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mercredi 1 juin 2022

Huis clos de Sartre (1944) scène 1

 

Préambule sur l’époque

 

La censure vichyste et la Propaganda allemande ne sont pas seules à condamner et interdire pendant l’Occupation. La critique (Je suis partoutLa Gerbe) et la presse spécialisée (Comoedia) sont aux mains des collaborationnistes les plus attentifs à démasquer les « mauvais » auteurs et les « mauvaises » intentions.

Rentré de captivité en 41, Sartre crée un petit réseau de résistance intellectuelle et diffuse quelques tracts. Mais il le dissout quelques mois plus tard. C’est donc par le moyen de l’écriture dramatique qu’il entreprend de résister. Il fait monter Les Mouches en 43 et Huis Clos en 44. Les deux pièces sont acceptées par la censure car l’intention politique est peu manifeste. Elle n’est d’ailleurs comprise ni par la censure, ni par la critique.

En revanche, la mise en question provocante de l’ordre moral vichyste par la représentation sur scène d’une lesbienne et d’une infanticide, même damnées, n’échappe pas aux critiques de la Gerbe qui réclamera en vain l’interdiction de la pièce.

Quant au régime de Vichy, peut-être suffisait-il de lui montrer, comme Sartre, qu’un théâtre moderne, ambitieux et parfaitement étranger à l’idéologie imposée était possible, pour rendre vaine sa volonté d’asservir les consciences et les esprits. L’existentialisme mis en représentation dans cette pièce est, selon les mots de l’auteur, un humanisme.

 

                                                              

 Théâtre du Vieux Colombier Paris

 

C’est en pleine période de l’Occupation en mai 1944 que Jean-Paul Sartre fait jouer Huis clos au théâtre du Vieux Colombier à Paris. C’est une pièce à thèse existentialiste qui va être acceptée par la censure allemande et celle de Vichy malgré des entorses à l’ordre moral et des allusions pourtant décelables à la situation de la France, enfermée dans l’enfer nazi. C’est en enfer, en effet, que vont se retrouver les trois personnages principaux de cette pièce en un acte et cinq scènes. Dans la scène d’exposition, rien n’est pourtant très clair. Le premier protagoniste, Garcin, est introduit par un garçon d’étage dans ce qui semble être une chambre d’hôtel. Comment s’installe peu à peu l’enfermement contenu dans le titre de la pièce : le huis clos ? Après avoir examiné les brouillages sur la situation, on verra comment se mettent en place les thèmes majeurs de la pièce.

 

I) Bienvenue à l’hôtel ou en enfer ? Brouillage sur la situation

 

A) l’incertitude sur les lieux

 

- Le décor de la chambre que Garcin, introduit par le Garçon, découvre en même temps que les spectateurs, est (on l’apprend dans la didascalie initiale) de style Second Empire. C’est le cliché du confort bourgeois avec ses objets lourds et d’un goût très discutable. « C’est comme ça … » ne peut s’empêcher de constater de manière critique Garcin en entrant. Puis il remarque par la suite qu’il n’y a « pas de lit », ce qui est plus qu’étrange pour une chambre d’hôtel !

- Pourtant tout un réseau lexical de l’hôtellerie va être utilisé par le Garçon qui répond aux questions de « son client » qui se renseigne sur les lieux : chambres couloirs, clientèle internationale avec des Chinois, des Hindous (ce qui est une curieuse confusion entre nationalité et religion), la Direction, le chef des garçons. C’est un véritable brouillage qui se met en place pour le spectateur et pour Garcin aussi, même si ce dernier semble savoir pertinemment qu’il n’est pas un vrai touriste prenant possession de sa chambre d’hôtel.

- Tout une série de remarques de Garcin montre qu’il s’attendait à un tout autre décor et à une ambiance bien différente : « Tout de même, je ne me serais pas attendu […] Où sont les pals […] Les pals, les grils, les entonnoirs de cuir ? ». Cette singulière énumération renvoie à une salle de torture. Ce qui, mis en relation avec le titre de la pièce Huis clos, connote un univers carcéral et un procès imminent en chambre close.

- Pourtant, les allusions et les non-dits comme : « Vous n’êtes pas sans savoir ce qu’on raconte là-bas ? » ou les imparfait employés par Garcin : « je vivais toujours […] des situations fausses ; j’adorais ça » font supposer que le « là-bas » est plutôt  son « avant » c’est-à-dire le monde des vivants. Cela est confirmé par l’ironie du garçon qui corrige Garcin quand ce dernier s’exclame : « Alors il faut vivre les yeux ouverts … ». « Vivre … » répète le Garçon, aussitôt rabroué par Garcin : « Vous n’allez pas me chicaner pour une question de vocabulaire. » Le spectateur comprend alors que « la vie sans coupure » que prévoit Garcin qui « n’ignore rien de [sa] position », c’est la mort éternelle à subir, non pas dans une prison avec torture, ni dans l’enfer traditionnel, ni même dans une vraie chambre d’hôtel mais dans un endroit neutre tout aussi effrayant et terriblement bourgeois…

 

B) La confusion sur les rôles

 

- Qui sont donc les deux personnages qui entrent en scène ? Le lecteur de la pièce, grâce aux noms des personnages dans les didascalies de désignation, sait que l’un s’appelle Garcin et que l’autre est désigné par sa fonction : le Garçon. Le spectateur, lui, pourra repérer la fonction du garçon par sa livrée de valet et en déduira que l’autre homme est un client d’hôtel mais il n’apprendra pas encore son nom. La chambre examinée et commentée par Garcin confirmera cette information.

- Cependant, ce n’est pas si simple car le Garçon est énigmatique, peu loquace et a tendance à répondre aux interrogations de Garcin par des questions ironiques : « Mais, pour l’amour de Dieu, est-ce que vous ne pouvez pas réfléchir ? ». Il manque singulièrement de politesse pour un employé d’hôtel, ce qui fait réagir Garcin ! Il a aussi une particularité physique effrayante que remarque Garcin : « Ma parole, elles (les paupières) sont atrophiées. ». Ce Garçon-là semble être l’auxiliaire d’un possible tribunal ou d’un enfer singulier dans un décor bien matérialiste.

- Et Garcin ? Un simple client inquiet sur son confort ou son hygiène dentaire ? Cela ne paraît pas du tout le cas car il envisage déjà son « futur » dans cette chambre : « Voulez-vous que je vous raconte comment cela se passe ? » puis il semble se résigner à ne plus poser de questions : « Allons, on vous a sans doute défendu de me répondre, je n’insiste pas. Mais rappelez-vous qu’on ne me prend pas au dépourvu ». Garcin sait donc parfaitement où il est et lui et le garçon viennent de jouer une comédie où les rapports de force vont d’ailleurs fluctuer. Le garçon se montre insolent et sarcastique. Garcin riposte et s’adresse à lui comme à un domestique (« Je vous prie de m’épargner vos familiarités […] C’est bon. Allez-vous-en »), le garçon redevient alors servile (« excusez-moi […] à votre service »). Mais Garcin a tenté de le retenir le plus longtemps possible dans la chambre de peur de se retrouver seul, enfermé à jamais.

 

La pièce de Sartre s’ouvre donc sur un étrange hôtel-prison-enfer où vient d’arriver un client-condamné-décédé accueilli par un garçon-geôlier-diable. Le lecteur ou le spectateur  découvre les lieux en même temps que le drôle de client et par l’étrangeté de l’échange entre les deux personnages se demande si on va l’entraîner dans une comédie ou dans le registre fantastique ou tragique. Là aussi l’incertitude plane. Mais quelques indices l’orientent peut-être dans une autre direction.

 

 

II) L’existentialisme en situation ou l’amorce des thèmes majeurs de la pièce

 

A) le thème du regard : l’obligation d’affronter la vérité

 

- L’absence de miroir et de fenêtre dans la chambre est tout de suite remarquée par Garcin qui ironise aussitôt : « Et pourquoi se regarderait-on dans les glaces ? ». Il enchaîne en affirmant : « je regarde la situation en face », phrase qu’il répète plus loin comme pour se persuader lui-même qu’il va pouvoir assumer sa nouvelle condition. Le verbe « regarder » est donc employé de manière polysémique : la vue et la recherche de la vérité. Dans ce lieu-là, on ne peut voir son image matérielle mais uniquement s’efforcer de comprendre quelque chose en « regardant » à l’intérieur de soi-même.

- C’est pourquoi, il n’y a pas de « coupure », c’est-à-dire pas de nuit, pas de sommeil et donc pas de lit et l’électricité branchée en permanence ! « Les yeux ouverts. Pour toujours. Il fera grand jour dans mes yeux. Et dans ma tête ».

- Garcin va se livrer à un singulier éloge du sommeil et du rêve : « là-bas il y avait les nuits ; Je dormais. J’avais le sommeil douillet. Par compensation. Je me faisais faire des rêves simples. Il y avait une prairie … Une prairie, c’est tout. Je rêvais que je me promenais dedans ». Le sommeil semble réparer autre chose que la simple fatigue. « Par compensation » intrigue, tout comme les « situations fausses » qu’adorait Garcin, comme il le reconnaît dès le début. D’ailleurs, sans sommeil, il s’inquiète : « Comment pourrai-je me supporter ? ». Garcin va-t-il être contraint à une introspection permanente pour examiner sa vie et sans doute ses fautes ?

 

B) La privation de liberté et d’action

 

- Les objets résistent et n’obéissent plus à leur usage. Ainsi, le bronze de Barbedienne, trop lourd, ne peut être soulevé pour être jeté contre la lampe pour l’éteindre. Un coupe-papier est là qui ne sert apparemment à rien puisqu’il n’y a pas de livres à couper (les pages des livres n’étaient pas découpées dans les années 40). La sonnette est capricieuse et ne fonctionne pas régulièrement. Tout semble détraqué et absurde.

- Le lieu ne donne pas sur l’extérieur : pas de fenêtre, des couloirs derrière la porte et encore des couloirs. La porte est verrouillée. Impossible de s’échapper.

- Garcin est donc prisonnier et n’a aucune possibilité de « divertissement » au sens de Pascal. Même la visite du garçon est aléatoire. Va-t-il se retrouver seul face à lui-même pour l’éternité, sans repos, sans activité et sans liberté ? C’est bien ce qu’il redoute et il se met à frapper frénétiquement contre la porte dès la sortie du garçon.

 

La scène d’exposition est mystérieuse à bien des égards : incertitude sur la nature réelle du lieu malgré une forte présomption qu’il s’agisse d’un enfer spécial. On ne sait rien du rôle exact du garçon, ni s’il va revenir. Quant à Garcin, on sent qu’il a quelque chose à se reprocher mais on ne sait pas quoi. Cependant on se doute que cet enfer sera psychologique et moral et que « avoir les yeux toujours ouverts », l’enfermement, l’absence d’occupation et peut-être la solitude éternelle risquent de rendre fou Garcin ou de l’anéantir. La force de cette scène c’est qu’elle laisse planer bien des incertitudes et soulève bien des questions : pourquoi une telle insistance sur le thème du regard ? Apparemment le regard fixe du garçon a gêné Garcin, il n’y a donc pas que le fait de ne pas pouvoir se voir lui-même qui est en cause. Sartre introduit très habilement sa problématique du jugement d’autrui et de soi-même. C’est pour cette raison que Garcin va avoir « de la visite » et  ses visiteuses et « colocataires » vont le regarder comme lui-même va aussi le faire et là, va vraiment commencer l’enfer. Le regard, c’est le symbole de la recherche de la vérité mais c’est surtout ce qui met l’homme en relation et en interaction avec les autres. On n’existe que par le regard des autres et leur jugement. Peut-on se cacher et mentir quand tous les artifices de la vie  disparaissent ? A-t-on des comptes à rendre aux autres ? Ce sont bien là les enjeux de la pièce et de l’existentialisme en action et en représentation.

 

Céline Roumégoux

 

Tous droits réservés

mardi 31 mai 2022

Huis clos, Jean-Paul Sartre scène 5 (début de la scène)

 Huis clos, Jean-Paul Sartre, 1944

Scène 5


(de Garcin « Allons, pourquoi sommes-nous ensemble ? »

à Inès « Le bourreau, c’est chacun de nous pour les deux autres. »)

Voir le texte ICI

 

Coupables ou non coupables ?

Ou la comédie des faux aveux en déni de l’enfer

 

Voici deux commentaires de cette scène par deux élèves

Premier commentaire

Philosophe fondateur de revues, auteur d’essais, de récits et de pièces de théâtre, Jean-Paul Sartre s’engage dans les combats de son époque de la Seconde Guerre mondiale à la Guerre Froide. Il invente l’Existentialisme qui pose la question du sens de l’existence et de l’engagement. Sa pensée est exposée dans ses romans, La Nausée (1938) ou des pièces de théâtre, Les Mouches en 1943 et Huis clos un an plus tard. Dans cette pièce trois personnages sont condamnés à être ensemble pour l’éternité. Dans l’extrait de la scène 5 que nous étudierons, les trois personnages cherchent à se disculper en faisant des faux aveux. Tout commence lorsqu’ils se mettent à chercher la raison pour laquelle ils sont réunis et s’achève uniquement lorsqu’ils l’ont assimilée. Nous verrons comment le trio se retrouve piégé par la situation malgré les jeux de comédie qu’ils mettent en place. Tout d’abord, nous étudierons la comédie des faux aveux puis comment leur culpabilité éclate.

 

       I.            La comédie des faux aveux en déni de l’enfer

 

A. Un jeu de comédie

 

·          Face à l’interrogatoire d’Inès qui cherche à savoir pourquoi Estelle et Garcin sont en enfer, Estelle préfère nier les faits en répétant « je n’en sais absolument rien » et en s’exclamant « je ne sais pas du tout ! ».

·         Chacun d’eux joue à l’innocent. On peut l’observer par les pronoms interrogatifs « Quoi », mais aussi par le champ lexical de la stupéfaction « brusquement », « étonnée », « vivement » dans les didascalies.

·         Inès justifie la situation par un manque de « courage », mais ce n’est pas pour autant qu’elle avoue ce qu’elle a fait pour arriver en enfer.

 

B. La petite sainte et le héros sans reproche

 

·         Est-ce une simple erreur ? En tout cas c’est ce qu’Estelle préfère prétendre face à la situation « Est-ce qu’il ne vaut pas mieux croire que nous sommes là par erreur ? ». Elle raconte sa vie de manière dramatique : une femme qui était orpheline et pauvre et qui a dû faire des sacrifices. Afin de se disculper, elle emploie des questions oratoires : « Croyez-vous que ce soit une faute ? »

·          De même Garcin se fait passer pour un héros sans reproche qui a été fusillé, selon lui, pour avoir vécu « selon ses principes ». Il cherche, lui aussi, à se déculpabiliser par des questions oratoires « Où est la faute ? »

·         Inès ne dit toujours rien quant à la raison pour laquelle elle se trouve en enfer.

 

Ainsi les trois personnages cherchent-ils à se disculper et jouent-ils une comédie mensongère dont les autres ne sont pas dupes. Cependant, cela ne suffit pas en enfer.

 

    II.            Tous coupables !

 

A.    Se faire trahir par l’expression de ses sentiments

 

·          La part de culpabilité du trio se dessine par leur expression. En effet,  lorsque Estelle cherche à prouver son innocence, Inès et  Garcin se mettent à sourire : « Ne souriez pas » leur dit-elle.

·         Inès se montre ironique face à la situation. Ainsi nomme-t-elle Garcin « un Héros » alors qu’elle sait qu’il est un lâche. Elle utilise une antiphrase ironique.

·        L’échange entre les trois personnages est de plus en plus violent, en particulier à l’égard d’Inès. Estelle se comporte « avec insolence » et Garcin  se fait menaçant « la main levée ».

 

B.     L’enfer psychologique, un enfer redoutable

 

·         Inès est la plus lucide.  Elle sait et ne détourne pas la réalité. Elle utilise des exclamations et des répétitions afin de souligner qu’ils sont « entre assassins » et « en enfer » : « En enfer ! », « Damnés ! Damnés ! » et qu’il faut à présent « payer ». Elle se délecte à l’annoncer aux autres.

·          Elle est donc la première à avoir compris le principe de l’enfer : « Il n’y a pas de torture physique » et chacun d’entre eux est le bourreau pour les deux autres. Face à la réalité, Garcin et Estelle demandent à Inès de se taire « Taisez-vous », « Voulez-vous vous taire ! », « Est-ce que vous vous tairez ? ». Ce déni est bien inutile ...

·        Sartre donne une représentation de l’enfer qui déjoue les mythes religieux avec un enfer psychologique où « le bourreau c’est chacun de nous pour les deux autres ».

       Le trio refuse sa situation d’où les jeux de comédie que deux d’entre eux mettent en place. Dans un premier temps, les trois personnages cherchent à se disculper par le refus de la vérité et de la responsabilité, par le mensonge ou par le jeu de séduction ou de pouvoir, afin d’aveugler l’autre ou de se l’approprier. Cependant, cela ne suffit pas car ils savent qu’ils sont réunis en tant qu’assassins. Ainsi Sartre met-il en place un enfer psychologique (et non religieux) où doivent se confronter les personnages pour l’éternité. Il développe davantage sa théorie dans ses autres œuvres comme L’Existentialisme est un humanisme. Selon lui, « l’existence précède l’essence » donc « on est ce que l’on fait de sa vie ». Si on ne veut pas que l’enfer ce soit les autres, car on n’existe que par leur regard, il faut bien user de sa liberté pendant sa vie (« l’homme est condamné  à être libre »), être responsable de ses actes librement choisis, avoir du courage et être solidaire du genre humain, sinon l’Enfer pour toujours.

 Leïla (classe de 1S5, mai 2012)

 

 

Deuxième commentaire

 Huis clos de Jean-Paul Sartre (scène 5)

             Jean-Paul Sartre est un des fondateurs de l’Existentialisme en France. Il a importé ce mouvement allemand où seuls les actes sont pris en compte et non pas les intentions. C’est ainsi que dans la pièce de théâtre Huis clos écrite en 1944, Sartre montre que l’homme doit prendre conscience de la notion de liberté ainsi que de la responsabilité de chacun. En effet, Huis clos présente l’enfer sartrien qui consiste à vivre sous le regard  des autres. Par conséquent dans la scène 5, les trois protagonistes, Garcin, Inès et Estelle, sont réunis dans une pièce dans laquelle ils vont devoir « vivre ». On pourra se demander comment ils vont essayer de se cacher leur culpabilité pour s’inventer des vies vertueuses. Nous étudierons d’abord la comédie des faux aveux dans un interrogatoire mené par Inès puis le début de leur descente en enfer.

       I.            Les faux aveux

 

1)      L’interrogatoire

 

·         Dès le début de l’extrait Inès, qui prend le rôle de procureur d’un procès, commence l’interrogatoire de Garcin et d’Estelle. Elle pose donc des questions brutes pour connaître les actes que ces deux personnages ont commis pour être arrivés en enfer. Par exemple, elle demande : « Qu’avez-vous fait ? Pourquoi vous ont-ils envoyés ici ? »

·         Suite à ces questions, Estelle va nier en prétendant : « Mais je ne sais pas, je ne sais pas du tout ». Elle suppose qu’elle s’est retrouvée ici seulement à cause d’une « erreur » provoquée par « des employés sans instruction ».

·         Devant ces questions embarrassantes, Estelle et Garcin se sentent mal à l’aise d’où la répétition de « ne souriez pas ». Ils vont donc choisir la facilité en racontant leur histoire de manière à les rendre innocents.

  

2)      Une comédie mensongère

 

·         Estelle et Garcin vont raconter des faux récits pour se présenter comme de simples innocents.

Lors de son histoire, Estelle utilise un registre pathétique pour inspirer la pitié et ainsi se montrer comme étant une victime. Celle-ci emploie donc un vocabulaire qui permet de tourner son récit en drame comme « orpheline », « pauvre », « sacrifier ».

·         Estelle veut expliquer son innocence en montrant ses sacrifices faits pour son frère malade ainsi que sa « jeunesse [donnée] à un vieillard ». De plus, cette jeune femme veut être déculpabilisée d’où les nombreuses questions oratoires : « Qu’auriez-vous fait à ma place ? ».

·         Quant à Garcin, il prétend être mort pour avoir vécu selon ses principes. Lui aussi utilise des questions oratoires telles que « Que faire ? » et « Où est la faute ? ».

·         Suite à ces faux récits, Inès use d’ironie en les appelant « Un Héros » et « la petite sainte ».

 

Lors de cet interrogatoire agressif d’Inès, les accusés vont se présenter de manière valorisante dans leurs récits. Ils refusent donc d’accepter la vérité. C’est ainsi que va commencer la sensation d’enfer entre ces personnages.  

   

    II.            Le début de l’enfer

 

1)      Des rapports de force se dessinent

 

·         Estelle et Garcin se sentant persécutés par les nombreuses questions d’Inès vont s’entraider face à celle-ci. En effet, ils recourent à une solidarité en approuvant ce que chacun d’eux raconte. Cependant cette solidarité ne va pas se prolonger étant donné qu’elle s’appuie sur des mensonges, même si Estelle feint d’absoudre Garcin en disant : «  Il n’y a pas de faute ».

·         C’est pourquoi Garcin et Estelle se liguent contre Inès en lui ordonnant de se taire. Estelle ordonne à plusieurs reprises : « taisez-vous » et Garcin appuie : « est-ce que vous vous tairez ». Nous pouvons donc voir que des tensions commencent à se créer.

·         Les échanges entre les protagonistes deviennent rudes, marqués par une ponctuation forte dans les apostrophes d’Inès : « Damnés !», « En enfer !».

 

2)      La vérité de l’enfer dévoilée

 

·         C’est Inès qui est la première à comprendre la vérité sur l’enfer. Elle va donc en informer ses deux camarades avec cynisme. Elle  affirme que l’enfer : « c’est chacun d’eux pour les deux autres ».

·        Elle explique ce principe en comparant l’enfer à un hôtel « en self service », d’où l’emploi du vocabulaire de l’hôtellerie en rapport avec le lieu singulier où ils se trouvent réunis : « une économie de personnel », « clients », « services ». Cette image est évidemment ironique et réduit l’enfer traditionnel à une réalité prosaïque.

·         La révélation se fait donc par Inès qui leur apprend aussi qu’ils sont tous des « assassins ». Elle explique qu’ici « ils [la direction de l’hôtel] ont réalisé une économie » puisque ce sont les clients qui occupent alternativement la fonction de bourreaux pour les autres.

  

Ainsi Sartre nous présente-t-il un interrogatoire conduit par Inès dans lequel elle souhaite faire dire aux deux autres la vérité puisqu’elle a déjà admis qu’elle-même était damnée et méchante. Mais tout cela entraîne une montée de violence entre les personnages. C’est Inès qui amorce la philosophie de Sartre en prétendant que l’enfer c’est les autres car on n’existe que par leurs jugements. Selon l’auteur, il faut être responsable de ses actes car « l’existence précède l’essence » donc « on est ce que l’on fait » et mentir ne sert à rien : on ne peut rien cacher en enfer ! De plus, nous devons user courageusement de la liberté dont on dispose vivant, puisque « l’homme est condamné à être libre ». Ainsi les principes existentialistes essentiels sont d’avoir du courage, d’être responsable de ses actes et d’être solidaire du genre humain. Cette pièce sera reprise au cinéma en 1954 par Jacqueline Audry avec néanmoins quelques différences. Mais dans les deux versions les rapports de force et la philosophie sartrienne sont bien présents.

 

Pauline (classe de 1S5, mai 2012)

Voir le commentaire de la fin de la scène ICI

dimanche 29 mai 2022

Trois petites sœurs de Suzanne Lebeau, commentaire du Prologue

 

Trois petites sœurs  (éditions Théâtrales / Jeunesse, 2017)

 de Suzanne Lebeau

 

En guise de prologue

La famille





ALICE .– Ils sont là, avec moi, les personnages de l’histoire.
Je les laisse se présenter eux-mêmes.
Ça, ils peuvent le faire.
Ils peuvent raconter... aussi...
Mais si je les laisse seuls, tous les quatre,
ils ne pourront pas dire le plus important.
Il faut du temps, beaucoup de temps
pour trouver les bons mots
et les bons silences.

LA MÈRE .– Je suis la mère...
La mère d’Alice.
La mère de la petite Alice.
Les regards changent quand je prononce les mots.
Autour de moi, les voix se font plus douces,
timides,
effrayées.
Effroyablement distantes !
On ne me demande pas comment je vais.
Jamais !
Personne ne veut entendre la réponse, je crois.
Ils ont peur...
Oui, ils ont peur que je donne une vraie réponse...

que j’avoue simplement : « Je ne vais pas bien,
pas bien du tout. »
Les regards se baissent, se détournent, regardent au loin...
cherchent une excuse pour partir,
pour fuir.
J’ai envie de hurler :
« Restez, restez, s’il vous plaît,
je ne suis pas contagieuse.
J’ai besoin de vous.
Ne partez pas ! »

LE PÈRE .– Je suis le père...
Le père d’Alice.
Le père de la petite Alice.
Les clichés sont tenaces : les hommes ne pleurent pas.
« Tu es un homme !
Retiens-toi un peu ! »
Combien de fois je l’ai entendu,
avec ou sans la petite tape sur l’épaule.
« On te comprend, c’est sûr.
Mais c’est... la vie. »
Le dernier mot est dit avec un sourire gêné.
« Tu dois revenir sur terre.
À la réalité.
Au travail.
Au quotidien. »
Je ne dois pas pleurer, je dois faire comme si...
Être fort.

Je sais ce que l’on attend de moi.
Je le sais jusqu’au bout des doigts.
Faire semblant.
Pour les filles, mes belles filles...
Faire semblant pour elles.
Je fais semblant...
mais... je ne m’habitue pas.
Je ne m’habitue pas... ne m’habitue pas.
(Il est interrompu par ses propres sanglots qui lui
montent à la gorge )

[...]


Suzanne Lebeau

 

Commentaire du début du Prologue

des Trois petites sœurs de Suzanne Lebeau

 

         Dans le prologue de Antigone (1944) d’Anouilh, un seul personnage s’adresse directement au public pour présenter les protagonistes de la pièce et pour en décrire le déroulement et l’issue tragique. L’intérêt ne réside donc pas dans l’histoire qui est connue d’avance avec la mort annoncée d’Antigone mais dans les relations entre les personnages et leurs rapports à la vie, à l’autorité, à la cité et à la mort. Dans la pièce de Suzanne Lebeau Trois petites sœurs (2017), les personnages se présentent eux-mêmes à tour de rôle. Il s’agit aussi d’une famille dont on apprendra au cours de la pièce que la fille cadette, Alice, va mourir d’une tumeur au cerveau. Il sera intéressant d’examiner pourquoi, dans cette scène d’exposition en prose, les personnages se présentent de manière énigmatique, sans vraiment communiquer entre eux et avec le public, dans une sorte de complainte de l’indicible. Quel tabou doivent-ils taire ou exprimer et pourquoi ?

 

 

I) La présentation énigmatique des personnages par eux-mêmes dans cette scène d’exposition

 

A) Alice, maîtresse du jeu dramatique

 

            - Le premier personnage à s’exprimer est Alice mais elle ne donne pas son prénom aux spectateurs, ni son âge, ni ses liens de parenté avec les autres personnages. Elle les désigne comme «  les personnages de l’histoire » et précise leur nombre, en plus d’elle même : «  tous les quatre ». Le spectateur apprend donc qu’il y a cinq protagonistes dans cette histoire. Alice annonce qu’elle les « laisse se présenter eux-mêmes » et « raconter... aussi... ». Son rôle consiste à favoriser leurs paroles par sa présence : « Mais si je les laisse seuls, tous les quatre, ils ne pourront pas dire le plus important. »

            Elle joue donc le rôle de médiatrice et ne fournit pas d’explication sur l’histoire ni sur elle-même. Le spectateur voit cependant par son aspect physique dans la représentation théâtrale qu’elle est une petite fille. Ce qui compte pour elle c’est de faire « trouver les bons mots et les bons silences ». A ce stade, le spectateur est intrigué et attend avec impatience les mots des autres personnages et leurs liens entre eux, sachant, selon les termes d’Alice, qu’il « faut du temps, beaucoup de temps pour trouver les bons mots et les bons silences. »

 

B) La mère, incarnation de la douleur et du rejet par les autres

 

            - Le deuxième personnage à prendre la parole indique d’emblée : « Je suis la mère...
La mère d’Alice. 
» sans qu’on sache son prénom. Le spectateur commence à comprendre qu’il s’agit d’une histoire de famille, que les rôles familiaux semblent primer sur l’identité individuelle et que les protagoniste se positionnent par rapport à Alice qui paraît être le personnage central. Le spectateur est surpris de voir que les adultes ne prennent pas la parole en premier et que leur fille, Alice, affirme qu’elle est là pour qu’ils puissent « trouver les bons mots et les bons silences » Les grandes personnes auraient-elles quelque chose à cacher ou sont-elles incapables d’utiliser le langage pour dire ce qui, pour elles, est indicible ? Le spectateur est d’autant plus attentif au discours de la mère pour trouver des indices et des réponses.

            Cependant, l’attente du spectateur est déçue car la mère reste énigmatique sur le sujet de son histoire. Elle constate avec regret que : « Les regards changent quand [elle] prononce les mots. » Quels mots ? Elle ne le précise pas. Elle se concentre sur la réaction des autres qui « cherchent une excuse pour partir, pour fuir. » Elle dit qu’elle a « envie de hurler » pour les retenir. Le spectateur commence à deviner que la mère vit quelque chose de grave et de douloureux et que personne ne peut vraiment l’aider.

 

C) Le père victime des préjugés masculins sur le droit de pleurer

 

            - Voici le troisième personnage qui se présente avec la même formule que la mère, en précisant : « Je suis le père d’Alice » mais il n’en dit guère plus. Il déplore les clichés qui imposent aux hommes de « faire semblant », d’être « forts » et de ne pas « pleurer ». Il affirme qu’il s’y efforce pour « les filles, mes belles filles... » mais qu’il ne « s’habitue pas ». Le spectateur découvre qu’Alice a donc deux sœurs, Trois petites sœurs d’après le titre de la pièce, et que le père, comme la mère, souffrent d’une situation terrible qui n’est pas dévoilée pour le moment. La tension monte pendant le discours du père qui ne raconte pas son histoire mais ses sentiments vis à vis de l’indifférence des autres. Tout comme la mère, son chagrin ne peut se partager et on devine un tabou social dans ce qu’il éprouve.

           

            Ainsi, cette présentation est lacunaire et le spectateur ne sait pas de quoi souffrent les parents et se demande pourquoi Alice tient tant à leur faire dire «  le plus important ». Cette scène d’exposition est donc originale par ses non-dits et la tension dramatique que cela provoque.

 

II) Une communication défaillante malgré les discours

 

A) Les obstacles à la parole vraie

 

            - Le vocabulaire de la parole est très fourni dans la bouche des trois protagonistes de ce début de prologue : « se présenter, raconter, dire, mots, les voix, prononcer, demander, réponse ». Néanmoins, les mots semblent échouer à dire et sont évités par ceux à qui ils sont adressés. Le lexique de l’empêchement fait concurrence à celui de la parole chez les personnages : «  ils ne pourront pas dire le plus important » et ils devront trouver « les bons silences ».

 

            - Le blocage vient d’abord de la crainte éprouvée par les gens à entendre le récit des malheurs des autres (« Ils ont peur. »), comme si les mots étaient « contagieux » selon l’expression de la mère, comme si écouter et compatir pouvaient attirer sur soi le même malheur. Ensuite, le conformisme, «  Les clichés sont tenaces » dit le père. Ce sont les pleurs d’un homme, la manifestation émotionnelle de sa souffrance que la société ne supporte pas. Un homme doit être « fort », doit revenir « à la réalité, au travail, au quotidien » c’est-à-dire à tous les dérivatifs d’une vie banale et donc « revenir sur terre ». Il faut donc « faire semblant » et se retenir.

 

B) L’incommunicabilité de la douleur

           

            - Malgré les discours rapportés dans les prises de parole de la mère puis du père, il n’y a pas de véritables échanges entre eux et les autres avec lesquels ils sont en relation. «  On ne me demande pas comment je vais / Personne ne veut entendre la réponse / Oui, ils ont peur que je donne une vraie réponse / On te comprend, c’est sûr. Mais c’est… la vie » Les sourires sont gênés, les regards se détournent et les gens fuient le malheur.

 

            - De même, les personnages ne dialoguent pas entre eux. Ils viennent les uns après les autres exposer leur douleur et l’incompréhension dont ils souffrent. S’ils utilisent les pronoms personnels du discours direct et de la locution, ce n’est pas dans le cadre d’un échange chaleureux entre eux, mais pour montrer leur rejet par les autres : « Tu dois revenir sur terre  / On te comprend mais ».

 

            - Plus inquiétant, alors qu’ils s’avancent à tour de rôle sur scène, ils ne s’adressent jamais à leur public comme s’ils étaient chacun dans la bulle de leur souffrance, comme s’ils se parlaient à eux-mêmes dans une forme d’introspection.

 

            Dès lors, le spectateur entre dans l’intimité des personnages sans encore connaître les causes de leur tourment. Il est partagé entre la curiosité de savoir et la pitié qu’il ressent pour le père et la mère. Peut-être même que ce qu’ils exposent le renvoie à des expériences personnelles de l’incommunicabilité d’une grande douleur morale, ce qui rend ces discours universels car riches de la psychologie humaine.

 

III) Une complainte de l’indicible

 

A) Une élégie

 

            - Le texte dans sa présentation s’apparente à un poème élégiaque. Le champ lexical de l’expression de la douleur est présent dans les discours des parents : « hurler, pleurer » et la mise en forme avec retour fréquent à la ligne pour le texte écrit rappelle la forme poétique.

 

            - Les répétitions : « Je suis la mère / Je suis le père / Restez / Restez / Faire semblant / Faire semblant pour elles / Je ne m’habitue pas / Je ne m’habitue pas… ne m’habitue pas. » résonnent comme des lamentations à l’oral et renforcent l’expression de la douleur.

 

            -  Les énumérations : « plus douces, timides, effrayées,  / à la réalité, au travail, au quotidien »  provoquent un effet de refrain qui appuie sur les redites de mots ou d’expressions et donne de la musicalité aux discours..

 

B) La mort indicible : « du temps pour trouver les bons mots  et les bons silences »

 

            - Cependant comme le dit Alice «  dire le plus important » demande du temps et autant pour le silence. Ne dit-on pas que les grandes douleurs sont muettes ? C’est pourquoi les personnages biaisent, ne parlent pas de l’objet de leur douleur qui est, on l’apprendra plus tard la maladie incurable d’Alice. Il s’agit donc d’un sujet tabou : la mort d’un enfant. Cette mort-là est inconcevable, elle est contre-nature et effraie au plus haut point et on préfère ne pas l’évoquer, surtout à l’époque moderne. Le prénom « Alice » fait penser au roman Les Aventures d'Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll où l’héroïne s’apprête à faire un voyage onirique fabuleux qui peut ressembler au parcours d’Alice, ici, qui se prépare à la mort.

 

            - Le vocabulaire de la vérité s’oppose à celui du mensonge : « une vraie réponse / faire semblant ». La comédie sociale, l’évitement sont la règle pour occulter la tragédie de la mort. Le mot n’est d’ailleurs jamais prononcé. On préfère son contraire pour essayer de se rassurer. «  Mais c’est... la vie » disent les gens au père éploré.

 

            - La principale intéressée, Alice, ne dit rien de sa situation et se contente d’être présente. Elle laisse le soin à sa famille de se présenter et de « raconter... aussi... ». Elle semble tout autant impuissante à envisager sa mort et attend des autres qu’ils formulent l’informulable comme pour apprivoiser cette perspective, se préparer à l’inéluctable.

 

 

            Le tabou de la mort et surtout celle d’un enfant est donc le sujet de cette pièce. Suzanne Lebeau qui écrit pour la jeunesse a donc abordé ici un thème difficile et effrayant. Comment parler de la mort aux enfants ? Dans le prologue, elle laisse planer le mystère, le doute, distille des indices de la douleur des parents. La présentation énigmatique des personnages qui ne disent rien de la situation ni d’eux-mêmes intrigue, fait monter la tension dramatique, inspire de l’empathie, de la pitié et aussi une vague angoisse. On croit déjà deviner et on redoute la suite. Comme les personnages, on hésite à formuler la sinistre vérité. Est-il vraiment possible de partager avec les autres un malheur et un deuil personnel ? Faut-il parler de la mort aux autres ? Faut-il faire semblant de l’ignorer, de faire semblant, d’être fort ? Les voix du prologue s’élèvent comme une complainte du malheur, une élégie douloureuse et poétique malgré les termes simples employés, à cause des effets répétitifs, des accumulations de mots et de la présentation du texte à l’écrit. On s’identifie aux personnages et on se demande ce que l’on ferait à leur place. Finalement, la mort que les sociétés modernes tentent de retarder ou de dissimuler rattrape chacun d’entre nous, jeune ou vieux, riche ou pauvre et il faut bien l’envisager pour l’apprivoiser. Montaigne, au XVIe siècle disait que « philosopher c’est apprendre à mourir » mais on peut aussi apprendre en lisant et en allant au théâtre, même quand on est un enfant.