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mardi 2 septembre 2014

Des fleurs pour Algernon (1966) de Daniel Keyes



           


        Charlie Gordon est un adolescent attardé mental qui a trouvé un petit travail dans une boulangerie, affecté aux tâches les plus ingrates. Mais il a une vie sociale même s'il est l'objet des moqueries et plaisanteries de certains. Dans un centre d'expérimentation médicale, deux docteurs, le professeur Nemur et le docteur Strauss viennent d'expérimenter sur une souris blanche Algernon. Après opération sur son cerveau, elle est capable de réaliser des parcours dans un labyrinthe sans se tromper, en un temps record. Forts de ce succès, ils décident de tenter l'expérience de l'opération sur un cerveau humain, celui d'un simple d'esprit, Charlie Gordon. Sa famille accepte, l'ayant déjà relégué à l'asile Warren pour qu'il ne nuise pas au bon développement de sa sœur Norma.

            L'opération est un succès et Charlie s'éveille à l'intelligence en un temps qui défie les lois communes. Il rattrape son retard en lecture, orthographe, devient doué, surdoué, passe brillamment les tests, les examens. Il écrit des articles dans de nombreux domaines : mathématique, physique … Toutes les disciplines lui sont accessibles, il parle couramment sept langues. Mais un jour les facultés d'Algernon, la petite souris, sa compagne, déclinent. Charlie dans son intelligence a pressenti les premiers symptômes des défaillances de l'implantation sur la souris et il a fait le rapprochement avec sa propre vie, sa propre intelligence. Il sait que ses jours sont comptés, que son potentiel intellectuel va décroître aussi vite qu'il a grimpé. Va-t-il conserver le bénéfice de l'apprentissage de la lecture, de ses découvertes ?

            Que va devenir son amour naissant partagé pour Alice Kinnian, sa psychologue ? Il a découvert le monde des relations humaines, l'orgueil, la cupidité de certains, l'empathie et l'amour des autres, la pitié et le rejet. Mais il sait qu'il va régresser à l'image de sa petite souris-cobaye. Alors une course contre la montre s'engage pour vivre intensément, accomplir ses engagements avant que ses facultés ne s'éteignent à tout jamais. Y parviendra-t-il ? Charlie analyse lui-même le processus de dégradation progressive qui va se produire sur son psychisme et ses facultés intellectuelles qui vont être soufflées comme une bougie. Sa lucidité nous laisse désarmés à partager sa détresse, celle de voir s'enfuir l'accès à la connaissance, à l'intelligence, l'ouverture au monde. Le voilà condamné à rejoindre le monde des non-êtres.
(p.433) «  Le stimulus chirurgical auquel nous avons été tous deux soumis a entraîné une intensification et une accélération de tous les processus mentaux. Son évolution inattendue que j'ai pris la liberté de nommer l'effet Algernon-Gordon, est l'extension logique de toute l'accélération de l'intelligence (…)  L'intelligence artificiellement augmentée se dégrade selon un taux directement proportionnel à la valeur de l'augmentation. »


            Livre poignant que cette fiction qui permet à un simple d'esprit d'accéder à la connaissance, à un degré très avancé de culture et de savoir en diverses disciplines. Pourtant ce savoir, cette science ne seront qu'éphémères car obtenus par opération chirurgicale et manipulation scientifique. Il n'en faudra pas plus pour éveiller à la conscience du trésor qu'est l'intelligence  et le savoir pour un être humain. Et ce sera précisément la perte de ces facultés miraculeusement acquises qui rendra plus poignante la régression de Charlie jusqu'au stade initial.

            Pourquoi lui avoir donné l'illusion de la connaissance pour qu'il retombe dans le néant d'où il venait ? Cela les chercheurs ne l'avaient pas anticipé. L'expérience sur la souris Algernon aurait dû susciter plus de prudence et de recul. Livre riche d'enseignement sur ces êtres qui souffrent dans leur corps et dans leur esprit. Du fond de leur connaissance enténébrée, surgissent des moments de lucidité, de clairvoyance. Et même s'ils n'ont pas les mots pour le dire, les maux dont ils souffrent sont bien réels, coupés des autres, exclus, différents, rejetés mais si semblables à nous, dans notre solitude d'être humain abandonné à notre sort. Peut-être ce livre vous permettra-t-il de considérer les handicapés mentaux comme Charlie avec un peu plus d'humanité. Alors tout  ne sera pas perdu.


                                                                                  (écrit le 21/10/2013)  Josseline G.G.