La Passante du clair de lune
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Monplaisir Lettres
Vous aimez la littérature ? Vous êtes étudiants ? Vous trouverez dans ce blog des commentaires sur le théâtre, la poésie, le roman et l'essai. Mais aussi des dissertations, des écrits d'invention, des critiques littéraires d'oeuvres diverses. Pour les amateurs d'art, vous découvrirez des commentaires de tableaux. Et en plus, on vous propose des méthodes pour réussir vos examens littéraires.
L'Histoire comique des États et Empires de la Lune (l'Autre monde) est une nouvelle initiatique relatant un voyage imaginaire sur la lune. Prétexte à une satire de son temps, ce texte fut écrit par Cyrano de Bergerac vers 1650.
"Les deux Professeurs que nous attendions entrèrent presque aussitôt, et nous allâmes nous mettre à table où elle étoit dressée, et où nous trouvâmes le jeune garçon dont il m’avoit parlé qui mangeoit déjà. Ils lui firent grande saluade (93), et le traitèrent d’un respect aussi profond que d’esclave à seigneur ; j’en demandai la cause à mon Démon, qui me répondit que c’étoit à cause de son âge, parce qu’en ce Monde-là les vieux rendoient toute sorte de respect et de déférence aux jeunes ; bien plus que les pères obéissoient à leurs enfans aussitôt que par l’avis du Sénat des Philosophes, ils avoient atteint l’âge de raison.
« Vous vous étonnez, continua-t-il, d’une coutume si contraire à celle de votre pays ? mais elle ne répugne point à la droite raison ; car en conscience, dites-moi, quand un homme jeune et chaud est en force d’imaginer, de juger et d’exécuter, n’est-il pas plus capable de gouverner une famille qu’un infirme sexagénaire, pauvre hébété, dont la neige de soixante hivers a glacé l’imagination et qui ne se conduit que par ce que vous appelez expérience des heureux succès, qui ne sont cependant que de simples effets du hasard contre toutes les règles de l’économie de la prudence humaine. Pour du jugement il en a aussi peu, quoique le vulgaire de votre Monde en fasse un apanage de la vieillesse ; mais pour se désabuser il faut qu’il sache que ce qu’on appelle « prudence » en un vieillard n’est autre chose qu’une appréhension panique, une peur enragée de rien entreprendre qui l’obsède. Ainsi quand il n’a pas risqué un danger où un jeune homme s’est perdu, ce n’est pas qu’il en préjugeât la catastrophe, mais il n’avoit pas assez de feu pour allumer ces nobles élans qui nous font oser ; au lieu que l’audace en ce jeune homme étoit comme un gage de la réussite de son dessein, parce que cette ardeur qui fait la promptitude et la facilité d’une exécution étoit celle qui le poussoit à l’entreprendre.
Pour ce qui est d’exécuter, je ferois tort à votre esprit de m’efforcer à le convaincre de preuves. Vous savez que la jeunesse seule est propre à l’action ; et si vous n’en étiez pas tout à fait persuadé, dites-moi, je vous prie, quand vous respectez un homme courageux, n’est-ce pas à cause qu’il vous peut venger de vos ennemis, ou de vos oppresseurs ? et est-ce par autre considération que par pure habitude que vous le considérez, lorsqu’un bataillon de septante Janviers a gelé son sang, et tué de froid tous les nobles enthousiasmes dont les jeunes personnes sont échauffées pour la justice (94) ? Lorsque vous déférez au plus fort, n’est-ce pas afin qu’il vous soit obligé d’une victoire que vous ne lui sauriez disputer ?
Pourquoi donc vous soumettre à lui, quand la paresse a fondu ses muscles, débilité ses artères, évaporé ses esprits, et sucé la moelle de ses os ? Si vous adoriez une femme, n’étoit-ce pas à cause de sa beauté ? Pourquoi donc continuer vos génuflexions après que la vieillesse en a fait un fantôme à menacer les vivants de la mort ? Enfin lorsque vous aimiez un homme spirituel, c’étoit à cause que par la vivacité de son génie il pénétroit une affaire mêlée et la débrouilloit, qu’il défrayoit par son bien dire l’assemblée du plus haut carat, qu’il digéroit les sciences d’une seule pensée ; et cependant vous lui continuez vos honneurs, quand ses organes usés rendent sa tête imbécile, pesante et importune aux compagnies, et lorsqu’il ressemble plutôt à la figure d’un Dieu Foyer qu’à un homme de raison. Concluez donc parla, mon fils, qu’il vaut mieux que les jeunes gens soient pourvus du gouvernement des familles que les vieillards.
D’autant plus même que selon vos maximes, Hercule, Achille, Épaminondas, Alexandre et César, qui sont presque tous morts au deçà de quarante ans, n’auroient mérité aucuns honneurs, parce qu’à votre compte ils auroient été trop jeunes, bien que leur seule jeunesse fût seule la cause de leurs belles actions, qu’un âge plus avancé eût rendues sans effet, parce qu’il eût manqué de l’ardeur et de la promptitude qui leur ont donné ces grands succès. Mais, direz-vous, toutes les lois de notre Monde font retentir avec soin ce respect qu’on doit aux vieillards ? Il est vrai, mais aussi tous ceux qui ont introduit des lois ont été des vieillards qui craignoient que les jeunes ne les dépossédassent justement de l’autorité qu’ils avoient extorquée et ont fait comme les législateurs aux fausses religions un mystère de ce qu’ils n’ont pu prouver."
Florence : l’âme de la Renaissance
Analyse linéaire
Candide
(1759) de Voltaire extrait du chapitre 19
"En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? -- J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. -- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qEn approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. "Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.
- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ?
- Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. " Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible.
- Ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination ; c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme. - Qu'est-ce qu'optimisme ? disait Cacambo.
- Hélas ! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal." Et il versait des larmes en regardant son nègre, et, en pleurant, il entra dans le Surinam."
Introduction
Voltaire, célèbre philosophe
des Lumières, comme le plupart des auteurs du XVIIIème siècle est sensible aux
droits humains, comme la liberté et l’égalité, qui sont des sujets
principalement abordés dans ses écrits philosophiques. Le conte philosophique Candide
de Voltaire raconte les mésaventures du personnage éponyme qui, chassé de son
paradis originel, le château de son enfance, parcourt le monde et découvre
après les catastrophes naturelles ou humanitaires que la doctrine que lui a
enseignée son précepteur est fausse à savoir que : « Tout est pour le mieux
dans le meilleur des mondes ». L’auteur en profite pour dénoncer toutes
les infamies de ce monde comme la guerre, le fanatisme religieux ou
l’esclavage. C’est ainsi que dans le chapitre 19, il imagine une rencontre
entre Candide et son serviteur Cacambo avec un esclave misérable. Ce dernier leur
raconte son histoire sans rien cacher sur tous ceux qui se sont servis de lui
et ont menti. Comment Voltaire lutte-il contre l’esclavage ? Le premier
mouvement portera sur la présentation pathétique de l’esclave et le second sur
le long discours de l’esclave dans lequel il raconte sa triste histoire avec un
regard critique.
I. Présentation pathétique de
l'esclave
- C’est un passage narratif
qui vise à surprendre car il y a la mise en situation avec un
gérondif : « en approchant de la ville »
- Ensuite une action au passé
simple : « Ils rencontrèrent » puis « un nègre »
et ce n’est donc qu’ensuite que le lecteur suppose que c’est un esclave
puisqu’il est question d’un maître.
- Dès le départ, le portrait
de ce personnage est repoussant et misérable on relève ainsi les extensions du
nom nègre : « étendu par terre n’ayant plus que la moitié de son
habit ». A noter l’emploi péjoratif de mot « nègre » mais qui ne
choquait personne à l’époque.
L'esclave est donc décrit dans un état misérable et déplorable.
L'horizontalité de sa position (« étendu par terre ») contraste avec
la verticalité des voyageurs, mettant en évidence sa vulnérabilité et sa
soumission. Le narrateur souligne également le manque de vêtements de
l'esclave, qui porte seulement « la moitié de son habit », ce qui
renforce son image d'objet dénué de valeur.
- Enfin, ce portrait misérable
se termine par des références à des mutilations ou
handicaps : « Il manquait la jambe gauche et la main droite »(l
2-3) signes de grande maltraitance et cruauté subies par ce pauvre homme.
- La première intervention de Candide
au discours direct révèle la pitié du personnage qui correspond à celle de
n’importe quel observateur empathique, on a d’abord des signes d’effroi par des
exclamations : « Eh ! » ; « Mon
Dieu ! »
- Candide qualifie l’état de
cet esclave « d’horrible », mot qui appartient au champ lexical de
l’horreur et qui marque le dégoût.
- La pitié de Candide
s’accompagne de signes d’empathie comme l’apostrophe affective « mon
ami ». L’empathie de Candide se manifeste aussi par la question qu’il
pose, qui vise à s’informer sur le cas de cet esclave. Cela montre donc son
intérêt sur l’esclavage.
- L'émotion de Candide face à la souffrance de l'esclave est palpable.
Il s'exprime avec des phrases interrogatives et exclamatives, démontrant son
empathie et sa consternation face à cette situation. Le registre pathétique est
également présent à travers les réactions physiques de Candide, qui verse des
larmes et pleure en entendant l'histoire de l'esclave. Cette réaction montre la
prise de conscience du personnage principal de l'horreur de l'esclavage et de
la réalité du monde dans lequel il vit.
- Le maitre de l’esclave est
appelé : « M.Venderdendur » cette onomastique correspond à la
réalité de l’esclavagiste. En effet, l’esclavage est fortement lié au commerce.
Ce nom propre imite moqueusement la sonorité hollandaise derrière laquelle on
entend vender à la dent dure, ce qui correspond à la réputation de ce négociant
et aussi à un maitre intraitable.
- La question qui suit, paraît
toujours aussi naïve : « Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide,
qui t'a traité ainsi ?» C’est une interrogation totale, qui permet
d’introduire la maltraitance puisqu’il y a une réponse positive concernant le
pauvre homme rencontré.
- Mais c’est aussi un cas à généraliser
à tous les esclaves comme l’indique l’assertion « C’est l’usage ». Le
terme usage est un euphémisme désignant une habitude, certainement un
droit. Ici le droit en question est celui du code noir, pour tout acte de
cruauté envers les esclaves.
II- Le long discours de
l'esclave et sa critique du système esclavagiste
- L'esclave raconte son
histoire avec une grande lucidité et dénonce les abus dont il a été victime. Il
évoque les différentes étapes du commerce triangulaire, en commençant par la
traite négrière et la capture d'esclaves parmi différentes ethnies africaines.
Il décrit ensuite la violence des méthodes employées pour soumettre les
esclaves et les conséquences dévastatrices pour eux, comme les mutilations et
les chaînes. Enfin, il mentionne le rôle des Européens dans l'organisation et
la perpétuation de ce système, en citant les nations impliquées, telles que les
Hollandais et les Français.
- Relation entre l'esclave et
le sucre. Raccourci efficace « c'est à ce prix que vous mangez du sucre en
Europe ». Ici aussi distorsion, décalage entre la notion de plaisir en
Europe et les conditions de vie inhumaines pour les esclaves. Dénonciation du
commerce triangulaire qui enrichit les nations occidentales en exploitant
honteusement les Africains.
- Insistance sur l'hypocrisie
des prêtres. Le mot « fétiche » est une impropriété de terme afin
d'éviter la censure. Ils ont convaincu la mère de l’esclave de le vendre pour
son bien et celui de ses parents, ce qui est un odieux mensonge et montre
l’exploitation de la misère des Africains par les prêtres missionnaires.
- Voltaire met en évidence la
contradiction « nous sommes tous enfants… » alors qu'on pratique
l'esclavage. Cette contradiction trahit l'hypocrisie des prêtres qui ne
pratiquent pas la charité chrétienne qu’ils enseignent.
- Le discours de l'esclave est
empreint d'ironie et d'antiphrase, ce qui permet de renforcer sa critique du
système esclavagiste. Par exemple, il parle de la « bonté » des
Européens et de la « douceur » des Hollandais, soulignant ainsi
l'hypocrisie et la cruauté de ces nations. Cette utilisation de l'ironie permet
également de montrer l'intelligence et la perspicacité de l'esclave, qui est
capable de prendre du recul sur sa situation et de dénoncer les injustices dont
il est victime : « Les chiens, les singes
et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. »
Conclusion :
Dans cet extrait de Candide, Voltaire lutte contre l'esclavage en présentant un personnage d'esclave misérable et en dénonçant les abus du système esclavagiste à travers son discours critique. Cette rencontre permet également à Candide de prendre conscience de la réalité du monde et de remettre en question l'optimisme enseigné par Pangloss. Ainsi, Voltaire utilise le conte philosophique pour dénoncer les injustices et les souffrances engendrées par l'esclavage et pour proposer une réflexion sur la condition humaine, la quête du bonheur et la liberté. Montesquieu avait mené le même combat dans De l'esclavage des nègres extrait du livre 15 De l'Esprit des Lois, publié en 1748.