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lundi 1 septembre 2014

Le Maître de Lumière de Jean-Luc Leguay






« Je n'avais jamais touché de parchemin. Celui-ci était rugueux, pelucheux, solide. Je fus d'emblée ému par son épaisseur, son grain. Il émanait quelque chose au toucher de cette surface ivoirée, de cette peau ( …) je touchai et sentis avant de voir. Une onde commença à se propager en moi. Chaque page était peinte entièrement. Jamais je n'avais senti une lumière comme celle-ci. Un séisme, une illumination à vous couper le souffle. Ma vie bascula. J'étais au centre du monde, saisi d'effroi. Quelque chose se manifestait qui n'était pas de l'ordre du « profane ». p.34

            L'ouverture de cet Incunable à la bibliothèque de Turin allait irrémédiablement changer l'orientation de la vie du danseur-chorégraphe de renommée mondiale, Jean-Luc Leguay. Un beau matin, alors qu'il allait se documenter à la bibliothèque royale de Turin, la mise en présence d'un manuscrit enluminé allait agir comme un véritable révélateur de vocation, bouleversant par là même, toutes les structures de sa vie établie de chorégraphe, maître de ballet, organisateur de spectacles mondiaux. En quelques minutes toutes ses certitudes sont balayées, tout est remis en question. P 34 «  J'étais enfin sur un chemin, sur mon chemin, projeté vers un autre moi-même. Je pressentais une autre harmonie que je cherchais dans la danse. Ce livre fut pour moi comme  un appel du Haut ».

            Dès lors il fait appel à ses relations et on lui indique au fond de l'Italie, vers Naples, dans la campagne sicilienne, un vieil ermitage. L'ermite italien accepte de le prendre comme élève par périodes assez fluctuantes comme le lui permettent ses contrats et ses tournées chorégraphiques. Il va passer dix années à côté du Maître de Lumière, effectuant les tâches les plus humbles, puis les plus élaborées, s'astreignant aux jeûnes les plus ascétiques mais aussi les plus régénérateurs. Au terme de trois grandes nuits d'initiation avec le Maître, il sortira grandi de ces épreuves, ayant dépassé le doute, la peur, le découragement. Alors que le Maître le consacre à la maîtrise de l'enluminure, il lui faudra affronter une épreuve plus grande encore, la perte du Maître qui coïncide avec la fin de son initiation.


            Il s'agit là d'un livre éblouissant par la lumière qui se dégage des pages. On suit pas à pas le détachement du danseur qui se plie aux tâches les plus rebutantes, les plus obscures pour accepter d'entrer en contact avec la matière, la couleur. Car il faut savoir tirer les couleurs du monde vivant, végétal, minéral, animal. Toutes les étapes seront franchies avec plus ou moins de difficultés mais avec confiance car le Maître est là qui guide, rassure. C'est une épreuve d'amour, de confiance absolue. Les différentes étapes seront franchies palier après palier. La rupture avec son ancien métier s'impose d'elle-même mais le métier d'enlumineur est moins lucratif que celui de chorégraphe et vous expose moins aux feux de la scène. L'enlumineur est né, il doit à son tour créer, faire vivre son art, le transmettre à un élève, passer le témoin, le flambeau de lumière qui transfigure les manuscrits sacrés. L'Enlumineur comme le Maître-Verrier est un passeur de Lumière et à ce titre son art doit perdurer.
(écrit le 9/02/2014)
                                               Josseline G.G.