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mercredi 24 février 2021

Memnon ou la sagesse humaine, 1748, Voltaire, commentaire de l’incipit

 

Nicolas de Largillière: Portrait de Voltaire (détail)
Institut et Musée Voltaire, Genève, CH.


Memnon ou la sagesse humaine, 1748, Voltaire


Premier mouvement

Retrouvez le texte ICI

            

       Parmi les philosophes des Lumières, Voltaire fut notamment célèbre par la publication de ses contes philosophiques. Créateur du genre, ses récits sont proches de l’apologue ou de la fable en utilisant le conte traditionnel au service d’une morale à visée philosophique. De cette manière sera publié le conte de Memnon ou la sagesse humaine en 1748 où Voltaire remet en cause la notion de perfection tant convoitée par les hommes et privilégie la morale de la juste mesure. Nous nous demanderons comment l’auteur, par le biais de l’ironie, annonce les mésaventures de Memnon et procède à une critique des mœurs. Nous étudierons d’abord la parodie du conte traditionnel puis nous verrons la désillusion de Memnon ainsi que la critique de la société du XVIIIe siècle.


 I. La parodie du conte

 A) Caractéristiques du conte :

 - Présence de personnages types, voire caricaturaux. En effet, Memnon représente le héros à la recherche de la sagesse, ses amis sont des canailles et la « dame affligée » et son complice sont des escrocs.

- La formule typique du conte « Un jour » et l’évocation d’un passé lointain « dans ce temps-là » marque l’absence d’indices spatio-temporels.

- On note la marque de l’orientalisme avec « Ninive ».

- Le récit est au service d’une morale : la morale du juste milieu, et représente le parcours initiatique de Memnon qui se met à l’épreuve et apprend de ses erreurs.

- On retrouve un rythme ternaire caractéristique du conte : trois résolutions, trois échecs.

De ce fait, ce conte philosophique répond aux caractéristiques du conte mais la présence d’un décalage en fait une parodie.


 B) Parodie du conte :

 - La fin est malheureuse car Memnon a été « trompé et volé par une belle dame, s’était enivré, avait joué, avait eu une querelle, s’était fait crever l’œil, et avait été à la cour, où l’on s’était moqué de lui », contrairement à la fin heureuse du conte traditionnel : « Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ».

- Memnon ne compte que des opposants parmi son entourage et lors de ses mésaventures et ne rencontre que des échecs.

- Voltaire manie le procédé de l’ironie pour tourner le conte traditionnel en dérision :

    + Prolepse de départ : « le projet insensé ».

    + Insistance lourde sur les résolutions à l’aide d’un comique de répétition : « rien n’est plus aisé ». Memnon est d’emblée trop sûr de lui.

    + Memnon faisant son « petit plan de sagesse dans sa chambre » est une image péjorative, apparentant le personnage à un enfant naïf et innocent.

    + La prolepse sur ses aventures provoque une attente des événements et l’installation d’une complicité avec le lecteur qui se demande comment va se dérouler son malheur : « un oncle qu’elle n’avait pas », « un bien qu’elle n’avait jamais possédé ».

Par conséquent, l’auteur fait une parodie du conte pour s’attirer la complicité du lecteur afin d’annoncer l’échec du projet de sagesse et critiquer les mœurs.


Georges de La Tour  "Le  Tricheur à l’as de carreau"  

1635, musée du Louvre

II. Désillusion de Memnon et critique de la société

A) La perfection dénigrée par les échecs :

 - Emploi de l’ironie pour rabaisser notamment avec la récapitulation des domaines en échec.

- Utilisation de la langue gazée pour parler de libertinage lors de la scène torride interrompue par le surgissement d’un intrus (comme dans Candide) avec l’insistance de l’intensif « si » : « Memnon la conseilla de si près, et lui donna des avis si tendres, qu’ils ne pouvaient ni l’un ni l’autre parler d’affaires ».

- Allusion à la syphilis : « les dames affligées n’étaient pas à beaucoup près si dangereuses qu’elles le sont aujourd’hui », qui montre que Memnon doit relativiser par rapport à son malheur, vu que, à l’époque où Voltaire écrit, c’est pire !

- Ses « amis intimes » l’incitent à boire et lui crèvent finalement un œil après l’avoir dépouillé de toute sa fortune. Voltaire veut de cette manière montrer le relativisme des relations, d’autant plus lorsqu’il s’agit d’argent.

- L’oxymore « honnête banqueroutier » dénonce la mentalité de l’époque et montre que l’homme n’est pas un pur esprit.

La notion de sagesse et de perfection a donc pour Voltaire des aspects privatifs et négatifs. Il incite de ce fait son lecteur à profiter de la vie mais critique tout de même la société du XVIIIème siècle.


B) Critique des mœurs :

 - La société de l’époque repose sur la corruption et la prévarication. Par exemple, le satrape du roi protège le banqueroutier grâce aux passe-droits : il est le « neveu d’une femme de chambre de [s]a maîtresse » = circuits d’influence.

- Le roi a du pouvoir mais le délègue.

- Luxure et soif de plaisir sont illustrés par la scène de la dame et son protecteur, symbole du piège tendu par des gens vénaux.

- La rage de jouer (si courante à l’époque dans les salons devenus des tripots) est représentée lors de la soirée de Memnon chez ses amis.

L’auteur utilise en conséquence l’ironie pour montrer que tous les milieux sont atteints moralement et physiquement.

 

            Par conséquent, les caractéristiques du conte détournées par l’ironie font de cette œuvre une parodie du conte traditionnel. De plus, les échecs successifs de Memnon remettent en cause la notion de sagesse et sa désillusion permet à Voltaire une critique de la société de l’Ancien Régime.  Cet incipit annonce donc sans surprise les mésaventures de Memnon et procède à une critique des mœurs.

Dans d’autres contes philosophiques Babouc ou le monde comme il va, Candide, L’ingénu, Voltaire poursuivra sa réflexion sur la recherche d’un bonheur accessible grâce à l’expérience et d’une sagesse raisonnable et pragmatique.


Julie 1S1 (juin 2010)