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samedi 28 mai 2022

Le mythe du bon sauvage (De Léry, Montaigne, Bougainville, Diderot, Gauguin)

 

Synthèse sur le bon sauvage



D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

de Paul Gauguin, peint en 1897

A partir de la fin du XV siècle les navigateurs vont rendre compte de leurs découvertes du Nouveau Monde. Les quatre textes que nous allons étudier se rapprochent tous de ce concept. En effet, de Jean de Léry en 1578, avec Histoire d’un voyage en la terre du Brésil en passant par Michel de Montaigne avec Les Essais (Livre I chp.XXXI) en 1595 , Louis Antoine de Bougainville qui écrit en 1771 Voyage autour du monde (chp.VIII), puis finalement Denis Diderot, un an plus tard, avec son Supplément au voyage de Bougainville, les lecteurs français ont toujours apprécié les récits de voyage. Ces textes sont des récits argumentatifs et descriptifs du monde sauvage. L’exotisme plaît aussi beaucoup en Europe et surtout dans le domaine de la peinture, comme par exemple avec Paul Gauguin qui, dans son « testament pictural », nous livre son célèbre tableau : D’où venons nous ? Que sommes nous ? Où allons nous ?, peint en 1897. A partir de tous ces documents nous pouvons alors nous demander quelles images ces quatre textes et le tableau de Gauguin donnent de l’homme naturel et en quoi ces textes sont des leçons pour l’homme dit « civilisé » . Nous commencerons par voir en quoi ces auteurs font l’éloge de l’homme naturel puis les leçons que l’homme civilisé doit tirer de ce monde sauvage.


Les quatre textes livrent au lecteur une description détaillée, presque scientifique du physique des Indigènes. Diderot explique au lecteur qu’en effet les hommes sont «  droits, sains, et robustes », les hommes naturels sont aussi plus forts que les hommes civilisés, ainsi un seul Indigène suffit-il à tendre un arc quand il faudrait « un, deux, trois, quatre » marins pour tenter de le faire. Pour Jean de Léry, ils sont « plus forts, plus robustes et replets, plus dispos, moins sujets à maladie ». Quant aux femmes, « ces nymphe », comme Bougainville les appelle, « pour la beauté du corps pourraient le disputer à toutes (Les Européennes) avec avantage ». De plus, Diderot rajoute qu’elles sont « droites, saines, fraîches, belles ».



Les mœurs des sauvages sont idéalisées par les auteurs. Montaigne voit ces « sauvages » comme des « braves » « pour ce qui est des déroutes et de l’effroi, ils ne savent pas ce que c’est ». Diderot, quant à lui, présente leurs mœurs comme « plus sages et plus honnêtes » que celles des civilisés. Pour Jean de Léry, ils ne connaissent pas « l’envie et l’ambition » et « rien de tout cela ne les tourmente, moins les domine et les passionne». Ils vont nus sans se cacher, « sans signe d’en avoir honte ni vergogne ». Toutefois, « on découvrit quelque embarras » chez les femmes ce qui prouve bien leur innocence mais Bougainville va montrer la belle Tahitienne comme objet de désir pour ses marins. Gauguin, lui aussi, représente les Indigènes nus dans la pure nature originelle, libres de leurs corps tout comme Adam et Eve, allant nus, sans honte dans le Jardin d’Éden. Toutefois, Gauguin relativise son paradis exotique, en effet il nous montre que la vieillesse en fait partie. La nature représentée est peu florissante et les couleurs employées dans ce tableau sont des couleurs froides.

 

Tahiti


Les comparaisons entre les deux civilisations reviennent souvent dans les différents textes. Les Européens ont, depuis longtemps, eu la volonté de conquérir de nouveaux espaces inconnus et de réduire en esclavage les peuples s’y trouvant. Diderot souligne très clairement ce fait, par la voix du vieux Tahitien, lorsque les Navigateurs projettent dans leurs cœurs « le vol de toute une contrée ». Les Indigènes, eux, en revanche, ne s’intéressent pas à la possession et pratiquent le partage de tous leurs biens : « tout ce qui est nécessaire et bon, nous le possédons ». Ces derniers cherchent seulement à répondre à leurs besoins essentiels : « lorsque nous avons faim, nous avons de quoi manger, lorsque nous avons froid, nous avons de quoi nous vêtir ». Gauguin reprend cette idée, lui aussi, et présente des Indigènes sans bien superflu, vivant dans une certaine paix de l’esprit au bord de l’eau, alors que de leur côté, les Européens, par leur convoitise, imposent le travail, dénoncé par Diderot : « Quand finirons-nous de travailler ? ».


Une des questions souvent retrouvée dans ces œuvres est : qui de l’homme civilisé ou des Indigènes est le plus sauvage ? Ces auteurs ont tous pour objectif de combattre les idées reçues sur les prétendus sauvages. Bougainville décrit le chaleureux accueil délivré par les Otaïtiens à son arrivée : « tous venaient en criant « Tayo » et en nous donnant mille témoignages d’amitié. » De plus, ils n’hésitent pas à partager ce qu’ils possèdent « Ils nous pressaient de choisir une femme et de la suivre à terre ». Quant à la pratique du cannibalisme dont on les accuse, Michel de Montaigne répond que « Ce n’est pas comme on le pense pour s’en nourrir », « c’est pour manifester une très grande vengeance ». Il précise que les Européens, même s’ils appellent les Indigènes  « Barbares », « les surpassent en tous types de barbarie » et que « jugeant bien de leurs fautes, nous soyons si aveugles a l’égard des nôtres ». Si les Indigènes usent du cannibalisme au nom de la vengeance, les Européens utilisent d’autres méthodes encore plus barbares au nom de la Religion.



Tous les auteurs donnent une image idéalisée de l’homme sauvage en le présentant comme pur, innocent et par conséquent digne de respect. Ils utilisent pour cela un type de discours didactique et souvent épidictique. Ainsi, ils combattent les préjugés européens contre les sauvages en posant la question de l’altérité. L’homme civilisé a beaucoup à apprendre de ce monde sauvage encore préservé. Ces textes poussent le lecteur à la réflexion et au respect de l’autre, l’amenant à réfléchir sur l’être humain en général, ses besoins primaires et sur la relativité des mœurs ou des religions. La colonisation est aussi dénoncée comme un acte de brigandage et d’atteinte aux droits de l’homme. Comme Gauguin l’a peint sur son tableau, l’être humain ne rêve-t-il pas tout simplement d’un retour aux origines, un retour à une paix de l’esprit, en cohabitation avec la nature et les animaux ? Un retour au paradis tout simplement.


François (1S4) janvier 2012