones dit, au début du XXe siècle :  « Une autobiographie révèle généralement que tout va très bien chez son auteur, sauf la mémoire ». Dans W ou le souvenir d’enfance, Georges Pérec mêle sa vraie vie et une sorte de fiction utopique pour combler ses troubles de la mémoire.

Enfin, dans certains cas, publier un roman autobiographique ne fait pas l’objet pour certains auteurs d’une satisfaction personnelle mais est au contraire une façon de se confesser, de justifier ses erreurs commises dans l’espoir de se les faire pardonner. Les Confessions sont une sorte de rédemption pour Jean-Jacques Rousseau qui désire se faire absoudre de ses péchés.

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Pour conclure, l’écriture d’un roman autobiographique semble être pour de nombreux auteurs une façon de célébrer leur ego, à travers leurs personnages jouant le rôle d’alter ego. Malgré tout, cette mise en avant est légitime : décrire sa réussite et la rendre publique est une chose glorifiante : qui n’en serait pas fier ? C’est également instructif pour le lecteur, qui peut s’en inspirer et même s’identifier. De plus, de nombreux éléments montrent que le roman autobiographique aborde de nombreux autres thèmes que l’unique « récit de vie ». Parfois, grâce à sa précision documentaire, le roman autobiographique est un vrai témoignage que laisse l’auteur sur la société dans laquelle il a vécu, et gagne ainsi un intérêt historique. De plus, les romans autofictions, de plus en plus nombreux ces dernières années, remettent en question la véracité de l’autobiographie : « L’autobiographie qui paraît au premier abord le plus sincère de tous les genres, en est peut-être le plus faux » dit Flaubert. Cette incertitude des limites entre réel et fiction remet une fois de plus l’auteur lui-même au second plan. On peut donc dire que même si le roman autobiographique porte souvent sur la vie de l’auteur lui-même, ce n’en est pas forcément le thème principal, et il traite de multiples sujets. Le roman autobiographique n’est donc pas qu’une célébration de l’ego. On ne peut pas en dire autant de certaines autobiographies, à la recherche de la plus formelle vérité, comme Ma Vie (1929), où Léon Trotsky narre avec exhaustivité sa vie politique.

 

Odile 1ière S2 (décembre 2010)

mardi 8 décembre 2020

Candide de Voltaire : dissertation sur critiques et propositions de société

 

 

Synthèse de Candide



 Le XVIIIe siècle est un siècle de contestation sociale, politique, morale et religieuse dont l’Encyclopédie est le symbole. Mais parmi tous les genres littéraires repris par les philosophes, comme le roman, l’essai, il en est un qui se distingue, c’est le conte philosophique inventé par Voltaire. Son chef-d’œuvre est Candide publié sans nom d’auteur en 1759 à Genève. Le héros, Candide, est un jeune homme naïf à qui son précepteur, Pangloss, inculque une théorie très simpliste sur l’optimisme. Nous verrons dans ce roman ce que dénonce Voltaire et quelles propositions sont faites pour améliorer le sort de l’homme et de la société. Nous étudierons d’abord les différentes critiques, puis nous analyserons les propositions.

 

                 Voltaire fait de nombreuses attaques dans Candide.

            Il ridiculise tout d’abord les mœurs nobles dans le premier chapitre. Les personnages grotesques sont présentés comme des caricatures, des pantins. Le nom  « Thunder-ten-tronckh », à consonance germanique, est synonyme de dureté et de rusticité. Il se moque de l’avarice et des prétentions de la noblesse. Certains manquent de moyens financiers. L’auteur montre leur esprit de caste avec « les soixante et onze quartiers » requis pour faire partie de leur monde. Il critique la pseudo-rigidité des mœurs, ainsi que la morale en montrant leur penchant pour le libertinage.

            Voltaire tourne en dérision l’optimisme de Pangloss. Il s’oppose au philosophe allemand Leibniz et caricature sa pensée en ne retenant qu’une formule : « tout est pour le mieux dans le meilleur  des mondes possibles ». Pangloss est disqualifié à cause de son libertinage, sa conduite et par l’absurdité de son raisonnement.

            De plus, l’auteur fait une critique de la guerre. Il utilise pour cela l’absurde, le burlesque et la parodie épique. Les hommes sont déshumanisés. L’auteur utilise des désignations péjoratives : « coquins », « trente-mille âmes », « tas de morts et de mourants ». L’horreur est associée à une désinvolture qui se marque par le vocabulaire philosophique avec le « meilleur des mondes ». L’horreur de la guerre est présentée de façon détournée. Voltaire dénonce la barbarie des hommes et le scandale du recours à la religion avec les « Te Deum » qui sont des chants de grâce. Dieu est mêlé à barbarie, ce qui est absurde.  Voltaire dénonce aussi l’absurdité de la mise en scène qui décrit la guerre comme  un spectacle avec une accumulation des instruments de musique auxquels sont mêlés les canons : « les trompettes, les fifres, les haut-bois, les tambours ».

 

 

            L’auteur fait aussi une dénonciation ironique de l’arbitraire et du fanatisme. La fausse justification de l’autodafé est faite par des autorités «compétentes» désignées par «les sages du pays», «l’université de Coïmbre » ou encore le pronom indéfini  «on». Des motifs dérisoires nés de l’intolérance désignent les victimes : l’ostracisme du Juif ou pour « avoir épousé sa commère » ou « l’un pour avoir parlé et l’autre pour avoir écouté ». L’auteur pointe l’arbitraire dans l’arrestation sans jugement et la rapidité de la condamnation : « huit jours après ».

            Voltaire fait la satire des Jésuites du Paraguay. C’’est une société qui confond pouvoir religieux et pouvoir politique : « c’est une chose admirable que ce gouvernement », « Los padres y ont tout, et les peuples rien ; c’est le chef-d’œuvre de la raison et de la justice ».

            L’’auteur relativise le mythe du bon sauvage. Lors de la partie des Oreillons, il fait du sauvage une représentation qui relève du cliché : créature menaçante, nudité, zoophilie, cannibalisme… Ainsi, il en fait une créature proche de l’’animal, sans conscience morale, contrairement à Rousseau.

 

 

            Voltaire critique les institutions françaises. Il utilise l’’ironie pour railler l’étiquette de la Cour de France où le roi était intouchable : à travers la question de Cacambo « si on se jetait à genoux ou ventre à terre », mais aussi avec des mots triviaux, « lécher la poussière » qui est une manière de se moquer de la Cour de France assimilée à des singeries. L’outrance des réactions de Candide qui « se jette au cou de sa Majesté » traduit  l’’ébauche d’un roi proche de ses sujets. Il critique aussi les institutions : « prisons », « parlement » et « Église ».

            Il attaque plus généralement la France et sa capitale. La population est désignée par « la moitié des habitants est folle, quelques-unes où l’on est trop rusé, d’autres où l’on est communément assez doux, et assez bête ; d’autres où l’on fait le bel esprit ». On peut voir aussi une critique de la justice française car Martin « fut volé en arrivant de tout ce que j’’avais par des filous […] on me prit moi-même pour un voleur, et je fus huit jours en prison ».

            La société parisienne est aussi visée, et plus particulièrement la société littéraire et celle des spectacles. Si Voltaire parle des spectacles, c’est qu’il débouche logiquement sur l’idée d’une société qui est une société de masques, donc d’hypocrisie. Ainsi, la gaieté de la société parisienne cache les jalousies venimeuses et les pires scélératesses : « on y fait en riant les actions les plus détestables ».

            Enfin, Voltaire dénonce l’esclavage. Il cible le commerce de luxe dans l’onomastique « Vendendendur ». C’est une manière de détourner sur les Hollandais la responsabilité que partagent les Français pour mieux montrer la cruauté et l’absurdité des châtiments, tel que « on nous coupe la main ». Le vocabulaire de la cruauté et de la barbarie se combine à celui de la résignation de l’esclavage.  Cela fait apparaître encore plus révoltant le motif « c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ». La justification naïve de l’esclavage est faite par les parents. Elle traduit les promesses fallacieuses des missionnaires de faire le bonheur des Noirs. Ils sont assimilés à des recruteurs, tiennent des propos mensongers et n’appliquent pas les règles de la religion. Les missionnaires traitent les Noirs comme des marchandises : «  Ma mère me vendit dix écus patagons ».

 

Commerce triangulaire

 

Dans ce texte, Voltaire fait aussi des propositions pour améliorer le sort de l’’homme et de la société.

 Le pays d’Eldorado est perçu comme un modèle. Le palais des sciences en Eldorado est le rêve des philosophes et permet de mettre en avant les sciences exactes. C’’est un pays où règne la paix civile, il n’y a pas de prison, de parlement ni d’Église, mais la prospérité et le bonheur. La parité dans les fonctions est montrée par les « grands officiers » et les « grandes officières ». L’Eldorado est un modèle urbain grâce à l’hygiène, la voirie et les grands marchés qui favorisent le commerce et l’’industrie.

Les deux communautés proposées à la fin de ce conte sont l’’expression du bonheur chez Voltaire. Elles sont agricoles et champêtres, de petite taille pour celle de Candide et de « vingt arpents » pour celle du Turc. Elles sont agréables car le climat est doux et délectable grâce aux fruits exotiques cultivés et aux pâtisseries. Elles sont aussi utiles car elles permettent de vivre en autosuffisance : pour Candide « la petite terre rapporta beaucoup » et le Turc « se contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin cultivé ». Ce sont des communautés d’intérêts et affectives. Le Turc travaille avec ses deux fils et filles, traités de la même manière ce qui montre la parité. Celle de Candide rassemble des compagnons qui exercent chacun leurs talents au profit de tous. Elles sont dirigées toutes les deux par quelqu’un d’expérience qui est accueillant et tolérant. Le vieillard turc a l’esprit d’hospitalité et Candide ne contredit pas Pangloss qui radote. Ces petites communautés ont à la fois des caractéristiques qui ressemblent à l’’Eldorado pour l’esprit pacifique, mais s’en éloignent par la taille réduite et le travail proposé ici comme un remède : la culture, le commerce et l’artisanat.

 

 Château de Ferney-Voltaire (01)

 

Dans Candide, Voltaire fait de nombreuses attaques. Il dénonce ainsi tout au long de ce conte les mœurs nobles, l’optimisme, la guerre, l’arbitraire et le fanatisme, les Jésuites du Paraguay, le mythe du bon sauvage, la France et la vie parisienne, ainsi que l’’esclavage. Pour cela, l’auteur utilise de nombreux procédés tels que l’ironie, le registre satirique, le burlesque, l’’absurde, ainsi que le registre pathétique. Ce conte fait aussi l’’objet de propositions pour améliorer le sort de l’’homme et de la société. Le pays d’Eldorado et les deux communautés, celles de Candide et du Turc, correspondent à cet aspect du conte. La chasse au bonheur et à la liberté, tel est bien le but des Lumières qui passe par la connaissance, la prospérité, le progrès et le travail utile à tous, sans être entravé par des dogmes religieux ou philosophiques : "Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin". C’est un programme pratique pour que le monde soit « passable » comme Voltaire le démontre aussi dans Babouc ou le monde comme il va. Voltaire, à la même époque, met en pratique à Ferney cet idéal, en faisant construire à ses frais deux manufactures, en faisant assécher les marais et en faisant même édifier une église dédiée à Dieu car « si Dieu n’’existait pas, il faudrait l’’inventer ».

 

Emilie 1S4 (janvier 2012)

 

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