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samedi 26 novembre 2022

Le héros de romans aux XVIIe et XIXe siècles (La Princesse de Clèves, Madame Bovary, René, Le Rouge et le Noir )

 

Commentaire comparé question transversale 

sur le héros de roman entre idéal et réalité

 

Corpus de quatre textes :

La Princesse de Clèves, Madame Bovary, René, Le Rouge et le Noir     

 

Le héros de romans aux XVIIe et XIXsiècles

 

Question transversale :

Entre idéal et réalité, quelles perspectives pour nos héros ?

I) Visions de femmes

1) La Princesse de Clèves (1678) de Madame de Lafayette :


Georges Callot, l’Attente (1886) musée de Cholet

 

La présentation à la cour ou le premier portrait de la princesse de Clèves

Tome I

 

« Il parut alors une beauté à la cour, qui attira les yeux de tout le monde, et l’on doit croire que c’était une beauté parfaite, puisqu’elle donna de l’admiration dans un lieu où l’on était si accoutumé à voir de belles personnes. Elle était de la même maison que le Vidame de Chartres et une des plus grandes héritières de France. Son père était mort jeune, et l’avait laissée sous la conduite de Mme de Chartres, sa femme, dont le bien, la vertu et le mérite étaient extraordinaires. Après avoir perdu son mari, elle avait passé plusieurs années sans revenir à la cour. Pendant cette absence, elle avait donné ses soins à l’éducation de sa fille ; mais elle ne travailla pas seulement à cultiver son esprit et sa beauté, elle songea aussi à lui donner de la vertu et à la lui rendre aimable. La plupart des mères s’imaginent qu’il suffit de ne parler jamais de galanterie devant les jeunes personnes pour les en éloigner. Mme de Chartres avait une opinion opposée ; elle faisait souvent à sa fille des peintures de l’amour ; elle lui montrait ce qu’il a d’agréable pour la persuader plus aisément sur ce qu’elle lui en apprenait de dangereux ; elle lui contait le peu de sincérité des hommes, leurs tromperies et leur infidélité, les malheurs domestiques où plongent les engagements ; et elle lui faisait voir, d’un autre côté, quelle tranquillité suivait la vie d’une honnête femme, et combien la vertu donnait d’éclat et d’élévation à une personne qui avait de la beauté et de la naissance ; mais elle lui faisait voir aussi combien il était difficile de conserver cette vertu, que par une extrême défiance de soi-même et par un grand soin de s’attacher à ce qui seul peut faire le bonheur d’une femme, qui est d’aimer son mari et d’en être aimée. Cette héritière était alors un des grands partis qu’il y eût en France ; et quoiqu’elle fût dans une extrême jeunesse, l’on avait déjà proposé plusieurs mariages. Mme de Chartres, qui était extrêmement glorieuse, ne trouvait presque rien digne de sa fille ; la voyant dans sa seizième année, elle voulut la mener à la cour. Lorsqu’elle arriva, le Vidame alla au-devant d’elle ; il fut surpris de la grande beauté de Mlle de Chartres, et il en fut surpris avec raison. La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l’on n’a jamais vu qu’à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes. »

 

2) Madame Bovary (1857) de Flaubert, partie I chapitre 7

« Elle songeait quelquefois que c’étaient là pourtant les plus beaux jours de sa vie, la lune de miel, comme on disait. Pour en goûter la douceur, il eût fallu, sans doute, s’en aller vers ces pays à noms sonores où les lendemains de mariage ont de plus suaves paresses ! Dans des chaises de poste, sous des stores de soie bleue, on monte au pas des routes escarpées, écoutant la chanson du postillon, qui se répète dans la montagne avec les clochettes des chèvres et le bruit sourd de la cascade. Quand le soleil se couche, on respire au bord des golfes le parfum des citronniers ; puis, le soir, sur la terrasse des villas, seuls et les doigts confondus, on regarde les étoiles en faisant des projets. Il lui semblait que certains lieux sur la terre devaient produire du bonheur, comme une plante particulière au sol et qui pousse mal tout autre part. Que ne pouvait-elle s’accouder sur le balcon des chalets suisses ou enfermer sa tristesse dans un cottage écossais, avec un mari vêtu d’un habit de velours noir à longues basques, et qui porte des bottes molles, un chapeau pointu et des manchettes Peut-être aurait-elle souhaité faire à quelqu’un la confidence de toutes ces choses. Mais comment dire un insaisissable malaise, qui change d’aspect comme les nuées, qui tourbillonne comme le vent ? Les mots lui manquaient donc, l’occasion, la hardiesse. Si Charles l’avait voulu cependant, s’il s’en fût douté, si son regard, une seule fois, fût venu à la rencontre de sa pensée, il lui semblait qu’une abondance subite se serait détachée de son cœur, comme tombe la récolte d’un espalier quand on y porte la main.

Mais, à mesure que se serrait davantage l’intimité de leur vie, un détachement intérieur se faisait qui la déliait de lui. La conversation de Charles était plate comme un trottoir de rue, et les idées de tout le monde y défilaient dans leur costume ordinaire, sans exciter d’émotion, de rire ou de rêverie. Il n’avait jamais été curieux, disait-il, pendant qu’il habitait Rouen, d’aller voir au théâtre les acteurs de Paris. Il ne savait ni nager, ni faire des armes, ni tirer le pistolet, et il ne put, un jour, lui expliquer un terme d’équitation qu’elle avait rencontré dans un roman.

Un homme, au contraire, ne devait-il pas, tout connaître, exceller en des activités multiples, vous initier aux énergies de la passion, aux raffinements de la vie, à tous les mystères ? Mais il n’enseignait rien, celui-là, ne savait rien, ne souhaitait rien. Il la croyait heureuse ; et elle lui en voulait de ce calme si bien assis, de cette pesanteur sereine, du bonheur même qu’elle lui donnait.

Elle dessinait quelquefois et c’était pour Charles un grand amusement que de rester là, tout debout à la regarder penchée sur son carton, clignant des yeux afin de mieux voir son ouvrage, ou arrondissant, sur son pouce, des boulettes de mie de pain. Quant au piano, plus les doigts y couraient vite, plus il s’émerveillait. Elle frappait sur les touches avec aplomb, et parcourait du haut en bas tout le clavier sans s’interrompre.

Ainsi secoué par elle, le vieil instrument, dont les cordes frisaient, s’entendait jusqu’au bout du village si la fenêtre était ouverte, et souvent le clerc de l’huissier qui passait sur la grande route, nu-tête et en chaussons, s’arrêtait à l’écouter, sa feuille de papier à la main. »

II) Visions d’hommes

1) René (1802) de Chateaubriand

« Le frère d’Amélie [René], calmé par ces paroles, reprit ainsi l’histoire de son cœur :

" Hélas, mon père ! je ne pourrai t’entretenir de ce grand siècle dont je n’ai vu que la fin dans mon enfance, et qui n’était plus lorsque je rentrai dans ma patrie. Jamais un changement plus étonnant et plus soudain ne s’est opéré chez un peuple. De la hauteur du génie, du respect pour la religion, de la gravité des mœurs, tout était subitement descendu à la souplesse de l’esprit, à l’impiété, à la corruption.

" C’était donc bien vainement que j’avais espéré retrouver dans mon pays de quoi calmer cette inquiétude, cette ardeur de désir qui me suit partout. L’étude du monde ne m’avait rien appris, et pourtant je n’avais plus la douceur de l’ignorance.

[" Ma sœur, par une conduite inexplicable, semblait se plaire à augmenter mon ennui ; elle avait quitté Paris quelques jours avant mon arrivée. Je lui écrivis que je comptais l’aller rejoindre ; elle se hâta de me répondre pour me détourner de ce projet, sous prétexte qu’elle était incertaine du lieu où l’appelleraient ses affaires. Quelles tristes réflexions ne fis-je point alors sur l’amitié, que la présence attiédit, que l’absence efface, qui ne résiste point au malheur, et encore moins à la prospérité !] (Passage supprimé dans l’extrait étudié)

" Je me trouvai bientôt plus isolé dans ma patrie que je ne l’avais été sur une terre étrangère. Je voulus me jeter pendant quelque temps dans un monde qui ne me disait rien et qui ne m’entendait pas. Mon âme, qu’aucune passion n’avait encore usée, cherchait un objet qui pût l’attacher ; mais je m’aperçus que je donnais plus que je ne recevais. Ce n’était ni un langage élevé ni un sentiment profond qu’on demandait de moi. Je n’étais occupé qu’à rapetisser ma vie, pour la mettre au niveau de la société. Traité partout d’esprit romanesque, honteux du rôle que je jouais, dégoûté de plus en plus des choses et des hommes, je pris le parti de me retirer dans un faubourg pour y vivre totalement ignoré.

" Je trouvai d’abord assez de plaisir dans cette vie obscure et indépendante. Inconnu, je me mêlais à la foule : vaste désert d’hommes !

" Souvent assis dans une église peu fréquentée, je passais des heures entières en méditation. Je voyais de pauvres femmes venir se prosterner devant le Très-Haut, ou des pécheurs s’agenouiller au tribunal de la pénitence. Nul ne sortait de ces lieux sans un visage plus serein, et les sourdes clameurs qu’on entendait au dehors semblaient être les flots des passions et les orages du monde qui venaient expirer au pied du temple du Seigneur. Grand Dieu, qui vis en secret couler mes larmes dans ces retraites sacrées, tu sais combien de fois je me jetai à tes pieds pour te supplier de me décharger du poids de l’existence, ou de changer en moi le vieil homme ! Ah ! qui n’a senti quelquefois le besoin de se régénérer, de se rajeunir aux eaux du torrent, de retremper son âme à la fontaine de vie ! Qui ne se trouve quelquefois accablé du fardeau de sa propre corruption et incapable de rien faire de grand, de noble, de juste !

" Quand le soir était venu, reprenant le chemin de ma retraite, je m’arrêtais sur les ponts pour voir se coucher le soleil. L’astre, enflammant les vapeurs de la cité, semblait osciller lentement dans un fluide d’or, comme le pendule de l’horloge des siècles. Je me retirais ensuite avec la nuit, à travers un labyrinthe de rues solitaires. En regardant les lumières qui brillaient dans la demeure des hommes, je me transportais par la pensée au milieu des scènes de douleur et de joie qu’elles éclairaient, et je songeais que sous tant de toits habités je n’avais pas un ami. Au milieu de mes réflexions, l’heure venait frapper à coups mesurés dans la tour de la cathédrale gothique ; elle allait se répétant sur tous les tons, et à toutes les distances, d’église en église. Hélas ! chaque heure dans la société ouvre un tombeau et fait couler des larmes. »

Chateaubriand par Girodet (1808) musée de Saint-Malo

2) Le Rouge et le Noir (1830) de Stendhal

« En approchant de son usine, le père Sorel appela Julien de sa voix de stentor ; personne ne répondit. Il ne vit que ses fils aînés, espèces de géants qui, armés de lourdes haches, équarrissaient les troncs de sapin, qu’ils allaient porter à la scie. Tout occupés à suivre exactement la marque noire tracée sur la pièce de bois, chaque coup de leur hache en séparait des copeaux énormes. Ils n’entendirent pas la voix de leur père. Celui-ci se dirigea vers le hangar ; en y entrant, il chercha vainement Julien à la place qu’il aurait dû occuper, à côté de la scie. Il l’aperçut à cinq ou six pieds de haut, à cheval sur l’une des pièces de la toiture. Au lieu de surveiller attentivement l’action de tout le mécanisme, Julien lisait. Rien n’était plus antipathique au vieux Sorel ; il eût peut-être pardonné à Julien sa taille mince, peu propre aux travaux de force, et si différente de celle de ses aînés ; mais cette manie de lecture lui était odieuse, il ne savait pas lire lui-même.

Ce fut en vain qu’il appela Julien deux ou trois fois. L’attention que le jeune homme donnait à son livre, bien plus que le bruit de la scie, l’empêcha d’entendre la terrible voix de son père. Enfin, malgré son âge, celui-ci sauta lestement sur l’arbre soumis à l’action de la scie, et de là sur la poutre transversale qui soutenait le toit. Un coup violent fit voler dans le ruisseau le livre qui tenait Julien ; un second coup aussi violent, donné sur la tête, en forme de calotte, lui fit perdre l’équilibre. Il allait tomber à douze ou quinze pieds plus bas, au milieu des leviers de la machine en action, qui l’eussent brisé, mais son père le retint de la main gauche, comme il tombait.

Eh bien, paresseux ! tu liras donc toujours tes maudits livres, pendant que tu es de garde à la scie ? Lis-les le soir, quand tu vas perdre ton temps chez le curé, à la bonne heure.

Julien, quoique étourdi par la force du coup, et tout sanglant, se rapprocha de son poste officiel, à côté de la scie. Il avait les larmes aux yeux, moins à cause de la douleur physique, que pour la perte de son livre qu’il adorait.

« Descends, animal, que je te parle. » Le bruit de la machine empêcha encore Julien d’entendre cet ordre. Son père qui était descendu, ne voulant pas se donner la peine de remonter sur le mécanisme, alla chercher une longue perche pour abattre les noix, et l’en frappa sur l’épaule. À peine Julien fut-il à terre, que le vieux Sorel, le chassant rudement devant lui, le poussa vers la maison. « Dieu sait ce qu’il va me faire ! » se disait le jeune homme. En passant, il regarda tristement le ruisseau où était tombé son livre ; c’était celui de tous qu’il affectionnait le plus, le Mémorial de Sainte-Hélène.

Il avait les joues pourpres et les yeux baissés. C’était un petit jeune homme de dix-huit à dix-neuf ans, faible en apparence, avec des traits irréguliers, mais délicats, et un nez aquilin. De grands yeux noirs, qui, dans les moments tranquilles, annonçaient de la réflexion et du feu, étaient animés en cet instant de l’expression de la haine la plus féroce. Des cheveux châtain foncé, plantés fort bas, lui donnaient un petit front, et, dans les moments de colère, un air méchant. Parmi les innombrables variétés de la physionomie humaine, il n’en est peut-être point qui se soit distinguée par une spécialité plus saisissante. Une taille svelte et bien prise annonçait plus de légèreté que de vigueur. Dès sa première jeunesse, son air extrêmement pensif et sa grande pâleur avaient donné l’idée à son père qu’il ne vivrait pas, ou qu’il vivrait pour être une charge à sa famille. Objet des mépris de tous à maison, il haïssait ses frères et son père ; dans les jeux du dimanche, sur la place publique, il était toujours battu. »

 

Question transversale : Entre idéal et réalité, quelles perspectives pour les héros des romans étudiés ?

Le personnage de roman est souvent le reflet de la société de son temps même s’il est en décalage avec celle-ci, car elle ne correspond pas à ses aspirations. De La Princesse de Clèves (1678) à Madame Bovary (1857), de René (1802) à Julien Sorel in Le Rouge et le Noir (1830), ces héros de romans sont bien représentatifs de leur génération et de leur milieu. Entre idéal et réalité, comment vivent-ils leur singularité et quelles sont leurs perspectives dans la société de leur temps ? Après avoir examiné leurs attentes, il sera intéressant de comprendre comment ils composent avec le principe de réalité.

 

I) Des aspirations diverses selon les sexes

 

A) Visions de femmes : le sentiment domine

 

- La formation et l’éducation jouent un rôle primordial dans les romans d’héroïnes. Emma Bovary est conditionnée par ses lectures romanesques de couvent et se fait un tableau idyllique et mièvre de la lune de miel et de l’homme idéal qui « doit tout connaître » et « vous initier aux énergies de la passion ». La future princesse, elle, éduquée par sa mère, ne peut qu’être persuadée que le seul bonheur est « d’aimer son mari et en être aimée », à condition d’avoir de la « vertu » et de savoir la conserver.

- Toutes deux ont reçu une formation de l’esprit : si la princesse a été amenée « à cultiver son esprit et sa beauté », Emma dessine, lit, joue du piano (même si elle a plutôt l’air de « secouer le vieil instrument » selon les termes malicieux et à double sens de Flaubert !). Ces occupations les éloignent bien des contingences matérielles de la vie ordinaire des femmes de leur temps et les rend exigeantes, car elles ont conscience de leur singularité ou même de leur supériorité.

- Mais si, grâce à son monologue intérieur, on sait tout des rêveries romantiques d’Emma qui aspire à « respirer au bord des golfes le parfum des citronniers », « les doigts confondus » avec ceux de son amant (plutôt qu’avec ceux de son mari médiocre !), on ignore tout des pensées intimes de la Princesse. Cette dernière semble passive, se contentant d’écouter sa mère, de paraître à la cour et de se laisser admirer ! L’une semble gouvernée par le désir et l’imagination alors que l’autre est freinée par la raison et la morale janséniste.

 

On pourrait penser que la Princesse correspond à l’idéal d’Emma, petite bourgeoise de province. C’est presque une princesse de conte de fée qui vit à la cour dans le luxe et le raffinement. Pourtant, cette princesse de la Renaissance ne connaît encore rien de l’amour qui lui a été peint comme « dangereux » par sa mère ! Ces deux femmes sont donc ou ignorantes ou idéalistes en matière de sentiments amoureux. Les classes sociales et les époques les éloignent, tandis que leur candeur et leurs illusions les rapprochent.

 

B) Visions d’hommes : le social et la morale dominent

 

- Si Julien Sorel a un idéal d’ambition et d’élévation sociale avec un héros historique auquel il s’identifie, à savoir Napoléon, René, lui, est « désabusé » de tout « sans avoir usé de rien » selon la formule utilisée par Chateaubriand dans le Génie du Christianisme pour définir « le vague des passions » auquel les héros préromantiques sont en proie. René est « dégoûté de plus en plus des choses et des hommes » et Julien « haïssait ses frères et son père ». C’est dire leur misanthropie mais aussi leur souffrance.

- Tous deux sont inadaptés à leur temps et à leur milieu et sont rejetés. René est qualifié « d’esprit romanesque » par ses contemporains, tandis que Julien est traité de « paresseux » par son père car il lit au lieu de surveiller la scie, ce qui est inadmissible et incompréhensible pour le père Sorel.

- Aussi René tente-t-il de trouver du réconfort dans les voyages, l’isolement et la religion. Julien se réfugie dans l’étude, la lecture et l’ambition sociale pour échapper à son milieu.

 

Ces deux jeunes hommes, issus de milieux différents, se sentent incompris et si René développe « le vague des passions », Julien est animé de haine et de feu. Là encore, on pourrait penser que Julien aspire à la liberté et à la position sociale de René. Pourtant, l’un et l’autre sont malheureux.

 

Les hommes comme les femmes de notre étude semblent respecter les rôles traditionnels dévolus à leur sexe : importance du sentiment amoureux et du mariage pour les héroïnes et préoccupations sociales et morales pour les héros. Même si ces personnages se démarquent des comportements de leur époque, ils restent très imprégnés des mentalités de leurs contemporains.

 



 II) Le principe de réalité ou comment faire face

 

A) Echec de l’idéalisme sentimental chez les femmes

 

- La déception d’Emma vient du décalage entre ses rêves romanesques et la platitude du quotidien. Son mari ne correspond pas à ses attentes malgré l’amour qu’il lui porte. La Princesse est déjà prévenue contre la passion amoureuse par sa mère et ne peut en attendre que des difficultés.

- Le milieu où elles évoluent ne les aide en rien : la cour de France ne s’intéresse qu’aux apparences et à la fortune et la province normande est médiocre et médisante.

- Cet écart entre les illusions des jeunes femmes et leur environnement social les conduira à leur perte ou à leur effacement : la Princesse se retirera dans un couvent, renonçant à son amour secret, et Emma se suicidera pour échapper à la honte et au scandale de sa conduite.

 

Emma a cédé à la tentation, la Princesse a résisté, mais pour quel bénéfice ?

 

B) Echec social et moral chez les hommes

 

- René et Julien, tournés vers un passé glorieux (le siècle de Louis XIV et Napoléon) trouvent le présent insupportable. L’avilissement moral et la perte du religieux pour l’un, la violence et l’ignorance pour l’autre, les empêchent de s’épanouir et de s’adapter à leur époque.

- René tente des remèdes illusoires : voyager, s’isoler, méditer dans la religion. Finalement, il souhaite la mort. Julien se révolte en silence en désobéissant à son père, en cultivant sa haine et en suivant l’enseignement du curé du village.

- Si René a les moyens matériels d’entretenir sa mélancolie, Julien a besoin d’action pour se faire une situation sociale. L’un et l’autre se sentent étrangers à leur temps, à leur milieu et à leur vie.

 

René finira assassiné par un Indien de la tribu des Natchez et Julien sur l’échafaud : tristes destinées pour des idéalistes !

 

Si les femmes se préoccupent essentiellement d’elles, de leurs sentiments et de leur image et ne semblent pas vraiment agressées par leur milieu, les hommes, au contraire, paraissent beaucoup plus souffrir moralement et physiquement de leurs différences. Ils luttent pour s’imposer dans la société qui ne les comprend pas. Ces quatre personnages sont en rupture par idéalisme, sensibilité ou conditionnement romanesque ou moral. Au XXsiècle des Bardamu ou des Meursault prendront leur relève pour dire l’absurdité de l’existence en général et non seulement celle d’une époque.

 

Céline Roumégoux