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mercredi 19 avril 2023

Le nègre de Surinam, Voltaire, analyse linéaire extrait chapitre 19 de Candide

 Analyse linéaire

Candide (1759) de Voltaire extrait du chapitre 19



"En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. « Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais- tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? -- J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre. -- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qEn approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite. "Eh, mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ? - J'attends mon maître, monsieur Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.

- Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ?

- Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis trouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l'honneur d'être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère. " Hélas ! je ne sais pas si j'ai fait leur fortune, mais ils n'ont pas fait la mienne. Les chiens, les singes, les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. Les fétiches hollandais qui m'ont converti me disent tous les dimanches que nous sommes tous enfants d'Adam, blancs et noirs. Je ne suis pas généalogiste ; mais si ces prêcheurs disent vrai, nous sommes tous cousins issus de germains. Or vous m'avouerez qu'on ne peut pas en user avec ses parents d'une manière plus horrible.

- Ô Pangloss ! s'écria Candide, tu n'avais pas deviné cette abomination ; c'en est fait, il faudra qu'à la fin je renonce à ton optimisme. - Qu'est-ce qu'optimisme ? disait Cacambo.

- Hélas ! dit Candide, c'est la rage de soutenir que tout est bien quand on est mal." Et il versait des larmes en regardant son nègre, et, en pleurant, il entra dans le Surinam."

Introduction

Voltaire, célèbre philosophe des Lumières, comme le plupart des auteurs du XVIIIème siècle est sensible aux droits humains, comme la liberté et l’égalité, qui sont des sujets principalement abordés dans ses écrits philosophiques. Le conte philosophique Candide de Voltaire raconte les mésaventures du personnage éponyme qui, chassé de son paradis originel, le château de son enfance, parcourt le monde et découvre après les catastrophes naturelles ou humanitaires que la doctrine que lui a enseignée son précepteur est fausse à savoir que : « Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes ». L’auteur en profite pour dénoncer toutes les infamies de ce monde comme la guerre, le fanatisme religieux ou l’esclavage. C’est ainsi que dans le chapitre 19, il imagine une rencontre entre Candide et son serviteur Cacambo avec un esclave misérable. Ce dernier leur raconte son histoire sans rien cacher sur tous ceux qui se sont servis de lui et ont menti. Comment Voltaire lutte-il contre l’esclavage ? Le premier mouvement portera sur la présentation pathétique de l’esclave et le second sur le long discours de l’esclave dans lequel il raconte sa triste histoire avec un regard critique.

 

I. Présentation pathétique de l'esclave

- C’est un passage narratif qui vise à surprendre car il y a la mise en situation avec un gérondif : « en approchant de la ville »

- Ensuite une action au passé simple : « Ils rencontrèrent » puis « un nègre » et ce n’est donc qu’ensuite que le lecteur suppose que c’est un esclave puisqu’il est question d’un maître.

- Dès le départ, le portrait de ce personnage est repoussant et misérable on relève ainsi les extensions du nom nègre : « étendu par terre n’ayant plus que la moitié de son habit ». A noter l’emploi péjoratif de mot « nègre » mais qui ne choquait personne à l’époque.

L'esclave est donc décrit dans un état misérable et déplorable. L'horizontalité de sa position (« étendu par terre ») contraste avec la verticalité des voyageurs, mettant en évidence sa vulnérabilité et sa soumission. Le narrateur souligne également le manque de vêtements de l'esclave, qui porte seulement « la moitié de son habit », ce qui renforce son image d'objet dénué de valeur.

 

- Enfin, ce portrait misérable se termine par des références à des mutilations ou handicaps : « Il manquait la jambe gauche et la main droite »(l 2-3) signes de grande maltraitance et cruauté subies par ce pauvre homme.

- La première intervention de Candide au discours direct révèle la pitié du personnage qui correspond à celle de n’importe quel observateur empathique, on a d’abord des signes d’effroi par des exclamations : « Eh ! » ; « Mon Dieu ! »

- Candide qualifie l’état de cet esclave « d’horrible », mot qui appartient au champ lexical de l’horreur et qui marque le dégoût.

- La pitié de Candide s’accompagne de signes d’empathie comme l’apostrophe affective « mon ami ». L’empathie de Candide se manifeste aussi par la question qu’il pose, qui vise à s’informer sur le cas de cet esclave. Cela montre donc son intérêt sur l’esclavage.

- L'émotion de Candide face à la souffrance de l'esclave est palpable. Il s'exprime avec des phrases interrogatives et exclamatives, démontrant son empathie et sa consternation face à cette situation. Le registre pathétique est également présent à travers les réactions physiques de Candide, qui verse des larmes et pleure en entendant l'histoire de l'esclave. Cette réaction montre la prise de conscience du personnage principal de l'horreur de l'esclavage et de la réalité du monde dans lequel il vit.

- Le maitre de l’esclave est appelé : « M.Venderdendur » cette onomastique correspond à la réalité de l’esclavagiste. En effet, l’esclavage est fortement lié au commerce. Ce nom propre imite moqueusement la sonorité hollandaise derrière laquelle on entend vender à la dent dure, ce qui correspond à la réputation de ce négociant et aussi à un maitre intraitable.

- La question qui suit, paraît toujours aussi naïve : « Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ?» C’est une interrogation totale, qui permet d’introduire la maltraitance puisqu’il y a une réponse positive concernant le pauvre homme rencontré.

- Mais c’est aussi un cas à généraliser à tous les esclaves comme l’indique l’assertion « C’est l’usage ». Le terme usage est un euphémisme désignant une habitude, certainement un droit. Ici le droit en question est celui du code noir, pour tout acte de cruauté envers les esclaves.

 

II- Le long discours de l'esclave et sa critique du système esclavagiste

- L'esclave raconte son histoire avec une grande lucidité et dénonce les abus dont il a été victime. Il évoque les différentes étapes du commerce triangulaire, en commençant par la traite négrière et la capture d'esclaves parmi différentes ethnies africaines. Il décrit ensuite la violence des méthodes employées pour soumettre les esclaves et les conséquences dévastatrices pour eux, comme les mutilations et les chaînes. Enfin, il mentionne le rôle des Européens dans l'organisation et la perpétuation de ce système, en citant les nations impliquées, telles que les Hollandais et les Français.

- Relation entre l'esclave et le sucre. Raccourci efficace « c'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ». Ici aussi distorsion, décalage entre la notion de plaisir en Europe et les conditions de vie inhumaines pour les esclaves. Dénonciation du commerce triangulaire qui enrichit les nations occidentales en exploitant honteusement les Africains.

- Insistance sur l'hypocrisie des prêtres. Le mot « fétiche » est une impropriété de terme afin d'éviter la censure. Ils ont convaincu la mère de l’esclave de le vendre pour son bien et celui de ses parents, ce qui est un odieux mensonge et montre l’exploitation de la misère des Africains par les prêtres missionnaires.

- Voltaire met en évidence la contradiction « nous sommes tous enfants… » alors qu'on pratique l'esclavage. Cette contradiction trahit l'hypocrisie des prêtres qui ne pratiquent pas la charité chrétienne qu’ils enseignent.

- Le discours de l'esclave est empreint d'ironie et d'antiphrase, ce qui permet de renforcer sa critique du système esclavagiste. Par exemple, il parle de la « bonté » des Européens et de la « douceur » des Hollandais, soulignant ainsi l'hypocrisie et la cruauté de ces nations. Cette utilisation de l'ironie permet également de montrer l'intelligence et la perspicacité de l'esclave, qui est capable de prendre du recul sur sa situation et de dénoncer les injustices dont il est victime : « Les chiens, les singes et les perroquets sont mille fois moins malheureux que nous. »

 

Conclusion :

Dans cet extrait de Candide, Voltaire lutte contre l'esclavage en présentant un personnage d'esclave misérable et en dénonçant les abus du système esclavagiste à travers son discours critique. Cette rencontre permet également à Candide de prendre conscience de la réalité du monde et de remettre en question l'optimisme enseigné par Pangloss. Ainsi, Voltaire utilise le conte philosophique pour dénoncer les injustices et les souffrances engendrées par l'esclavage et pour proposer une réflexion sur la condition humaine, la quête du bonheur et la liberté. Montesquieu avait mené le même combat dans De l'esclavage des nègres  extrait du livre 15 De l'Esprit des Lois, publié en 1748.

mardi 18 avril 2023

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne par Olympe de Gouges. Analyse du préambule et des deux premiers articles

 

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est un projet de texte législatif français, exigeant la pleine assimilation légale, politique et sociale des femmes, rédigé le 14 septembre 1791, par Olympe de Gouges, publié dans la brochure Les Droits de la femme, adressée à la reine Marie-Antoinette.



Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne
 

À décréter par l'Assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature.
 
Préambule
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d'être constituées en Assemblée nationale.
Considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.
En conséquence, le sexe supérieur, en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.
 
Article premier. La Femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.
 
Article 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l'oppression.
 
Article 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n'est que la réunion de la Femme et de l'Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.
 
Article 4. La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l'exercice des droits naturels de la femme n'a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l'homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.
 
Article 5. Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société ; tout ce qui n'est pas défendu pas ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elles n'ordonnent pas.
 
Article 6. La loi doit être l'expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents. 
Article 7. Nulle femme n'est exceptée ; elle est accusée, arrêtée, et détenue dans les cas déterminés par la loi : les femmes obéissent comme les hommes à cette loi rigoureuse.
 
Article 8. La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée aux femmes.
 
Article 9. Toute femme étant déclarée coupable ; toute rigueur est exercée par la Loi.
 
Article 10. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l'ordre public établi par la loi.


 
Article 11. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d'un enfant qui vous appartient, sans qu'un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.
 
Article 12. La garantie des droits de la femme et de la Citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de celles à qui elle est confiée.
 
Article 13. Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, les contributions de la femme et de l'homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l'industrie.
 
Article 14. Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que par l'admission d'un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l'administration publique, et de déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée de l'impôt.
 
Article 15. La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration.
 
Article 16. Toute société, dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation, n'a pas coopéré à sa rédaction.
 
Article 17. Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés : elles ont pour chacun un droit lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.
 
Postambule
Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? Quels sont les avantages que vous recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste t-il donc ? La conviction des injustices de l'homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu'auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. S'ils s'obstinent, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l'énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être Suprême. Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir. Passons maintenant à l'effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et puisqu'il est question, en ce moment, d'une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l'éducation des femmes.
Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l'administration nocturne des femmes ; le cabinet n'avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l'ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé.

 

Analyse du préambule et des deux premiers articles

La Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est un projet de texte législatif français, exigeant la pleine assimilation légale, politique et sociale des femmes, rédigé le 14 septembre 1791, par Olympe de Gouges, publié dans la brochure Les Droits de la femme, adressée à la reine Marie-Antoinette.

Femme de lettres et femme politique, Olympe de Gouges est considérée comme une pionnière du féminisme. Très investie dans la révolution française, elle rédige en 1791 une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, qu'elle adresse à la reine Marie-Antoinette, en écho à celle de 1789. Elle lutte pour l'émancipation de la femme, pour la reconnaissance de sa place sociale et politique. Elle milite également pour l'abolition de l'esclavage. Proche de Condorcet, elle rejoint les Girondins en 1792. Condamnée par le Tribunal révolutionnaire, elle est guillotinée le 3 novembre 1793.

Introduction

À la Révolution française, en 1789, le peuple représenté par ses députés se dote d’une déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dans cette déclaration, aucune référence n'est faite aux femmes. Olympe de Gouges rédige donc une déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. Dans le préambule, on s’aperçoit qu’elle conserve la forme de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, avec des variantes pour affirmer les droits de la femme. Quels droits spécifiques réclame-t-elle ? On examinera d’abord les reprises de la DDHC, puis l’originalité (les différences avec la DDHC) de cette déclaration.

 

I) Les reprises de la DDHC :

- Revendiquer le droit à être constitué en assemblée nationale mais en désignant exclusivement les femmes.

- Accusation semblable : le malheur public et la corruption des gouvernements viennent de l’ignorance, de l’oubli ou du mépris des droits humains.

- Même visée de la déclaration qui vise : « au maintien de la Constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous ».

- Revendication de la tutelle de l’Être suprême (remplace Dieu en le périphrasant)

- Pour les deux premiers articles, l’auteur réécrit la DDHC en ajoutant les droits des femmes et l’égalité stricte avec ceux des hommes.

 

II) Les spécificités (originalité) de la DDFC :

- périphrase avec énumération ternaire pour désigner les femmes : mères/fille/sœurs au lieu « des représentants du peuple français » ce qui est un argument émotionnel pour toucher les hommes qui ont tous une mère, une fille ou une sœur. On note que le terme « épouse » n’est pas utilisé, sans doute pour montrer que les lois du mariage ne sont pas naturelles car elles asservissent les femmes.

- Désignation exclusivement féminine sauf ligne 10 « pouvoir des femmes et pouvoir des hommes. »

- Désignation élogieuse des femmes : « Le sexe supérieur en beauté comme en courage… »

- Féminin ajouté à l’article 1 : affirmant l’égalité de l’homme et de la femme « en droit » (l-21)

- Article 2 : hommes et femmes sont associés pour avoir de vrais droits

 

     Ce préambule est une réécriture, voire un pastiche ironique de la DDHC avec une affirmation de l’égalité, voire de la supériorité des femmes. Olympe de Gouges utilise des arguments émotionnels et logiques pour réclamer les mêmes droits que les hommes (« la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l'oppression »), parfois de manière contestable, (causes du malheur public liées uniquement à l’exclusion des droits des femmes l-3) ou qui risquent de choquer les hommes (supériorité des femmes l-16.).

 Cette déclaration décalquée sur celle des hommes est destinée à leur faire prendre conscience de leur manque de considération des droits de la femme et de leur obscurantisme patriarcal. Il y a donc une revendication de la parité complète concernant les droits et les devoirs des hommes et des femmes. Malheureusement, Olympe de Gouges ne sera pas suivie et sera même exécutée par les révolutionnaires sous la Terreur en 1793. Il faudra attendre le mouvement des suffragettes qui militeront pendant 150 ans, du début du XIXe siècle jusqu’en 1945 pour obtenir le droit de vote pour les femmes en France. Ce n’est qu’en 1965 qu’elles peuvent gérer leurs biens propres et exercer une activité professionnelle sans le consentement de leur mari. En 1970, elles obtiennent l’autorité parentale conjointe et en 1975 le droit à l’IVG. Mais il reste beaucoup à faire pour l’égalité des salaires et des responsabilités sociales et politiques. Et ailleurs dans le monde, dans certains pays, les femmes sont encore considérées comme des mineures sans aucun droit.

 

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Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789


 

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l'Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Être Suprême, les droits suivants de l'homme et du citoyen.

 

Article premier - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune.

Article 2 - Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression.

Article 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément.

Article 4 - La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Article 5 - La loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. Tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu'elle n'ordonne pas.

Article 6 - La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Article 7 - Nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu'elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi doit obéir à l'instant ; il se rend coupable par la résistance.

Article 8 - La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Article 9 - Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Article 10 - Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi.

Article 11 - La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Article 12 - La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.

Article 13 - Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable ; elle doit être également répartie entre les citoyens, en raison de leurs facultés.

Article 14 - Les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée.

Article 15 - La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Article 16 - Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

Article 17 - La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité.