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mercredi 9 décembre 2020

La Chanson du mal aimé (derniers quintils in Les Sept épées) d’Apollinaire, commentaire du poème

 

La Chanson du Mal-aimé, 1913, de Guillaume Apollinaire

- LES SEPT ÉPEES (extrait) – in Alcools

à Paul Léautaud.

Et je chantais cette romance
En 1903 sans savoir
Que mon amour à la semblance
Du beau Phénix s’il meurt un soir
Le matin voit sa renaissance.

[…]

Juin ton soleil ardente lyre


Brûle mes doigts endoloris


Triste et mélodieux délire


J’erre à travers mon beau Paris


Sans avoir le cœur d’y mourir



Les dimanches s’y éternisent


Et les orgues de Barbarie


Y sanglotent dans les cours grises


Les fleurs aux balcons de Paris


Penchent comme la tour de Pise



Soirs de Paris ivres du gin


Flambant de l’électricité


Les tramways feux verts sur l’échine


Musiquent au long des portées


De rails leur folie de machines



Les cafés gonflés de fumée


Crient tout l’amour de leurs tziganes


De tous leurs siphons enrhumés


De leurs garçons vêtus d’un pagne


Vers toi toi que j’ai tant aimée



Moi qui sais des lais pour les reines


Les complaintes de mes années


Des hymnes d’esclave aux murènes


La romance du mal aimé


Et des chansons pour les sirènes


Boulevard de la Madeleine à Paris de Antoine Blanchard

Paris, célébré par les poètes, depuis Villon et sa Ballade des femmes de Paris jusqu’à Prévert et sa Chanson de la Seine, a servi de cadre à bien des errances et à bien des mélodies, comme si la capitale française avait sa musique si particulière en harmonie avec les états d’âme des artistes. Guillaume Apollinaire, dans La Chanson du mal aimé (1913), déambule aussi dans Paris, en proie au mal d’amour. Amoureux éconduit de Annie Playden, une jeune Anglaise rencontrée en Allemagne, il cherche dans ce décor urbain des résonances avec sa peine et un divertissement contre sa douleur. Comment le poète amoureux associe-t-il dans son poème-chanson le topos du dépit amoureux au thème de l’errance et de la célébration de la ville ? Nous examinerons d’abord son parcours poétique en symbiose avec Paris puis les particularités de son chant d’amour déçu.

I) Un itinéraire erratique dans un Paris au diapason de l’état d’âme du poète

A) Errance poétique

- Errance, le terme figure dès le quatrième vers : « J’erre à travers mon beau Paris ». L’assonance interne en [εR] souligne encore cette démarche au hasard et sans but.

- Errance poétique, aussi, d’un poème non ponctué, signe de l’abandon des limites, des repères. Le poème, comme le vagabondage parisien, est placé sous le signe de la lyre et du soleil, attributs d’Apollon le dieu grec de la poésie, paronyme d’Apollinaire : « Juin ton soleil ardente lyre ».

- Cette déambulation est cependant équilibrée, tranquille. Les quintils sont réguliers, avec des octosyllabes plus légers que des alexandrins et des rimes alternées. La marche dans la ville a un effet apaisant et inspirant sur le poète.

- Le poète se promène au rythme du temps qui s’écoule lentement comme « Les dimanches s’y éternisent ». Cependant, si on observe les premiers mots des trois premières strophes (Juin … Les dimanches … Soirs de Paris), le temps semble s’amenuiser et l’électricité est le nouveau soleil poétique des soirs de Paris : « Juin ton ardente lyre » et « Flambant de l’électricité ».

Cette errance sauve et distrait le poète de sa peine car il trouve dans l’atmosphère et la poésie de la ville moderne un écho à son « mélodieux délire » et un réconfort car il n’a pas « le cœur d’y mourir ». Le poème est lui aussi un chemin à inventer et un moyen de se sauver.

B) Eloge de Paris

- Le possessif affectueux « mon beau Paris » est significatif de l’attachement du poète à la ville et à sa beauté.

- Son Paris lui joue une musique qui s’accorde avec sa mélancolie : « Les orgues de barbarie y sanglotent » et « Les tramways […] musiquent au long des portées de rails leur folie de machines ». Le néologisme « musiquent » assimilent les tramways, « feux verts sur l’échine », aux notes de musique entraînées sur la portée des rails, comme des vers luisants. Le poète fusionne ainsi les images du monde moderne des machines avec celui de l’art et de la nature : une belle façon de faire entrer la modernité dans le lyrisme traditionnel.

- Cette ville mélange aussi les influences et les nationalités avec l’évocation des « garçons vêtus d’un pagne » qui fait allusion aux spectacles « nègre »1 de la Belle Epoque, les «  tziganes » qui sont de partout et de nulle part, l’Italie avec Pise et jusqu’à l’allusion à l’Angleterre de Annie Playden avec « Soirs de Paris ivres de gin ». Ce cosmopolisme de Paris s’accorde bien avec le flou de la nationalité d’Apollinaire (Wilhelm Kostrowitzky) né d’une mère polonaise d’origine noble et d’un père inconnu, peut-être un officier italien. De même, sa rencontre amoureuse avec une Anglaise eut lieu en Allemagne et il est malheureux à Paris.

- L’alcool, le tabac et autres fumeries suggérés par « Soirs de Paris ivres de gin » et « Les cafés gonflés de fumée » associés à la fête permanente, avec musique tzigane et revues nègre, grisent le poète. Ce Paris de la Belle Epoque fait la fête toute la nuit grâce à la fée Electricité. Sa frénétique joie de vivre est favorisée par le progrès technique et c’est cela que le mal aimé apprécie tant. Paris est devenue la ville Lumière.

: Le cake walk, l’une des sources du JAZZ, traverse l’Atlantique et connaît le succès dans la capitale. Il est présenté au NOUVEAU CIRQUE par les célèbres ELKS, danseurs américains. Dans le même lieu triomphe, en 1902, la revue : "Les Joyeux Nègres" et se produit, en 1903, John Philip SOUSA « Roi des marches américaines et du cake walk » qui a déjà fait entendre ces rythmes et sons nouveaux aux visiteurs de l’Exposition Universelle de Paris en 1900.

Paris est donc porteur de vie, de diversité et d’animation. Cette effervescence fait diversion en partie à la tristesse du poète et lui ressemble aussi par ses aspects contrastés, mêlant gaieté et mélancolie.

II) Un chant d’amour déçu

A) Le lyrisme amoureux

- L’énonciation personnelle « moi » et l’adresse répétitive à la femme aimée « toi toi que j’ai tant aimée » placent résolument ce poème dans la tradition de l’élégie.

- Le vocabulaire de l’amour y est présent : « amour, aimée, cœur, mal aimé ».

- La ville en symbiose est le substitut du poète qui sanglote avec les orgues de barbarie et crie tout son amour avec les cafés.

- La litanie des chansons diverses de toutes les époques au dernier quintil « lais, complaintes, hymnes, romance, chansons » renvoie au titre du poème La Chanson du mal aimé. La diérèse  dans « mé/lo/di/eux délire» insiste sur le caractère musical du poème et, associée à « délire », suggère une sorte de transe poétique. Les assonances en [i] aux rimes des deux premiers quintils provoquent une stridence aiguë qui mime l’intensité de la souffrance du poète.

C’est bien d’un chant d’amour qu’il s’agit où le parcours dans Paris, avec des scènes mélancoliques, animées et même violentes dans leur excès de bruit et de lumière, serait autant de couplets exprimant le cœur torturé et contrasté du mal aimé.


Scène de rue à Paris, place de la Madeleine (en automne) de Antoine Blanchard (1910-1988)

B) Le mal d’amour

- L’expression de la douleur et de la passion douloureuse est imagée par la métaphore du feu et de sa brûlure : «  ardente lyre, brûle mes doigts, flambant de l’électricité » ce qui est une manière originale d’adapter une image lyrique traditionnelle de l’amour.

- D’autres images de la douleur physique sont présentes comme  « mes doigts endoloris » qui peut faire allusion à la « panne » d’inspiration d’où la pérégrination dans Paris pour y trouver un dérivatif ce qui va nourrir justement l’écriture du poète. Les « siphons enrhumés » des cafés, malgré l’humour de la métaphore, connotent un Paris malade où « les cafés gonflés de fumée » semblent suffoquer  et en même temps « crient » d’amour tout comme le mal aimé.

- L’échec amoureux est traduit graphiquement et métaphoriquement, d’une part par l’emploi de l’italique et d’autre part par l’image des fleurs qui « Penchent comme la tour de Pise ». Là encore, cette comparaison saugrenue apporte une touche de dérision, de sourire triste.

- Enfin, les figures féminines évoquées à la rime au dernier quintil qui vont de « reines » à « sirènes » en passant par « murènes » (poisson de mer très vorace, voisin de l’anguille) font évoluer l’image de la femme dans le sens de la dangerosité et rappellent aussi la légende de la Lorelei si chère au poète. Le poète se voit en « esclave » d’une femme-poisson qui lui file entre les doigts et qui l’entraîne dans le malheur.

Si la ville est en résonance avec le mal d’amour du poète et l’empêche de mourir, la tonalité finale est résolument triste et nostalgique et l’histoire du poète rejoint la légende élégiaque.

La ville et la modernité entrent en littérature avec Baudelaire et son Spleen de Paris. Mais si le poète des Fleurs du mal y fait un parcours philosophique et trouve l’énormité des villes « atroce », Apollinaire, lui, en est le promeneur sentimental et reconnaît à la ville sa beauté et sa capacité à absorber les peines. Errance musicale et flamboyante, La Chanson du mal aimé est renouveau poétique et éloge de la modernité. La réussite du poème vient du mélange harmonieux des thèmes lyriques traditionnels comme l’amour et la douleur et des évocations plus prosaïques de l’environnement urbain de la Belle Epoque. Des peintres s’emparent aussi du thème de Paris qu’ils représentent à la même époque, la faisant briller de tous ses feux électriques, comme dans Scène de rue à Paris (rue de la Madeleine) peinte par Antoine Blanchard.

mardi 8 décembre 2020

Candide de Voltaire : dissertation sur critiques et propositions de société

 

 

Synthèse de Candide



 Le XVIIIe siècle est un siècle de contestation sociale, politique, morale et religieuse dont l’Encyclopédie est le symbole. Mais parmi tous les genres littéraires repris par les philosophes, comme le roman, l’essai, il en est un qui se distingue, c’est le conte philosophique inventé par Voltaire. Son chef-d’œuvre est Candide publié sans nom d’auteur en 1759 à Genève. Le héros, Candide, est un jeune homme naïf à qui son précepteur, Pangloss, inculque une théorie très simpliste sur l’optimisme. Nous verrons dans ce roman ce que dénonce Voltaire et quelles propositions sont faites pour améliorer le sort de l’homme et de la société. Nous étudierons d’abord les différentes critiques, puis nous analyserons les propositions.

 

                 Voltaire fait de nombreuses attaques dans Candide.

            Il ridiculise tout d’abord les mœurs nobles dans le premier chapitre. Les personnages grotesques sont présentés comme des caricatures, des pantins. Le nom  « Thunder-ten-tronckh », à consonance germanique, est synonyme de dureté et de rusticité. Il se moque de l’avarice et des prétentions de la noblesse. Certains manquent de moyens financiers. L’auteur montre leur esprit de caste avec « les soixante et onze quartiers » requis pour faire partie de leur monde. Il critique la pseudo-rigidité des mœurs, ainsi que la morale en montrant leur penchant pour le libertinage.

            Voltaire tourne en dérision l’optimisme de Pangloss. Il s’oppose au philosophe allemand Leibniz et caricature sa pensée en ne retenant qu’une formule : « tout est pour le mieux dans le meilleur  des mondes possibles ». Pangloss est disqualifié à cause de son libertinage, sa conduite et par l’absurdité de son raisonnement.

            De plus, l’auteur fait une critique de la guerre. Il utilise pour cela l’absurde, le burlesque et la parodie épique. Les hommes sont déshumanisés. L’auteur utilise des désignations péjoratives : « coquins », « trente-mille âmes », « tas de morts et de mourants ». L’horreur est associée à une désinvolture qui se marque par le vocabulaire philosophique avec le « meilleur des mondes ». L’horreur de la guerre est présentée de façon détournée. Voltaire dénonce la barbarie des hommes et le scandale du recours à la religion avec les « Te Deum » qui sont des chants de grâce. Dieu est mêlé à barbarie, ce qui est absurde.  Voltaire dénonce aussi l’absurdité de la mise en scène qui décrit la guerre comme  un spectacle avec une accumulation des instruments de musique auxquels sont mêlés les canons : « les trompettes, les fifres, les haut-bois, les tambours ».

 

 

            L’auteur fait aussi une dénonciation ironique de l’arbitraire et du fanatisme. La fausse justification de l’autodafé est faite par des autorités «compétentes» désignées par «les sages du pays», «l’université de Coïmbre » ou encore le pronom indéfini  «on». Des motifs dérisoires nés de l’intolérance désignent les victimes : l’ostracisme du Juif ou pour « avoir épousé sa commère » ou « l’un pour avoir parlé et l’autre pour avoir écouté ». L’auteur pointe l’arbitraire dans l’arrestation sans jugement et la rapidité de la condamnation : « huit jours après ».

            Voltaire fait la satire des Jésuites du Paraguay. C’’est une société qui confond pouvoir religieux et pouvoir politique : « c’est une chose admirable que ce gouvernement », « Los padres y ont tout, et les peuples rien ; c’est le chef-d’œuvre de la raison et de la justice ».

            L’’auteur relativise le mythe du bon sauvage. Lors de la partie des Oreillons, il fait du sauvage une représentation qui relève du cliché : créature menaçante, nudité, zoophilie, cannibalisme… Ainsi, il en fait une créature proche de l’’animal, sans conscience morale, contrairement à Rousseau.

 

 

            Voltaire critique les institutions françaises. Il utilise l’’ironie pour railler l’étiquette de la Cour de France où le roi était intouchable : à travers la question de Cacambo « si on se jetait à genoux ou ventre à terre », mais aussi avec des mots triviaux, « lécher la poussière » qui est une manière de se moquer de la Cour de France assimilée à des singeries. L’outrance des réactions de Candide qui « se jette au cou de sa Majesté » traduit  l’’ébauche d’un roi proche de ses sujets. Il critique aussi les institutions : « prisons », « parlement » et « Église ».

            Il attaque plus généralement la France et sa capitale. La population est désignée par « la moitié des habitants est folle, quelques-unes où l’on est trop rusé, d’autres où l’on est communément assez doux, et assez bête ; d’autres où l’on fait le bel esprit ». On peut voir aussi une critique de la justice française car Martin « fut volé en arrivant de tout ce que j’’avais par des filous […] on me prit moi-même pour un voleur, et je fus huit jours en prison ».

            La société parisienne est aussi visée, et plus particulièrement la société littéraire et celle des spectacles. Si Voltaire parle des spectacles, c’est qu’il débouche logiquement sur l’idée d’une société qui est une société de masques, donc d’hypocrisie. Ainsi, la gaieté de la société parisienne cache les jalousies venimeuses et les pires scélératesses : « on y fait en riant les actions les plus détestables ».

            Enfin, Voltaire dénonce l’esclavage. Il cible le commerce de luxe dans l’onomastique « Vendendendur ». C’est une manière de détourner sur les Hollandais la responsabilité que partagent les Français pour mieux montrer la cruauté et l’absurdité des châtiments, tel que « on nous coupe la main ». Le vocabulaire de la cruauté et de la barbarie se combine à celui de la résignation de l’esclavage.  Cela fait apparaître encore plus révoltant le motif « c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ». La justification naïve de l’esclavage est faite par les parents. Elle traduit les promesses fallacieuses des missionnaires de faire le bonheur des Noirs. Ils sont assimilés à des recruteurs, tiennent des propos mensongers et n’appliquent pas les règles de la religion. Les missionnaires traitent les Noirs comme des marchandises : «  Ma mère me vendit dix écus patagons ».

 

Commerce triangulaire

 

Dans ce texte, Voltaire fait aussi des propositions pour améliorer le sort de l’’homme et de la société.

 Le pays d’Eldorado est perçu comme un modèle. Le palais des sciences en Eldorado est le rêve des philosophes et permet de mettre en avant les sciences exactes. C’’est un pays où règne la paix civile, il n’y a pas de prison, de parlement ni d’Église, mais la prospérité et le bonheur. La parité dans les fonctions est montrée par les « grands officiers » et les « grandes officières ». L’Eldorado est un modèle urbain grâce à l’hygiène, la voirie et les grands marchés qui favorisent le commerce et l’’industrie.

Les deux communautés proposées à la fin de ce conte sont l’’expression du bonheur chez Voltaire. Elles sont agricoles et champêtres, de petite taille pour celle de Candide et de « vingt arpents » pour celle du Turc. Elles sont agréables car le climat est doux et délectable grâce aux fruits exotiques cultivés et aux pâtisseries. Elles sont aussi utiles car elles permettent de vivre en autosuffisance : pour Candide « la petite terre rapporta beaucoup » et le Turc « se contente d’y envoyer vendre les fruits du jardin cultivé ». Ce sont des communautés d’intérêts et affectives. Le Turc travaille avec ses deux fils et filles, traités de la même manière ce qui montre la parité. Celle de Candide rassemble des compagnons qui exercent chacun leurs talents au profit de tous. Elles sont dirigées toutes les deux par quelqu’un d’expérience qui est accueillant et tolérant. Le vieillard turc a l’esprit d’hospitalité et Candide ne contredit pas Pangloss qui radote. Ces petites communautés ont à la fois des caractéristiques qui ressemblent à l’’Eldorado pour l’esprit pacifique, mais s’en éloignent par la taille réduite et le travail proposé ici comme un remède : la culture, le commerce et l’artisanat.

 

 Château de Ferney-Voltaire (01)

 

Dans Candide, Voltaire fait de nombreuses attaques. Il dénonce ainsi tout au long de ce conte les mœurs nobles, l’optimisme, la guerre, l’arbitraire et le fanatisme, les Jésuites du Paraguay, le mythe du bon sauvage, la France et la vie parisienne, ainsi que l’’esclavage. Pour cela, l’auteur utilise de nombreux procédés tels que l’ironie, le registre satirique, le burlesque, l’’absurde, ainsi que le registre pathétique. Ce conte fait aussi l’’objet de propositions pour améliorer le sort de l’’homme et de la société. Le pays d’Eldorado et les deux communautés, celles de Candide et du Turc, correspondent à cet aspect du conte. La chasse au bonheur et à la liberté, tel est bien le but des Lumières qui passe par la connaissance, la prospérité, le progrès et le travail utile à tous, sans être entravé par des dogmes religieux ou philosophiques : "Le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice et le besoin". C’est un programme pratique pour que le monde soit « passable » comme Voltaire le démontre aussi dans Babouc ou le monde comme il va. Voltaire, à la même époque, met en pratique à Ferney cet idéal, en faisant construire à ses frais deux manufactures, en faisant assécher les marais et en faisant même édifier une église dédiée à Dieu car « si Dieu n’’existait pas, il faudrait l’’inventer ».

 

Emilie 1S4 (janvier 2012)

 

Voir ICI  


mercredi 4 novembre 2020

Le Meilleur des mondes de Aldous Huxley, dissertation rédigée

 

Dissertation rédigée sur Le Meilleur des mondes

 de Aldous Huxley


 

Sujet : En quoi Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley est-il un avertissement sur les dérives possibles de la société moderne ?

 

Aldous Huxley

Aldous Huxley est l’auteur de plusieurs romans d’anticipation. Jouvence (1939) ou encore L’Ile (1962) sont particulièrement connus, mais le livre qui a le plus conquis les lecteurs est Le Meilleur des monde. En effet, cette contre-utopie, publiée en 1932, décrit avec un réalisme inquiétant ce que pourrait devenir notre monde contemporain. C’est pour cela que nous verrons en quoi ce meilleur des mondes est un avertissement sur les dérives possibles de la société moderne. Nous réfléchirons par domaines, en commençant par la génétique, puis l’économie de marché, pour continuer sur les sentiments et finir sur l’organisation mondiale.

            Commençons donc par la génétique. Dans  Le Meilleur des mondes, la génétique est totalement contrôlée, c’est l’ectogenèse. Lors de la « fabrication » d’un embryon, des « ouvriers spécialisés » sont capables, « grâce » à un système appelé bokanovsky, de lui créer une centaine de jumeaux qui lui seront identiques. De plus, les embryons sont programmés pour répondre aux besoins de la société selon des castes. Ainsi, ils sont rendus intelligents ou idiots selon les besoins économiques et démographiques. La société entière est régulée scientifiquement.

           Comparons cela au monde dans lequel nous vivons. Dans notre monde, la génétique est un domaine en développement. Depuis peu, des clonages ont été effectués, même si, pour l’instant, seuls ceux concernant les animaux ont été rendus publics. Quant aux embryons, il existe déjà des tris permettant d’éviter certaines maladies mais aussi des tris secondaires comme par exemple le sexe du futur enfant. Nous nous apercevons que la génétique du monde d’aujourd’hui s’inspire de celle du Meilleur des mondes et pourrait peut-être s’en approcher de plus en plus. De la mère porteuse à l’utérus artificiel, encore combien de temps ?

           

         Continuons par le principe de l’économie dans le meilleur des mondes. La société de ce roman d’Aldous Huxley est fondée sur l’économie de marché. Dès l’enfance, toute personne vivant là-bas est conditionnée afin qu’elle aime porter des vêtements neufs mais aussi qu’elle apprécie les sports en plein air. Ces sports entraînant l’usage d’accessoires électroniques compliqués et des transports, cela est donc un point positif pour l’économie de marché. De plus, les enfants s’amusent avec des jouets qui ont demandé d’importantes recherches et donc coûtant plus d’argent. Toutes les personnes de cette société sont donc avant tout des consommateurs.

            De même, l’économie de marché est aussi un concept très présent dans notre société. En effet, très tôt, les enfants grandissent avec, entre autres, toutes sortes de jeux électroniques et la télévision. De plus, il y a partout un grand nombre de magasins qui favorisent l’extrême consommation. Quant aux divers moyens de transports, ils se démocratisent parfois jusqu’à devenir indispensables. Sur le plan économique et politique, on peut également voir des similitudes qui se rapprochent à mesure que le temps passe, avec la mondialisation de l’économie et la formation de grandes puissances qui regroupent des états.


Le soma : la drogue miracle ?

 

            Intéressons-nous maintenant aux sentiments présents dans chacune des sociétés. Nous commencerons, comme à notre habitude, avec celle du meilleur des mondes. Là-bas, « chacun appartient à tous », il n’existe pas de foyers ni de couples. Au contraire, il est immoral de garder le même partenaire pendant une période importante. Cela évite d’éprouver des sentiments. Si certains apparaissent quand même, ils sont immédiatement chassés par le conditionnement et parfois même par le soma, cette drogue sans danger qui rend heureux et sans volonté. Les habitants du meilleur des mondes n’éprouvent donc aucun sentiment et s’en trouvent bien.

            Au contraire, là où nous vivons les sentiments sont encore bien présents. Cependant, de plus en plus de foyers se désunissent car le divorce devient quelque chose de banal. De ce fait, les seconds mariages et les familles recomposées se font de plus en plus présents. De plus, chez nous aussi, il est de plus en plus facile de refouler des sentiments car la drogue, bien qu’illégale peut être utilisée, en plus d’autres médicaments accessibles en pharmacie et eux, bien légaux. Du point de vue des sentiments, nous pouvons nous apercevoir que si notre société est encore loin de celle du meilleur des mondes, nous pouvons déjà remarquer qu’elle en prend la direction, les amours virtuels par le net en montrent les prémices.


            Nous finirons en examinant l’organisation mondiale des deux modes de vie. Dans Le Meilleur des mondes les personnes vivent dans un Etat mondial. Le monde  entier est donc sans cesse en lien mais aussi sous une même direction, avec une même langue. Toutes les régions du monde sont uniformisées afin de ne former plus qu’un seul état dont  la devise est « communauté, identité, stabilité ».

            Or, en ce moment ce concept est en essor. Les différents états communiquent et se mettent d’accord pour des actions et organisations communes. De nouveaux liens comme Internet, de nouveaux transports, tel l’avion, permettent un contact réel avec des habitants très lointains et l’uniformisation s’installe. La mondialisation nous amène à un état mondial. Nous pouvons donc en déduire que sur ce point notre monde est vraiment proche de celui imaginé par Aldous Huxley.  

         

                D’après tous ces aspects, et il y en a bien d’autres, nous nous rendons compte que Le Meilleur des mondes est réellement un avertissement sur les dérives possibles de la société. Du point de vue démographique, économique, social, culturel mais aussi politique, nous nous apercevons clairement que notre société actuelle est en train de se rapprocher de celle décrite par Aldous Huxley, même si cette dernière nous apparaît encore comme une contre-utopie.  Ce roman choquant nous oblige donc à réfléchir sur le fonctionnement de notre société. Il nous pousse à vérifier les valeurs de notre civilisation, mais surtout à nous interroger sur l’avenir du monde qui, après la lecture de ce roman, nous inquiète : allons-nous perdre tout libre arbitre, tout sentiment, toute liberté, toute réflexion ? Serons-nous même encore des humains ? Ou des produits artificiels uniquement occupés à faire tourner une machine économique, sans projet humaniste, sans imagination, sans culture, sans mémoire, sans espoir et sans amour ?  Le bonheur obligatoire à ce prix-là, ne serait-ce pas plutôt une catastrophe épouvantable, pire que le réchauffement climatique ? 

 

Ludmilla  2nde 7 (février 2010)

 

Cliquez ICI  pour trouver


la dissertation encore plus détaillée


de Nicolas, 2nde 7.

 

Conseils au bon voyageur de Victor Segalen commentaire du poème

 

Conseils au bon voyageur

Ville au bout de la route et route prolongeant la ville :

       ne choisis donc pas l’une ou l’autre, mais l’une et

       l’autre bien alternées.

Montagne encerclant ton regard le rabat et le contient

      que la  plaine ronde libère. Aime à sauter roches et

      marches ; mais caresse les dalles où le pied pose

      bien à plat.

Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne

     revenir au son. Seul si tu peux, si tu sais être seul,

     déverse-toi parfois jusqu’à la foule.

Garde bien d’élire un asile. Ne crois pas à la vertu

    d’une vertu durable : romps-la de quelque forte

    épice qui brûle et morde et donne un goût même à

    la fadeur.

Ainsi, sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable,

    sans mérites ni peines, tu parviendras, non point,

    ami, au marais des joies immortelles,

Mais aux remous pleins d’ivresses du grand fleuve

   Diversité.

 

Victor Segalen Stèles 1912

 

 

Victor Segalen (né le 14 janvier 1878 à Brest - mort au Huelgoat le 21 mai 1919) est un poète français dont l’œuvre a été particulièrement imprégnée des cultures qu’il a rencontrées dans l’exercice de son métier de médecin de la marine. En 1912, il fit paraître à Pékin le recueil Stèles. Le poème Conseils au bon voyageur se trouve dans la section Stèles du bord du chemin. Les stèles sont des plaques de pierre, montées sur un socle, dressées vers le ciel et portant une inscription. Leur orientation est significative. Plantées le long du chemin, elles sont adressées à ceux qui les rencontrent, au hasard de leurs pérégrinations. Une phrase en chinois, comme celles inscrites sur les stèles de pierre, est portée en tête de chaque poème. Nous verrons en quoi ce poème, à l’image des stèles chinoises, se présente comme un guide de voyage et de sagesse. D’abord, nous examinerons la feuille de route établie par le poète puis nous nous demanderons en quoi ce poème invite à un voyage expérimental.

 

I) Une feuille de route

 

A) Un itinéraire de voyage

 

- L’itinéraire proposé est vaste, sans localisations précises. Des termes génériques ouvrent à un immense parcours du monde, de la « Ville au bout de la route » au « grand fleuve diversité » en passant par « Montagne » et « plaine ronde ». Les noms « Ville » et « Montagne » au début des deux premières strophes marquent les premières étapes du voyage. Les deux strophes suivantes sont consacrées au repos de l’esprit, plus que du corps, et l’adverbe à valeur conclusive « ainsi », à l’avant dernière strophe, dirige le voyageur vers le but ultime : « tu parviendras […] aux remous pleins d’ivresses du grand fleuve Diversité ».

 

- Ce parcours se fait avec des actions douces « sans mérites ni peines » où le voyageur est encouragé « à sauter roches et marches » et à caresser « les dalles où le pied pose bien à plat ». Ce cheminement paraît sans effort, avec des pauses de recueillement recommandées : « Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son. »

- Les sens sont tous sollicités et participent à la découverte du monde, que ce soit « le regard » encerclé par la montagne et libéré par la plaine, la main qui caresse les dalles, l’oreille prête au son comme au silence et enfin l’odorat et le goût dirigés vers « quelque forte épice qui brûle et morde et donne un goût même à la fadeur ».

Cet itinéraire qui va de la culture à la nature, mais pourrait tout aussi bien être réversible, s’accomplit dans la quiétude, en harmonisant les sensations. Il suffit de suivre une route, puis une autre, sans s’arrêter, en honorant par la caresse les dalles posées par la main de l’homme pour éviter les « faux pas ». Il suffit aussi d’écouter et de suivre les conseils du poète.

 

B) Des mises en garde pour ouvrir et non pour contraindre

 

- Le poète s’adresse « au bon voyageur » qu’il qualifie d’ « ami » et qu’il tutoie familièrement sans que jamais le « je » n’intervienne. Ce guidage affectueux est une ligne de conduite, une attitude à suivre, plutôt qu’un chemin physique balisé.

 

- Plusieurs de ces conseils sont de type impéro-négatif : « ne choisis donc pas l’une ou l’autre, mais l’une et l’autre bien alternées » ou « Ne crois pas à la vertu d’une vertu durable ». Ils reposent sur des paradoxes : choisir deux choses à la fois semble difficile. Cela revient à ne pas choisir et à tout tenter tour à tour ; de même considérer la vertu comme éphémère conduit à relativiser dans le temps et l’espace tout ce qui conduit au bien et au vrai. En quelque sorte, il s’agit de multiplier les expériences, les voies de la connaissance, sans jamais en tenir une comme définitive et s’y arrêter. C’est être en recherche permanente, en mouvement continuel.

- Toute la prescription du poète repose sur un système d’oppositions et de dépouillements successifs au cours du voyage d’où la fréquence de la conjonction « mais » et des privatifs « sans » dans : « mais l’une et l’autre …mais caresse … mais aux remous » et « sans arrêt ni faux pas, sans licol et sans étable, sans mérites ni peines ». Il convient de se défaire des habitudes, des systèmes de penser et d’agir et des chimères consolatrices, qualifiées de « marais des joies immortelles ». 

Ce qui ressemble à des interdictions ou des limitations à cause des ordres négatifs et des oppositions est en fait une mise en garde destinée à ouvrir le champ des possibles, à ne rien refuser, à ne rien fixer. L’important est donc d’expérimenter.

 

 

II) Un voyage expérimental

 

A) Par l’esthétique du divers d’un poème-stèle

 

- La disposition du poème  avec le décalage vers la droite des vers libres et l’alternance des rythmes marqués par des retours à la ligne en nombres différents (2/3/2/3/2/1) l’assimile à une stèle à la base fragile formée par le mot-socle « Diversité ». L’épigraphe chinoise au sommet du poème brouille les modes d’expression en mélangeant les écritures. Le poème est le signifiant de la diversité et une figuration de la stèle.

 

- La libération progressive donnée par le voyage est signifiée dans la forme par des vers libres proches des versets et par les strophes irrégulières.

 

- La musicalité est rendue par des reprises (seul, vertu, etc.) et des chiasmes comme au premier vers : « Ville au bout de la route et route prolongeant la ville » ou plus loin : « Repose-toi du son dans le silence, et, du silence, daigne revenir au son.»

Le poème est donc signifiant et signifié de cette recherche d’un parcours de vie. Signe qui coïncide avec l’âme. Telle la stèle du bord du chemin, il fait signe, il guide et enseigne.

 

B) Par une sagesse libératrice  à la recherche de la notion du différent

 

- Les injonctions positives « Aime à sauter roches et marches … caresse les dalles … repose-toi du son …daigne revenir au son … déverse-toi … garde bien d’élire un asile … romps-la » sont autant de recettes pour explorer la totalité des possibles et fuir tout conformisme.

 

- Le bien-être et la liberté sont connotés dans les termes « aime … caresse … repose-toi » et dans le refus des attaches et des contraintes sociales ou morales : « sans licol et sans étable, sans mérites ni peines ». Le voyage de la vie peut se faire en douceur, dans la sociabilité comme dans la solitude, dans la nature ou la culture. Choisir serait refuser des expériences.

 

- Cependant le maître mot est celui qui clôt le poème : « Diversité » d’où un jeu sur l’alliance des contraires : la foule et la solitude, le silence et le son. Le futur prophétique « tu parviendras » conduit « aux remous pleins d’ivresses du grand fleuve Diversité ». Ce n’est pas le fleuve « Inclination » de la carte du tendre de Madeleine de Scudéry mais le grand courant de la Vie fait de variété d’expériences, de multiplicités de rencontres. C’est une invitation à goûter des moments forts « quelque forte épice » et à se jeter dans des « remous » qui font le sel de la vie d’ici-bas sans espérer et sans s’embourber « au marais des joies immortelles ».

 

Cette philosophie du voyage qu’est la vie, Segalen lui-même l’a résumée dans cette réflexion : «  Seigneur innommable du monde, donne-moi l’Autre ! - Le Div... non, le Divers. Car le Divin n’est qu’un jeu d’homme. »

 

Voir ICI la question transversale contenant ce poème

 

 

« Voir le monde et l’ayant vu, dire sa vision.
Je l’ai vu sous sa diversité.

Cette diversité j’en ai voulu, à mon tour, faire sentir la saveur.

A l’heure où le monde s’est uniformisé,
ruinant l’inappréciable diversité de l’Ailleurs,
il nous faire croire encore
au mythe de la métamorphose par le voyage.

C’est par la Différence, et dans le Divers, que s’exalte l’existence.
Le Divers décroît. Là est le grand danger terrestre... »

 

Céline Roumégoux