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jeudi 6 juin 2019

Huis Clos (Scène 5) de Jean-Paul Sartre



Commentaire de Huis Clos - Scène 5 (excipit)
  
                L’existentialisme est un courant philosophique et littéraire du XXe siècle, qui postule que l’être humain est défini par ses propres actes. Jean-Paul Sartre l’explique par sa formule : "L’existence précède l’essence", ce qui signifie que l’Homme existe finalement par ses actions, dont il est pleinement responsable et qu’il a choisies, ce qui justifie son existence qui, sinon, serait absurde. Dans sa pièce de théâtre en un acte et cinq scènes, Huis Clos, parue en 1944, Jean-Paul Sartre pose les bases de l’existentialisme. Il nous présente ainsi trois personnages, Garcin, Inès et Estelle, que leurs actes ont conduits en enfer. Dans la scène 5, depuis le moment où Garcin dit : « Je vous dis qu’ils ouvriront », jusqu’à la fin de la scène et de la pièce, nous verrons comment Jean-Paul Sartre condamne ses personnages à l’enfer perpétuel. Nous analyserons ainsi la torture morale qu’inflige chacun d’eux aux autres et le lien indéfectible qui les unit et les oblige à rester ensemble sous le regard des autres.

           
            I - La souffrance morale ou « l’enfer c’est les autres »
Ecouter ICI l’explication de Sartre lui-même

            Les trois personnages sont face à une souffrance psychologique insoutenable.
Garcin exprime cette douleur morale par la colère : il ne supporte effectivement plus l’étrange passion qu’éprouve Estelle à son égard ni l’hostilité insurmontable d’Inès. Il s’emporte et devient violent, il frappe contre la porte pour se sauver, et exprime clairement son profond dégoût envers ses deux partenaires : "Je ne peux plus vous supporter" et à Estelle : « Tu me dégoûtes encore plus qu’elle ».
            Estelle, quant à elle, exprime sa souffrance par les sanglots. Le fait de rester seule avec Inès pour l’éternité la terrorise : « Inès a sorti ses griffes, je ne veux plus rester seule avec elle ». Elle devient même hystérique et en vient à supplier Garcin : « Garcin, je t’en supplie, ne pars pas ».
            En ce qui concerne Inès, c’est la jalousie qui la ronge. Elle désire plus que tout Estelle, mais ne supporte pas que cette dernière convoite un homme : « Ha ! Lâche ! Lâche ! Va ! Va te faire consoler par les femmes ». Elle exprime ainsi sa profonde répugnance des hommes.
            La souffrance physique n’est rien en comparaison de la souffrance morale, aussi Garcin dit-il : « J’accepte tout », suivi d’une énumération d’instruments de torture, « les brodequins, les tenailles, le plomb fondu, les pincettes », véritable panoplie des tourments de l’enfer, selon la représentation populaire.
            Nous remarquons donc l’inutilité totale de la douleur physique face à la souffrance de l’esprit : « Pas besoin de gril : l’enfer, c’est les Autres », comprend soudain Garcin.

           
            II - Un trio infernal ou le cercle vicieux

            Ce trio infernal va devenir un trio inséparable sans aucune solution, ni issue, car, lorsque contre toute attente, la porte de la chambre de l’hôtel infernal s’ouvre, aucun d’eux ne peut et ne veut s’enfuir.
            Estelle, qui aime les hommes, tente de traîner dehors Inès pour s’accaparer Garcin, qu’elle considère comme son « amour ». Garcin, quant à lui, désire rester avec Inès, dans le but de la convaincre qu’il n’est pas un lâche. Inès est terrifiée à l’idée d’être jetée dans le couloir, loin des deux autres. Un duo entre Garcin et Estelle pourrait s’amorcer, mais ce dernier affirme qu’il lui est impossible d’éprouver le moindre sentiment pour Estelle tant qu’Inès les observe : « Je ne peux pas t’aimer quand elle me voit ».
            Un duo homosexuel pourrait se former, celui d’Inès et Estelle, mais étant donné l’hétérosexualité d’Estelle et la profonde haine qu’éprouve Inès pour Garcin, ce duo reste impossible à former.
            Le trio restera tel qu’il est pour l’éternité puisqu’il n’y a aucun moyen de s’échapper, ni même de se supprimer car on ne meurt pas en enfer : « Morte ! Morte ! Morte ! Ni le couteau, ni le poison, ni la corde. C’est déjà fait, comprends-tu ? Et nous sommes ensemble pour toujours », s’écrie Inès. Les derniers mots de la pièce reviennent à Garcin qui, résigné et grave, déclare : « Eh bien, continuons ».

           


            III - Le regard comme principal instrument de torture et marque de l’existentialisme
           
            Tout au long de sa pièce, mais principalement dans la scène 5, Jean-Paul Sartre met en place les principes fondamentaux de la notion d’existentialisme, avec l’omniprésence du regard.
            En nous rappelant tout d’abord que nous sommes ce que nous avons fait. Ainsi Garcin demande : « Peut-on juger une vie sur un seul acte ? ». Nous pouvons en déduire que, à cause de sa désertion, Garcin restera aux yeux des autres un lâche : « Seuls les actes décident de ce qu’on a voulu » déclare Inès qui ajoute : « Tu n’es rien d’autre que ta vie ».
            En ce qui concerne le regard, il n’existe plus que deux personnes pour Garcin : Estelle et Inès. La seule manière pour lui de se sentir encore un héros est de ne plus paraître un lâche aux yeux d’Inès : « Je suis mort trop tôt. On ne m’a pas laissé le temps de faire mes actes ». Comme le dit Jean-Paul Sartre : « on existe par le regard des autres ». Ici Garcin ne peut exister qu’à travers le regard d’Inès et le jugement qu’elle porte sur lui.
            Nous pouvons également associer le thème du regard à celui de la vérité et du jugement dernier. En effet, la vérité ressort du regard que les autres portent sur nous. Ainsi, Garcin est un lâche, puisqu’Inès et Estelle le voient comme tel. « Tu me verras toujours ? » demande Garcin à Inès qui réplique de manière implacable : « Toujours ». Impossible de se dérober, de chercher l’oubli, de mentir ou de regretter les actes passés : « On meurt toujours trop tôt ou trop tard. Et cependant la vie est là, terminée ; le trait est tiré, il faut faire la somme. » L’homme devra payer l’addition de ses actes car il n’a plus la possibilité de les changer. L’enfer est pavé de bonnes intentions, comme dit le proverbe, mais les intentions ne peuvent rien changer, c’est trop tard ! C’est pendant la vie qu’il faut agir et s’engager dans la solidarité de l’aventure de l’humanité, ainsi les autres ne seront plus un enfer !

            Dans l’enfer de Jean-Paul Sartre, les instruments de torture physique n’ont pas lieu d’être, puisqu’ici « l’enfer, c’est les autres ». Garcin, Inès et Estelle sont ainsi trois personnages destinés à une souffrance morale inhumaine, qui ne fait que commencer. Par  ce huis clos, Jean-Paul Sartre met en scène une manière de penser et de définir l’être humain qui ne se justifie que par ce qu’il fait et qui interagit avec l’autre, tous les autres. Ainsi, liberté, responsabilité et solidarité sont trois principes indissociables chez Sartre. « Nous sommes condamnés à être libres », en effet, nous sommes ce que nous avons fait, nous avons choisi nos actes, donc nous sommes responsables. C’est l’homme qui choisit son destin. Mais nous ne pouvons exister que par rapport aux autres, d’où la notion de solidarité qui est indispensable, de même que l’engagement dans la communauté du genre humain : « L’existentialisme est un humanisme ».


Quentin 1ère S4 (2012)


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