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dimanche 21 février 2021

Commentaire de Oswald et Zénaïde de Jean Tardieu

 

Commentaire composé de Oswald et Zénaïde

de Jean Tardieu

 

 Dominique Ratonnat, Nathalie Robert

mise en scène Didier Chaix

  Voir le texte ICI
 
 

               Jean Tardieu est un dramaturge, qui remettant en cause les conventions des genres, tourne en dérision les codes langagiers. Dans Oswald et Zénaïde (1954), il peint une société où le signifiant devient plus important que le signifié, ce qui aboutit à une communication sans compréhension. Il détourne le langage et les situations stéréotypées. Nous verrons en quoi cette courte pièce est une parodie du conformisme bourgeois, en ce qui concerne le mariage des enfants. Dans un premier temps, nous examinerons la parodie de l’aveu impossible et dans un second temps, la parodie de la mise à l’épreuve de l’amour.

              

        Cette courte pièce parodie des aveux impossibles, où la parole est empêchée par égard pour l’autre. En effet, les deux amoureux redoutent de s’annoncer mutuellement que leurs parents s’opposent à leur mariage.

Ils utilisent donc un dialogue stéréotypé qui se transforme en banalités, ce qui crée un effet comique. Dès le début, Oswald et Zénaïde, formant pourtant un couple, se saluent avec des salutations d’usage, telles que «Bonjour, Oswald ! » ou «Bonjour, Zénaïde ! », ce qui est totalement ridicule. Cette absence d’intimité dérape même vers l’absurde, quand Oswald s’étonne ridiculement de trouver Zénaïde chez elle, alors qu’il frappe à sa porte : «Vous, vous, Zénaïde ! ». Leur dialogue est rempli de banalités, telles que des considérations sur l’heure : «Cinq heures ! », sur le jour ou la nuit : «Il fait encore jour ! » et sur le printemps : «C’est le printemps, Zénaïde ! » qui sont sans intérêt et reprises avec insistance : «Il fait jour ! Vous l’avez déjà dit, Zénaïde ! ». Les didascalies renforcent ce sentiment avec le long défilement des heures. De même, le dialogue est vide, il n’a aucun intérêt et les phrases sont incomplètes. Zénaïde dit : «Ah ! bon ! je croyais… » et même quand le dialogue s’accélère avec des stichomythies, leur contenu est néant : «Mais encore ? – Presque rien ! ». Il s’agit de la fonction phatique du langage. Lorsqu’ils se délivrent de leur secret, ils le font en chœur, ce qui rend l’aveu inaudible et incompréhensible par eux. La faillite de la communication vient donc de la réticence de la parole mais aussi du brouillage quand on parle en même temps sans s’écouter. Retenir ses mots mène à la folie et à l’incompréhension. Enfin, les noms des protagonistes Oswald et Zénaïde sont empruntés à l’exotisme des pièces d’autrefois de Marivaux et de Molière, pour se moquer. Par conséquent, le couple tient des propos sans intérêts, amplifiant le comique de situation qui caractérise la pièce.

               Oswald et Zénaïde présente une abondance d’apartés, favorisés par la réticence du couple à se parler. Ils renseignent sur les sentiments des personnages, mais dérapent également dans l’absurdité, provoquant un comique du langage. En effet, les apartés sont significatifs de la fonction expressive du langage, où le lyrisme domine avec le champ lexical de l’amour : Oswald dit qu’il «a toujours aimé» et Zénaïde croit «entendre son cœur», le siège des sentiments. De plus, le couple souffre de ne pas pouvoir se parler sans secret, par peur de faire du mal à l’autre. Nous remarquons le champ lexical de la souffrance et l’utilisation du vocabulaire péjoratif : «supplice», «triste», «cruauté» ou encore «ce secret m’étouffe». Cette souffrance est même à son acmé, lorsqu’Oswald la qualifie «d’intolérable» et qu’il «devien[t] fou ! ». Il s’agit d’une hyperbole et d’une gradation. Par ailleurs, les protagonistes sont en symbiose, même s’ils n’osent pas se parler véritablement, ils pensent la même chose l’un après l’autre. Zénaïde : «jamais […] n’aura [ ] le courage de lui apprendre la triste vérité ! » et Oswald : «jamais […] n’aura [ ] la cruauté de lui avouer la grave décision». Leur amour est sincère, l’utilisation de périphrases pour désigner son ou sa bien-aimé(e) le confirme. Zénaïde qualifie Oswald de «trésor […] précieux». Néanmoins, leurs sentiments dérivent dans l’absurdité. En effet, le contraste des registres rend l’envolée lyrique de Zénaïde ridicule lorsqu’elle parle de «l’alcyon sur la mer écumante». De plus, leur souffrance les pousse chacun dans un délire, se mettant à réciter des listes hors-propos : Oswald raconte que «les Espagnols dansent la séguedille» par exemple, ou à parler de fantastique, avec l’utilisation de ce vocabulaire : «Feu et diable, sang et enfer ! Les sorcières» par exemple. Les apartés sont donc des moments de révélations sentimentales, mais aussi de crises de démence.

 


              

               Cette pièce est une double parodie, car la scène de mise à l’épreuve de l’amour l’est également.

               Le plus souvent, c’est le couple qui souhaite mettre son amour à l’épreuve, or ici ce sont les parents qui mettent l’amour de chacun de leur enfant à l’épreuve, cette pièce est donc déjà une parodie. Monsieur Pomméchon représente l’emploi comique. Son nom, tout d’abord, est d’origine française et assez drôle, mais c’est son apparence qui caractérise cet emploi. Il est qualifié dans les didascalies de «bourgeois ventripotent, cossu et jovial». Le caractère du personnage est cerné dès son entrée en scène. Néanmoins, ce rôle «bouffon» est avant tout lié à ses répliques où le comique de langage domine. Il surnomme en effet sa fille et Oswald de «petits poulets», «petits lapins», «petites carpes» et de «petits colibris» mais c’est surtout son expression fantaisiste et pleine d’humour, marquant l’étonnement : «sac à papier » répétée quatre fois, qui provoque l’hilarité, même si l’absence de ses fins de phrases participe au comique du personnage. De plus, son attitude est également un facteur comique : il «part [de la scène] en riant» après avoir donné une «bourrade amicale à Oswald», il s’agit du comique de geste. Son rôle «bouffon» est en accord avec le but de sa présence dans la pièce : il «vien[t] pour tout arranger», il permet un dénouement heureux.

               Cette pièce vise à tourner en dérision les conventions mondaines, et «les fins heureuses». En effet, dès le début de la pièce, le présentateur met implicitement la situation en place : il s’agit «d’établir un contraste comique» dû aux différences de longueur entre les apartés et les répliques «à haute voix» car la pièce exhibe la stupidité des conventions et codes langagiers, où le message est moins important que la façon dont on le dit.

             De la même façon, les didascalies insistent sur ce point et précisent quelles conventions la pièce parodie : les conventions mondaines, car nous sommes «dans un salon bourgeois à la campagne, vers 1830». En effet, ces conventions sont exagérées : «Oswald agenouillé lui baise la main avec transport» alors qu’il n’arrive pas à lui déclarer son amour et malgré le fait qu’ils forment un couple, Oswald s’assoit «à quelque distance» de Zénaïde, ce qui est complètement ridicule. C’est ce que le père, bourgeois tout de même, leur fait remarquer : «à votre place, il y aurait longtemps que…je me serais embrassé ! », c’est-à-dire que même celui censé représenter la bourgeoisie et ses conventions ne les applique pas.

         Par ailleurs, la fin de la pièce est un méli-mélo burlesque, une parodie des «fins heureuses» de contes de fées : ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants car Oswald et Zénaïde n’ont pas déclaré leur amour tout le long de la pièce, mais ils se questionnent à la fin « - pour toujours ? – à la vie ? ». Cette «fin heureuse» est également tournée en dérision par l’utilisation des langues étrangères par Oswald et Zénaïde lorsqu’ils expriment leur bonheur, car cela rend cette situation légèrement ridicule. Enfin, c’est dans les apartés que l’assurance de leurs sentiments s’exprime, mais l’abondance du lyrisme : «elle est à moi, moi à elle, nous à nous» rend la situation pathétique. Cette pièce contient des préjugés sur le mariage car il ne faut pas «contredire» le mari et ne pas « contrarier» la femme ! L’homme a donc le monopole de la parole (contredire) et la femme, celui de l’humeur (contrarier)

              Cette pièce est une illustration de la stupidité des conventions mondaines et de «la fin heureuse».

              

              Cette courte pièce est une parodie du conformisme bourgeois en ce qui concerne le mariage des enfants, car elle parodie l’aveu impossible avec la présence d’un dialogue stéréotypé, rempli de banalités et des apartés dont la fonction est d’exprimer les sentiments des protagonistes, allant jusqu’à l’absurde. Cela crée donc un effet comique. Mais cette pièce parodie également la mise à l’épreuve de l’amour avec l’emploi comique du père, la dérision des conventions mondaines, des préjugés et de la «fin heureuse». Par conséquent, cette pièce étant une parodie, elle se rapproche de celles parodiées, c’est-à-dire celles de Marivaux avec ses mises à l’épreuve de l’amour, comme dans Le Jeu de l’amour et du hasard où Dorante et Silvia prennent la place de leur valet et servante respectifs pour tester leur amour, mais aussi celle de Molière comme Le Malade imaginaire, où Angélique ne peut pas épouser Cléante car Argan, son père, s’y oppose. On peut donc parler de «comédie du langage» et de «comédie de la comédie», selon les termes utilisées par Jean Tardieu.

 

Léa 1ière S1 (Janvier 2010)