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jeudi 15 décembre 2022

Poésie satirique, la question transversale, Du Bellay, La Fontaine, Verlaine, Rimbaud, corrigé EAF 2012,

 

Sujet EAF 2012 série S et ES : corrigé partiel

 

Objet d’étude : Écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.

 

Texte A : Joachim Du Bellay, « Seigneur, je ne saurais regarder d'un bon oeil », sonnet 150, Les Regrets, 1558 (orthographe modernisée).

Texte B : Jean de La Fontaine, « La Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lion », Fables, livre I, 6, 1668.

Texte C : Paul Verlaine, « L'enterrement », Poèmes saturniens, 1866.

Texte D : Arthur Rimbaud, « À la musique », Poésies, 1870.

Pour voir les textes  cliquer ICI

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Après avoir lu tous les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :

En quoi les quatre textes du corpus relèvent-ils de la poésie satirique ?

  

Enterrement à Ornans de Gustave Courbet (1849-1850), musée d’Orsay, Paris

 


Si à l'origine, la poésie était un chant sacré et si le poète est encore considéré comme un créateur inspiré ou comme celui qui exprime par la magie des mots, des figures et des sons, les sentiments intemporels et les idées universelles, le poète, dès l'Antiquité, sait aussi se faire critique dans la poésie dite satirique. De la Renaissance à la fin du second Empire, quatre poètes français, Du Bellay, La Fontaine, Verlaine et Rimbaud dans leurs poèmes respectifs, Je ne saurais regarder d'un bon œil (1558), La Génisse, la Chèvre et la Brebis, en société avec le Lion (1668), L'enterrement (1866) et A la musique (1870), raillent et critiquent les travers de leurs contemporains et du genre humain plus largement. Nous verrons en quoi il s'agit de poésies satiriques et ce qui est visé. Après avoir examiné la mise en scène et en vers caricaturale des cibles des quatre poètes de notre étude, nous verrons comment selon la formule ridendo castigat (i.e. : je fais rire pour corriger les mœurs), ils proposent une morale ou une réflexion personnelle.

 

I) La comédie humaine : entre ridicule, médiocrité et cruauté

 

Dans les quatre poèmes, des saynètes comiques sont représentées côté cour et côté jardin !


a)  Le côté cour, au sens aristocratique du terme, se retrouve chez Du Bellay et La Fontaine. Tous deux mettent en scène des courtisans. Du Bellay se gausse des « vieux singes de cour » qui pour « complaire » au roi sont prêts à toutes les hypocrisies et bassesses d'imitation. La Fontaine, lui, observe d'imprudentes et naïves créatures, semblables aux inoffensives génisses, chèvres et brebis, qui croient possible de faire « société » avec le « Seigneur du voisinage » qui, « fier lion », les dépossèdera violemment de tout, si elles pensent mettre « en commun le gain et le dommage ». Selon les deux poètes, ces courtisans perdent tout libre arbitre et bon sens,  soit par intérêt pour entrer dans les bonnes grâces du monarque, soit par sottise de se croire ses égaux au risque de tout perdre. Ils sont bien ridicules et même pitoyables. D'ailleurs, dans les deux cas, ils sont assimilés à des animaux, grimaciers comme les singes ou sots comme les trois herbivores de La Fontaine.

 

b) Le côté jardin est illustré en quelque sorte par Verlaine et Rimbaud. Les « bourgeois poussifs » de Rimbaud « portent leurs bêtises jalouses » pour écouter la musique, place de la gare « les jeudis soirs » et la communauté villageoise populaire de Verlaine enterre gaiement un des siens avec « le fossoyeur qui chante » et « le prêtre qui prie allègrement ». Tous les rôles de ce petit théâtre sont bien distribués : l'enfant de chœur fait entendre « sa voix fraîche de fille », le fossoyeur manie la pioche, le curé la prière, les retraités et les rentiers discutent et commentent sans s'intéresser plus que cela à la cérémonie funéraire ou au concert du square. Tous s'occupent de leurs petites affaires et de leurs gros intérêts comme les « héritiers resplendissants » qui arrivent à la pointe du sonnet de Verlaine. Nulle compassion pour le défunt qui d'ailleurs est aussi anonyme que les autres et tient son rôle de mort qui va se retrouver bien au chaud « au fond du trou ».

C'est une humanité bien médiocre, dans des milieux où « tout est correct » dans le grand monde comme dans le plus petit, qui est dépeinte dans ces poèmes bien réglés, eux aussi : des sonnets pour Du Bellay et Verlaine, neuf quatrains en alexandrins pour Rimbaud et 18 vers hétérométriques et rimés pour La Fontaine.


II) Les points de vue et réflexions des poètes

L'arme de la satire dans ces quatre poèmes est bien sûr l'ironie décelable dans l'implication plus ou moins personnelle des poètes et dans les figures employées.


a) L'énonciation personnelle est utilisée chez tous sauf La Fontaine. Mais le « je » n'a pas la même fonction pour tous. Du Bellay s'adresse à un « Seigneur » et dénonce les courtisans hypocrites dont il entend bien se démarquer par l'audace de son analyse critique. Verlaine fait une réflexion amère sur une pratique sociale vidée de toute émotion et son « je » est analytique et désenchanté. Enfin, Rimbaud entend se désolidariser des gens « bien comme il faut » : « - Moi, je suis débraillé comme un étudiant ». La Fontaine, en conformité avec son époque classique cache son « je » de narrateur derrière le « on » de « dit-on » et ne formule nulle moralité explicite à sa fable.

 

b) Derrière l'ironie mordante des antiphrases de Verlaine (« Tout cela me paraît charmant, en vérité ! »), des antithèses en chiasme de Du Bellay (« La lune en plein midi, à minuit le soleil »), des adjectifs dévaluatifs de Rimbaud (« mesquines pelouses, grosses dames ») ou des dialogues directs de La Fontaine, se dissimulent des intentions différentes. Du Bellay dégoûté des manigances de cour et pourtant poète officiel est dans une position ambiguë mais met en avant sa probité et son indépendance d'esprit. Verlaine, le mélancolique poète saturnien, se rit de la mort pour ne pas en pleurer. La Fontaine, en froid avec Louis XIV, se félicite de ne pas partager de près sa société, vu ce qui est arrivé à son ami, le surintendant Fouquet, dépouillé de ses biens et jeté en prison par le roi. Quant au fougueux adolescent Rimbaud, il préfère les émois de la chair et les baisers « qui lui viennent aux lèvres », plutôt que d'envisager le conformisme et la monotonie médiocre des bourgeois assis au square !


Ainsi la poésie satirique, « la muse pédestre », selon les mots d'Horace qui la considérait d'après les Anciens comme un genre mineur, prend-elle de la vigueur en France dès la Renaissance. Les poètes de notre corpus ont dénoncé les travers des classes sociales de leur époque, transposables à tous les temps : la bêtise, l'indifférence aux autres, la recherche égoïste de l'intérêt personnel, la médiocrité de l'esprit et des comportements, la tyrannie violente des grands de ce monde. Ils ont su dépasser par leur originalité la banalité des thèmes en se jouant même de la forme, entre respect des contraintes poétiques et trouvailles prosodiques et sémantiques. Les registres se mêlent habilement : à l'ironie et l'intention polémique  commune à tous s'ajoutent l'éloge paradoxal (registre épidictique) pour Verlaine, le didactique pour La Fontaine et des touches humoristiques et lyriques chez Rimbaud.  Ensuite, viendront les poètes engagés, bien plus politiques.

 

 Céline Roumégoux