L’autobiographie
: une célébration de l’ego ?
Dissertation
rédigée
Sujet
: Le roman autobiographique n’est qu’une célébration de l’ego.
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Le roman autobiographique est un genre
littéraire qui a mis beaucoup de temps à se définir et à s’imposer. Même s’il
existe de nombreuses œuvres anciennes s’apparentant au genre, telles que Les
Confessions de Saint Augustin, c’est à la fin XVIIIe siècle qu’est
publiée la première véritable autobiographie : Les Confessions de
Jean Jacques Rousseau (1782). Le genre se définit comme un récit rétrospectif
que l’auteur fait de sa propre existence. C’est donc un « récit de
vie » où le narrateur, le personnage et l’auteur ne font qu’un. Cependant,
l’auteur ne cherche pas toujours à retranscrire la stricte vérité et la fiction
est parfois bien présente. Nous pouvons donc nous demander si celui-ci a
uniquement pour but de flatter son ego à travers l’écriture d’un roman
autobiographique ou s’il a des aspirations autres qu’un pur besoin narcissique.
En premier lieu, nous examinerons ce qui ressemble à une satisfaction
personnelle puis les éléments qui présentent d’autres aspects du roman.
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Pour un auteur, l’écriture d’un roman
autobiographique est une satisfaction évidente : en effet, la publication du
récit de sa vie est un bon moyen de laisser une trace écrite permanente de son
existence. Ainsi, Romain Gary nous fait part de sa jeunesse difficile et de sa
participation active à La Seconde Guerre Mondiale dans La Promesse de
L’Aube, paru en 1960. Retranscrire sa fierté d’avoir obtenu le grade de capitaine
est très glorifiant pour lui-même. Pour de nombreux auteurs, leur passé est une
fierté qu’ils expriment dans l’écriture.
D’autre part, les héros de ces romans
sont les représentations à l’identique de leurs auteurs : ils portent les mêmes
valeurs et idéaux qu’eux, et ont en commun parfois jusqu’à la ressemblance
physique. Ils sont donc à la fois un moyen pour l’auteur de s’exprimer mais
aussi de se montrer, de célébrer son image. Bardamu est l’alter ego de
Louis-Ferdinand Céline dans Voyage au Bout de la Nuit : tous
deux ont connu la guerre des tranchées, ont le même prénom Ferdinand et un fort
tempérament (leur seule différence est leur opinion politique opposée). On
retrouve également Rastignac, l’alter ego de Balzac dans Le Père Goriot.
L’alter ego est un moyen de célébrer l’ego de l’auteur l’ayant créé.
Ecrire un roman autobiographique traduit
également le besoin de combler une faille narcissique pour l’auteur qui
souhaite être reconnu. Ce dernier effectue une sorte de thérapie sur lui-même,
prend du recul et réfléchit sur sa propre personne et éprouve également le
besoin de se connaître. Socrate disait : Connais-toi toi-même au
Ve siècle avant J-C. Hervé Bazin fait le récit de son enfance difficile, qu’il
a très mal vécue avec sa mère Folcoche dans Vipère au poing, paru
en 1948. Le traumatisme vécu est l’élément déclencheur de l’écriture : « Où
peut-on être mieux qu’au sein d’une famille ? Partout ailleurs ! » dit
Hervé Bazin. Cette réflexion sur soi est une réflexion rendue publique : on
peut parler d’une mise en avant personnelle, donc d’un grossissement de l’ego.
Enfin, le roman est le plus souvent rédigé à la première personne du singulier
: le narrateur crée un lien fort avec le lecteur, qui vit l’histoire à travers
ses yeux. L’auteur fait passer ses idées et ses valeurs au premier plan, il se
met donc en avant.
Malgré cela, les romans autobiographiques
sont nombreux et abordent donc de nombreux thèmes : leurs sujets ne concernent
pas uniquement la personnalité de leurs auteurs. Ils sont l’objet d’un
réflexion de ceux-ci sur eux-mêmes mais peuvent avoir une visée universelle et
contiennent également une réflexion sur les autres ou la société. Ainsi,
Jean-Jacques Rousseau entreprend une réflexion philosophique sur la nature de
l’homme et l’esprit humain dans Les Rêveries du promeneur solitaire (en
1782), où il présente une vision philosophique du bonheur : « Je sais
et je sens que faire du bien est le plus vrai bonheur que le cœur humain puisse
trouver ». Le roman autobiographique n’est donc pas tourné
uniquement vers son propre auteur, mais aborde aussi des thèmes beaucoup plus
larges.
De plus, l’auteur laisse dans son roman
un témoignage, où il dépeint avec précision la société de son époque, et nous
apporte de nombreux renseignements dans la description de sa vie quotidienne :
ces romans sont donc parfois de véritables documentaires. C’est le cas de La
Place (1983), dans lequel Annie Ernaux nous plonge dans la vie
quotidienne des classes populaires puis moyennes pendant le XXe siècle, ainsi
que l’élévation du niveau de vie. Elle écrit d’une « écriture plate »
et reste effacée : « Ecrire, c’est d’abord ne pas être
vu ». Le Journal d’Anne Franck (1947) est
également un témoignage très prenant de la vie des Juifs cachés pendant la
Seconde Guerre Mondiale. Dans ces romans, l’auteur reste discret, et met
l’accent sur des détails de sa société plutôt que sur sa propre personne. Le
roman autobiographique est aussi un moyen d’expression, qui permet à l’auteur
de faire valoir une vision critique de sa société et de donner son avis sur des
thèmes, sujets aux polémiques. Il a parfois une visée morale, comme Adolphe (1816)
de Benjamin Constant, qui traite de thèmes tels que la fatalité, la
responsabilité en matière amoureuse : « Le cœur seul peut plaider
sa cause », et qui critique la vie mondaine.
Le roman autobiographique est un genre
récent, et il a donné naissance à un sous-genre nouveau et moderne : le roman d’autofiction, où
l’auteur mêle réalité et fiction. Pour Stéphanie Michineau (XXIe
siècle) : « L’écrivain se montre sous son nom propre dans un
mélange savamment orchestré de fiction et de réalité ». Le
roman fiction permet donc de se détacher de la vie de l’auteur, strictement
basée sur la réalité, et qui n’occupe plus le thème central de l’œuvre. Tristan
Vaquette s’improvise héros de la résistance française pendant l’occupation
nazie dans Je gagne toujours à la fin (2003) et développe les
thèmes de l’intégrité intellectuelle et la liberté d’expression. L’autofiction
est alors une occasion pour l’auteur de se projeter dans un personnage qu’il a
créé, mais différent de son alter ego. Le roman d’autofiction met donc
une distance entre l’ego de l’auteur et les sujets abordés dans son roman :
l’auteur ne s’y représente pas. L’autofiction est également un bon moyen pour
l’auteur de surmonter des difficultés de mémoire. En effet, une mémoire très
précise est nécessaire pour retranscrire toute une vie. Franklin Jones dit, au
début du XXe siècle : « Une autobiographie révèle généralement
que tout va très bien chez son auteur, sauf la mémoire ». Dans W
ou le souvenir d’enfance, Georges Pérec mêle sa vraie vie et une sorte de
fiction utopique pour combler ses troubles de la mémoire.
Enfin, dans certains cas, publier un
roman autobiographique ne fait pas l’objet pour certains auteurs d’une
satisfaction personnelle mais est au contraire une façon de se confesser, de
justifier ses erreurs commises dans l’espoir de se les faire pardonner. Les
Confessions sont une sorte de rédemption pour Jean-Jacques Rousseau
qui désire se faire absoudre de ses péchés.
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Pour conclure, l’écriture d’un roman
autobiographique semble être pour de nombreux auteurs une façon de célébrer
leur ego, à travers leurs personnages jouant le rôle d’alter ego. Malgré tout,
cette mise en avant est légitime : décrire sa réussite et la rendre publique
est une chose glorifiante : qui n’en serait pas fier ? C’est également
instructif pour le lecteur, qui peut s’en inspirer et même s’identifier. De
plus, de nombreux éléments montrent que le roman autobiographique aborde de
nombreux autres thèmes que l’unique « récit de vie ». Parfois, grâce
à sa précision documentaire, le roman autobiographique est un vrai témoignage
que laisse l’auteur sur la société dans laquelle il a vécu, et gagne ainsi un
intérêt historique. De plus, les romans autofictions, de plus en plus
nombreux ces dernières années, remettent en question la véracité de
l’autobiographie : « L’autobiographie qui paraît au premier abord
le plus sincère de tous les genres, en est peut-être le plus faux » dit
Flaubert. Cette incertitude des limites entre réel et fiction remet une fois de
plus l’auteur lui-même au second plan. On peut donc dire que même si le roman
autobiographique porte souvent sur la vie de l’auteur lui-même, ce n’en est pas
forcément le thème principal, et il traite de multiples sujets. Le roman
autobiographique n’est donc pas qu’une célébration de l’ego. On ne peut pas en
dire autant de certaines autobiographies, à la recherche de la plus formelle
vérité, comme Ma Vie (1929), où Léon Trotsky narre avec
exhaustivité sa vie politique.
Odile 1ière S2 (décembre
2010)