Caspar David Friedrich (Greifswald (Poméranie suédoise), 5 septembre 1774 - Dresde, 7 mai 1840), est le chef de file de la peinture romantique allemande du XIXe siècle.
Deux hommes au bord de la mer, au coucher du soleil (1817), huile sur toile 51 cm
sur 66 cm, Berlin, National Galerie
Commentaire de tableau
Rousseau a été, au XVIIIe siècle, celui qui a mis au goût du jour en littérature la nature sauvage, à laquelle on préférait, jusque-là, la nature domestiquée ou arrangée à la manière des jardins à la française. La mer, la montagne, la forêt, considérées avant comme des lieux hostiles, deviennent des endroits privilégiés, propices à la méditation et la génération romantique va s’emparer de ces nouveaux espaces. Un peintre romantique allemand, Caspar David Friedrich, fut ainsi un paysagiste inspiré qui se servit de la mer, de la montagne, de la campagne pour évoquer des états d’âme plus que pour représenter des réalités. Dans un tableau intitulé Deux hommes au bord de la mer, au coucher du soleil, une huile sur toile, datée de 1817, et actuellement exposée à la National Galerie à Berlin, il suggère plus que le motif indiqué dans le titre du tableau. On verra en quoi ce tableau présente bien les tendances romantiques de l’époque. Pour cela, on s’attachera à analyser la symbolique de l’œuvre, en particulier dans la célébration de la nature et dans les sentiments qu’elle génère, qui vont jusqu’au sublime et au sacré.
I) Une célébration de la nature sauvage mais paisible
L’harmonie du soir
C’est un paysage maritime tranquille, vu d’une grève, au crépuscule.
- Le cadrage est horizontal : trois plans horizontaux se superposent, la terre, la mer et le ciel, qui se complètent et s’unissent dans un dégradé de couleurs et de lumière qui tient lieu de perspective.
- Ce dégradé allant du sombre au plus clair, des couleurs froides aux couleurs chaudes est éclairé au centre par l’ellipse de soleil couchant qui ressemble à un œil gigantesque. Le ciel occupe les deux tiers supérieurs du tableau comme s’il était prêt à englober tout l’espace. On perçoit une alliance secrète dans ce fondu de couleurs, d’ombre et de lumière, entre les quatre éléments : terre, eau, air, feu. Ce clair-obscur avec une prédominance des lignes horizontales s’inscrit dans un plan d’ensemble grandiose et large, à peine limité en arrière plan par un horizon flamboyant et vaporeux.
- Le dépouillement du décor, dont le seul relief est marqué au premier plan par des rochers sombres aux formes arrondies, et son aspect désert et sauvage sont rompus au centre, au deuxième plan, par deux personnages d’hommes en habits de ville et de bourgeois d’époque, portant capes et tricornes, debout, côte à côte, face à la mer et au soleil, dos tourné au spectateur du tableau. Tout comme le spectateur, ils contemplent le paysage.
Tout dans cette composition évoque le calme, la magie de la fin du jour comme une frontière entre la veille et le sommeil, la réalité et le rêve, la vie et la mort. Les éléments naturels sont en harmonie comme servant d’écrin au halo de lumière du soleil qui veille comme un œil géant sur ce décor crépusculaire.
La contemplation
- Les deux personnages, rapetissés par une légère plongée, silhouettes obscures en contre-jour, occupent une position centrale et verticale, entre terre et mer, leurs têtes à la base de l’œil flamboyant du soleil. Face à l’horizon, ils sont immobiles, enveloppés dans leurs capes et coiffés de tricornes sombres. On dirait des jumeaux, des gardiens du temple de la nature, des guetteurs d’infini ou même des spectres !
- Le spectateur regarde derrière eux et avec eux. Mais quel spectacle ? L’espace infini et vide au-delà de la mer ? La lumière du soir ? Ou est-ce l’œil solaire qui les observe et nous observe en les surplombant ?
Ces deux contemplatifs sont figés dans l’immensité, comme perdus et isolés dans l’espace et le temps, en attente d’une sorte d’apothéose du jour, peut-être d’un au-delà mystique, car tout va bientôt sombrer dans l’obscurité. Que vont-ils faire seuls dans la nuit, en habit d’apparat ou de voyageur ?
II) Un paysage – état d’âme
Communion avec la nature
- Ces deux hommes statiques ressemblent à des piliers jaillis de la frontière entre la terre et la mer et qui se dressent vers le ciel. Ils paraissent symboliquement relier les éléments et facilitent la liaison du terrestre et du céleste. C’est pourquoi ils ne rompent pas l’équilibre et l’harmonie des éléments naturels du tableau. Ils sont en somme des passeurs.
- Ces deux hommes qui préfigurent la figure du double romantique, « l’étranger vêtu de noir » de la Nuit de Décembre de Musset, peuvent donc aussi être des allégories du guide spirituel. On sait combien Friedrich qui avait perdu tragiquement presque tous les membres de sa famille était hanté par la mort et l’espérance d’un au-delà.
La mélancolie et le sacré
- Il se dégage de ce tableau plutôt sombre, de cette immobilité de la nature renforcée par la posture statique des deux guetteurs, une atmosphère mélancolique, voire triste et même un peu inquiétante. La contemplation et la méditation ont une apparence grave.
- Les hommes paraissent petits, écrasés face à la grandeur et à la majesté du monde. Que sont-ils dans l’univers ? Deux frêles silhouettes solitaires bien que double ? Cela peut dépasser la mélancolie et devenir tragique.
- Mais cet « œil mystique » que l’on retrouve dans plusieurs tableaux de Friedrich représente sans doute l’Espérance, le signe d’un ailleurs surnaturel et magnifique.
Ainsi, Friedrich a révolutionné le tableau de paysage qui n’a plus ici une valeur décorative ou descriptive mais un sens symbolique, voire spirituel. C’est un paysage-état d’âme où l’homme communie avec les mystères de la Nature et du Monde. Les thèmes romantiques sont bien représentés : la solitude et les angoisses de l’homme, la nécessaire fraternité d’esprit, la recherche du sacré, le goût de la nature et du mystère, la réflexion sur la mort. C’est aussi un merveilleux travail sur la lumière qui annonce les futurs Impressionnistes.
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Voici un autre de ses tableaux qui ressemble comme un frère au précédent :
Paysage nocturne
Dans
celui-ci, les deux "jumeaux" se sont rapprochés et décalés dans un
contre-jour qui les fait ressembler à des silhouettes de "masques
vénitiens".