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lundi 11 décembre 2017

L'amitié de Elisabeth Guibert






 A Monsieur de ***

Quoi ! de l'amitié la plus tendre,
Vous me refusez le retour !
Ah ! Je n'y dois donc plus prétendre !
Vous ne m'offrez que de l'amour.
Un sentiment plus vif a pénétré votre âme :
Il passera ce sentiment !
Je vois déjà s'éteindre votre flamme.
Je voulais un ami : vous n'êtes qu'un amant.

 Élisabeth Guibert, née à Versailles (1725-1788)
Dans l'Almanach des Muses (1766-1769)

samedi 9 décembre 2017

Chanson des escargots qui vont à l'enterrement , Prévert, Paroles (1946)

Voici la « Chanson des escargots qui vont à l'enterrement » d'après Prévert (Paroles, 1946)

lue par Jean Reno aux obsèques de Johnny Hallyday (9 décembre 2017)
 
 
 

« A l'enterrement d'une feuille morte
Deux escargots s'en vont
Ils ont la coquille noire
Du crêpe autour des cornes
Ils s'en vont dans le soir
Un très beau soir d'automne
Hélas quand ils arrivent
C'est déjà le printemps
Les feuilles qui étaient mortes
Sont toutes ressuscitées
Et les deux escargots
Sont très désappointés
Mais voilà le soleil
Le soleil qui leur dit
Prenez prenez la peine
La peine de vous asseoir
Prenez un verre de bière
Si le cœur vous en dit
Prenez si ça vous plaît
L'autocar pour Paris
Il partira ce soir
Vous verrez du pays
Mais ne prenez pas le deuil
C'est moi qui vous le dit
Ça noircit le blanc de l'œil
Et puis ça enlaidit
Les histoires de cercueils
C'est triste et pas joli
Reprenez vos couleurs
Les couleurs de la vie
Alors toutes les bêtes
Les arbres et les plantes
Se mettent à chanter
A chanter à tue-tête
La vrai chanson vivante
La chanson de l'été
Et tout le monde de boire
Tout le monde de trinquer
C'est un très joli soir
Un joli soir d'été
Et les deux escargots
S'en retournent chez eux
Ils s'en vont très émus
Ils s'en vont très heureux
Comme ils ont beaucoup bu
Ils titubent un petit peu
Mais là-haut dans le ciel
La lune veille sur eux. »

mercredi 6 décembre 2017

Andromaque, Racine, acte III scène 4

Acte III Scène 4

Andromaque, Hermione, Cléone, Céphise

 ANDROMAQUE

Où fuyez-vous, Madame ?
N’est-ce pas à vos yeux un spectacle assez doux
Que la veuve d’Hector pleurante à vos genoux ?
Je ne viens point ici, par de jalouses larmes,
Vous envier un cœur qui se rend à vos charmes.
Par une main cruelle, hélas ! j’ai vu percer
Le seul où mes regards prétendaient s’adresser.
Ma flamme par Hector fut jadis allumée ;
Avec lui dans la tombe elle s’est enfermée.
Mais il me reste un fils. Vous saurez quelque jour,
Madame, pour un fils jusqu’où va notre amour ;
Mais vous ne saurez pas, du moins je le souhaite,
En quel trouble mortel son intérêt nous jette,
Lorsque de tant de biens qui pouvaient nous flatter,
C’est le seul qui nous reste, et qu’on veut nous l’ôter.
Hélas ! lorsque, lassés de dix ans de misère,
Les Troyens en courroux menaçaient votre mère,
J’ai su de mon Hector lui procurer l’appui.
Vous pouvez sur Pyrrhus ce que j’ai pu sur lui.
Que craint-on d’un enfant qui survit à sa perte ?
Laissez-moi le cacher en quelque île déserte ;
Sur les soins de sa mère on peut s’en assurer,
Et mon fils avec moi n’apprendra qu’à pleurer.

 HERMIONE

Je conçois vos douleurs. Mais un devoir austère,
Quand mon père a parlé, m’ordonne de me taire.
C’est lui qui de Pyrrhus fait agir le courroux.
S’il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ?
Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme ;
Faites-le prononcer : j’y souscrirai. Madame.



  Cette scène est très courte puisqu'elle ne comprend que deux répliques. Andromaque supplie Hermione de l'aider à sauver son fils menacé par les Grecs mais Hermione refuse d'intervenir auprès de Pyrrhus.

  Il faut comparer les discours des deux femmes. Andromaque commence à parler (23 vers) et Hermione répond (6 vers), donc Andromaque parle presque 4 fois plus qu'Hermione. La brièveté de la réponse d'Hermione, associée à son refus d'intervenir est déjà une injure, une humiliation et une façon de se venger de celle qu'elle considère comme sa rivale.

  Andromaque va  d'abord s'humilier devant Hermione. Puis, elle va affirmer qu'elle n'a aimé qu'Hector et n'est pas sa rivale (donc elle essaie de la rassurer).
  Elle va ensuite faire appel à la future fibre maternelle (et la solidarité féminine) d'Hermione pour l'apitoyer sur le sort de son fils.

  Elle lui rappelle qu'elle a contribué à sauver Hélène, la mère d'Hermione, et lui demande de lui rendre le même service pour son fils, elle en appelle à sa reconnaissance.

 Elle lui demande enfin d'intervenir auprès de Pyrrhus pour ne pas livrer Astyanax aux Grecs
et de l'exiler avec elle sur une île, ainsi Andromaque ne serait plus un obstacle à l'amour d'Hermione pour Pyrrhus. Elle essaie encore de la rassurer.

  A ce discours, Hermione admet concevoir les douleurs de sa rivale (simple concession formelle)  mais oppose son devoir filial : elle doit obéir à son père Ménélas et se taire. Puis, de manière cynique, elle renvoie Andromaque à Pyrrhus pour demander elle-même la grâce de son fils car elle est mieux placée qu'elle pour le faire, selon elle.

  Jamais, elle ne répond aux arguments d'Andromaque qu'elle résume par les mots "vos douleurs". Elle fait mine au final de s'aligner sur la future décision de Pyrrhus.

 En résumé, Hermione est de mauvaise foi (sa soi-disant compréhension des douleurs d'Adromaque et son prétendu devoir filial), cynique et ironique : "S’il faut fléchir Pyrrhus, qui le peut mieux que vous ?", jalouse : "Vos yeux assez longtemps ont régné sur son âme" et hypocrite : "Faites-le prononcer : j’y souscrirai. Madame."