« Je
n'avais jamais touché de parchemin. Celui-ci était rugueux, pelucheux, solide.
Je fus d'emblée ému par son épaisseur, son grain. Il émanait quelque chose au
toucher de cette surface ivoirée, de cette peau ( …) je touchai et sentis avant
de voir. Une onde commença à se propager en moi. Chaque page était peinte
entièrement. Jamais je n'avais senti une lumière comme celle-ci. Un séisme, une
illumination à vous couper le souffle. Ma vie bascula. J'étais au centre du
monde, saisi d'effroi. Quelque chose se manifestait qui n'était pas de l'ordre
du « profane ». p.34
L'ouverture de cet Incunable à la
bibliothèque de Turin allait irrémédiablement changer l'orientation de la vie
du danseur-chorégraphe de renommée mondiale, Jean-Luc Leguay. Un beau matin,
alors qu'il allait se documenter à la bibliothèque royale de Turin, la mise en
présence d'un manuscrit enluminé allait agir comme un véritable révélateur de
vocation, bouleversant par là même, toutes les structures de sa vie établie de
chorégraphe, maître de ballet, organisateur de spectacles mondiaux. En quelques
minutes toutes ses certitudes sont balayées, tout est remis en question. P 34
« J'étais enfin sur un chemin, sur mon chemin, projeté vers un autre
moi-même. Je pressentais une autre harmonie que je cherchais dans la danse. Ce
livre fut pour moi comme un appel du
Haut ».
Dès lors il fait appel à ses
relations et on lui indique au fond de l'Italie, vers Naples, dans la campagne
sicilienne, un vieil ermitage. L'ermite italien accepte de le prendre comme
élève par périodes assez fluctuantes comme le lui permettent ses contrats et
ses tournées chorégraphiques. Il va passer dix années à côté du Maître de
Lumière, effectuant les tâches les plus humbles, puis les plus élaborées,
s'astreignant aux jeûnes les plus ascétiques mais aussi les plus régénérateurs.
Au terme de trois grandes nuits d'initiation avec le Maître, il sortira grandi
de ces épreuves, ayant dépassé le doute, la peur, le découragement. Alors que
le Maître le consacre à la maîtrise de l'enluminure, il lui faudra affronter
une épreuve plus grande encore, la perte du Maître qui coïncide avec la fin de
son initiation.
Il s'agit là d'un livre éblouissant
par la lumière qui se dégage des pages. On suit pas à pas le détachement du
danseur qui se plie aux tâches les plus rebutantes, les plus obscures pour
accepter d'entrer en contact avec la matière, la couleur. Car il faut savoir
tirer les couleurs du monde vivant, végétal, minéral, animal. Toutes les étapes
seront franchies avec plus ou moins de difficultés mais avec confiance car le
Maître est là qui guide, rassure. C'est une épreuve d'amour, de confiance
absolue. Les différentes étapes seront franchies palier après palier. La
rupture avec son ancien métier s'impose d'elle-même mais le métier d'enlumineur
est moins lucratif que celui de chorégraphe et vous expose moins aux feux de la
scène. L'enlumineur est né, il doit à son tour créer, faire vivre son art, le
transmettre à un élève, passer le témoin, le flambeau de lumière qui
transfigure les manuscrits sacrés. L'Enlumineur comme le Maître-Verrier est un
passeur de Lumière et à ce titre son art doit perdurer.
(écrit
le 9/02/2014)
Josseline
G.G.