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dimanche 18 décembre 2022

Lettre de Victor Hugo à Juliette Drouet, nuit du 16 au 17 février 1841

 Victor Hugo à Juliette Drouet, nuit du 16 au 17 février 1841, 

« T’en souviens-tu, ma bien-aimée ? »



Victor Hugo (1802-1885), poète, romancier, dramaturge, homme politique, est une gloire nationale française. Mais il est aussi un grand amoureux. Et son grand amour illégitime, celui qui va durer 50 ans jusqu’à la mort, qui va générer plus de 20000 lettres de la part de celle qu’il aime, et quelques centaines en retour, c’est Juliette Drouet (1806-1883).

En janvier 1833, Hugo lit son drame Lucrèce Borgia (écrit en moins de 15 jours) aux acteurs du théâtre de la Porte-Saint-Martin. Juliette est là. Elle obtient le très petit rôle de la princesse Negroni (9 répliques). C’est le coup de foudre. Nuit du 16 au 17 février  1833, Juliette Drouet et Victor Hugo deviennent amants. Cette nuit sera fêtée chaque année, comme un rite sacré, par une lettre de Victor Hugo, consignée dans le Livre rouge de l’Anniversaire. C’est aussi la date du mariage de Cosette et Marius dans Les Misérables. « Le 26 février 1802, je suis né à la vie. Le 17 février 1833, je suis né au bonheur dans tes bras. La première date ce n'est que la vie, la seconde c'est l'amour. Aimer, c'est plus que vivre. » Victor exige de Juliette une « restitus » (une lettre) quotidienne, lui interdit de sortir sans lui et lui ordonne de renoncer à sa carrière de comédienne. Elle acceptera tout pour son « cher Toto » et même ses innombrables infidélités. Son seul credo désormais et pour toujours :

« T’aimer, t’aimer, t’aimer, voilà ma seule et unique destination ».Voici une des lettres d’anniversaire, datée de 1841.

 

"T’en souviens-tu, ma bien-aimée ? Notre première nuit, c’était une nuit de carnaval, la nuit du mardis-gras de 1833. On donnait je ne sais dans quel théâtre je ne sais quel bal où nous devions aller tous les deux, et où nous manquâmes tous les deux. (J’interromps ce que j’écris pour prendre un baiser sur ta belle bouche, et puis je continue.) Rien, — pas même la mort, j’en suis sûr, — n’effacera en moi ce souvenir. Toutes  les heures de cette nuit-là traversent ma pensée en ce moment l’une après l’autre comme des étoiles qui passent devant l’œil de mon âme. Oui, tu devais aller au bal, et tu n’y allas pas, et tu m’attendis, pauvre ange que tu es de beauté et d’amour. Ta petite chambre était pleine d’un adorable silence. Au dehors, nous entendions Paris rire et chanter et les masques passer avec de grands cris. Au milieu de la grande fête générale, nous avions mis à part et caché dans l’ombre notre douce fête à nous.  Paris avait la fausse ivresse, nous avions la vraie.

N’oublie jamais, mon ange, cette heure mystérieuse qui a changé ta vie. Cette nuit du 17 février 1833 a été un symbole et comme une figure de la grande et solennelle chose qui s’accomplissait en toi. Cette nuit-là, tu as laissé au dehors, loin de toi, le tumulte, le bruit, les faux éblouissements, la foule, pour entrer dans le mystère, dans la solitude et dans l’amour.

Cette nuit-là, j’ai passé huit heures près de toi. Chacune de ces heures a déjà engendré une année.

Pendant ces huit ans, mon cœur a été plein de toi, et rien ne le changera, vois-tu, quand même chacune de ces années engendrerait un siècle."

Victor Hugo à Juliette Drouet, nuit du 16 au 17 février 1841, « T’en souviens-tu, ma bien-aimée ? ».
Extrait de "Mon cœur qui bat" de Céline Roumégoux (Flammarion, 2016)