Sujet EAF 2012 série S et ES : corrigé partiel
Objet d’étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
Texte A : Joachim Du Bellay, « Seigneur, je ne saurais regarder d'un bon oeil », sonnet 150, Les Regrets, 1558 (orthographe modernisée).
Texte B : Jean de La Fontaine, « La Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lion », Fables, livre I, 6, 1668.
Texte C : Paul Verlaine, « L'enterrement », Poèmes saturniens, 1866.
Texte D : Arthur Rimbaud, « À la musique », Poésies, 1870.
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Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :
En quoi les quatre textes du corpus relèvent-ils de la poésie satirique ?
Enterrement à Ornans de Gustave Courbet (1849-1850), musée d’Orsay, Paris
Si à l'origine, la poésie était un chant sacré
et si le poète est encore considéré comme un créateur inspiré ou comme celui
qui exprime par la magie des mots, des figures et des sons, les sentiments
intemporels et les idées universelles, le poète, dès l'Antiquité, sait aussi se
faire critique dans la poésie dite satirique. De la Renaissance à la fin du
second Empire, quatre poètes français, Du Bellay, La Fontaine,
Verlaine et Rimbaud dans leurs poèmes respectifs, Je ne saurais
regarder d'un bon œil (1558), La
Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lion (1668), L'enterrement (1866)
et A la musique (1870), raillent et critiquent les travers de
leurs contemporains et du genre humain plus largement. Nous verrons en quoi il
s'agit de poésies satiriques et ce qui est visé. Après avoir examiné la mise en
scène et en vers caricaturale des cibles des quatre poètes de notre étude, nous
verrons comment selon la formule ridendo castigat (i.e. :
je fais rire pour corriger les mœurs),
ils proposent une morale ou une réflexion personnelle.
I) La comédie humaine : entre ridicule,
médiocrité et cruauté
Dans les quatre poèmes, des saynètes comiques
sont représentées côté cour et côté jardin !
a) Le côté cour, au sens
aristocratique du terme, se retrouve chez Du Bellay et La Fontaine. Tous deux mettent en scène des courtisans. Du
Bellay se gausse des « vieux singes de cour » qui pour « complaire »
au roi sont prêts à toutes les hypocrisies et bassesses d'imitation. La
Fontaine, lui, observe d'imprudentes et naïves créatures, semblables aux
inoffensives génisses, chèvres et brebis, qui croient possible de faire « société » avec
le « Seigneur du voisinage » qui, « fier lion »,
les dépossèdera violemment de tout, si elles pensent mettre « en commun
le gain et le dommage ». Selon les deux poètes, ces courtisans perdent
tout libre arbitre et bon sens, soit par intérêt pour entrer dans
les bonnes grâces du monarque, soit par sottise de se croire ses égaux au
risque de tout perdre. Ils sont bien ridicules et même pitoyables. D'ailleurs,
dans les deux cas, ils sont assimilés à des animaux, grimaciers comme les
singes ou sots comme les trois herbivores de La Fontaine.
b) Le côté jardin est illustré en quelque sorte
par Verlaine et Rimbaud. Les « bourgeois
poussifs » de Rimbaud « portent leurs bêtises jalouses »
pour écouter la musique, place de la gare « les jeudis soirs »
et la communauté villageoise populaire de Verlaine enterre gaiement un des
siens avec « le fossoyeur qui chante » et « le
prêtre qui prie allègrement ». Tous les rôles de ce petit théâtre sont
bien distribués : l'enfant de chœur fait entendre « sa voix fraîche de fille », le fossoyeur manie la pioche, le curé la
prière, les retraités et les rentiers discutent et commentent sans s'intéresser
plus que cela à la cérémonie funéraire ou au concert du square. Tous s'occupent
de leurs petites affaires et de leurs gros intérêts comme les « héritiers
resplendissants » qui arrivent à la pointe du sonnet de Verlaine.
Nulle compassion pour le défunt qui d'ailleurs est aussi anonyme que les autres
et tient son rôle de mort qui va se retrouver bien au chaud « au fond
du trou ».
C'est une humanité bien médiocre, dans des
milieux où « tout est correct » dans le grand monde comme dans
le plus petit, qui est dépeinte dans ces poèmes bien réglés, eux aussi :
des sonnets pour Du Bellay et Verlaine, neuf quatrains en alexandrins pour
Rimbaud et 18 vers hétérométriques et rimés pour La Fontaine.
II) Les points de vue et réflexions des poètes
L'arme de la satire dans ces quatre poèmes est
bien sûr l'ironie décelable dans l'implication plus ou moins personnelle des
poètes et dans les figures employées.
a) L'énonciation personnelle est utilisée chez
tous sauf La Fontaine. Mais le
« je » n'a pas la même fonction pour tous. Du Bellay s'adresse à un
« Seigneur » et dénonce les courtisans hypocrites dont il
entend bien se démarquer par l'audace de son analyse critique. Verlaine fait
une réflexion amère sur une pratique sociale vidée de toute émotion et son
« je » est analytique et désenchanté. Enfin, Rimbaud entend se
désolidariser des gens « bien comme il faut » : « - Moi,
je suis débraillé comme un étudiant ». La Fontaine, en conformité avec
son époque classique cache son « je » de narrateur derrière le
« on » de « dit-on » et ne formule nulle
moralité explicite à sa fable.
b) Derrière l'ironie mordante des antiphrases de Verlaine (« Tout
cela me paraît charmant, en vérité ! »), des antithèses en
chiasme de Du Bellay (« La lune en plein midi, à minuit le soleil »),
des adjectifs dévaluatifs de Rimbaud (« mesquines pelouses, grosses
dames ») ou des dialogues directs de La Fontaine, se
dissimulent des intentions différentes. Du Bellay dégoûté des manigances de
cour et pourtant poète officiel est dans une position ambiguë mais met en avant
sa probité et son indépendance d'esprit. Verlaine, le mélancolique poète
saturnien, se rit de la mort pour ne pas en pleurer. La Fontaine, en froid avec
Louis XIV, se félicite de ne pas partager de près sa société, vu ce qui est arrivé
à son ami, le surintendant Fouquet, dépouillé de ses biens et jeté en prison
par le roi. Quant au fougueux adolescent Rimbaud, il préfère les émois de la
chair et les baisers « qui lui viennent aux lèvres », plutôt
que d'envisager le conformisme et la monotonie médiocre des bourgeois assis au
square !
Ainsi la poésie satirique,
« la muse pédestre », selon les mots d'Horace qui la
considérait d'après les Anciens comme un genre mineur, prend-elle de la vigueur
en France dès la Renaissance. Les poètes de notre corpus ont dénoncé les
travers des classes sociales de leur époque, transposables à tous les
temps : la bêtise, l'indifférence aux autres, la recherche égoïste de
l'intérêt personnel, la médiocrité de l'esprit et des comportements, la
tyrannie violente des grands de ce monde. Ils ont su dépasser par leur
originalité la banalité des thèmes en se jouant même de la forme, entre respect
des contraintes poétiques et trouvailles prosodiques et sémantiques. Les
registres se mêlent habilement : à l'ironie et l'intention
polémique commune à tous s'ajoutent l'éloge paradoxal (registre épidictique)
pour Verlaine, le didactique pour La Fontaine et des touches humoristiques et
lyriques chez Rimbaud. Ensuite, viendront les poètes engagés, bien
plus politiques.
Céline Roumégoux