Giorgio Vasari (1511-1574)
Scène de la Saint Barthélemy, le massacre des Huguenots
Le massacre de la Saint-Barthélemy est le massacre des protestants perpétré par les catholiques, à Paris, le 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy. Ce massacre s’est prolongé pendant plusieurs jours dans la capitale, puis s’est étendu à plus d’une vingtaine de villes de province durant les semaines suivantes.
Un signal fut donné, semble-t-il, par la sonnerie de matines (au sens strict, entre minuit et l’aube), à la cloche de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, proche du Louvre et paroisse des rois de France. Auparavant, les nobles protestants furent chassés du palais du Louvre puis massacrés dans les rues. L’amiral de Coligny fut tiré de son lit, achevé et défenestré. Les corps sont traînés dans les rues et rassemblés dans la cour du Louvre
En apprenant la nouvelle du massacre, le pape Grégoire XIII fit chanter un Te Deum et une médaille à l’effigie du souverain pontife fut frappée afin de célébrer l’événement. Grégoire XIII commanda également au peintre Vasari une série de fresques relatant le massacre (ci-dessus, un détail de la peinture toujours présente dans la Sala Regia au Vatican).
Vasari, peintre, architecte et écrivain, travailla pour le compte de Cosme 1ier de Médicis. (source Wikipédia)
Commentaire du tableau
Cette scène fait partie d'une fresque en trois panneaux (c'est le panneau central : voir ICI). Le format est un rectangle étroit présenté dans le sens de la hauteur. Il s’agit d’une scène citadine nocturne éclairée par des flambeaux et un croissant de lune. On y voit des soldats casqués, armés de hallebardes et de sabres, en train de massacrer devant un bâtiment des vieillards désarmés. On sait qu’il s’agit de la nuit de la Saint Barthélemy et la défenestration qui y figure correspond à celle dont fut victime le chef des protestants l’amiral de Coligny.
Ce tableau représentant cette tuerie sauvage fut pourtant commandé à Vasari par le pape Grégoire XIII (celui qui instaura le calendrier grégorien, notre calendrier actuel) pour faire exemple dans le cadre de la Contre-Réforme et il se trouve toujours dans la salle Regia au Vatican. Voyons d’abord comment la violence est montrée puis comment le parti catholique est légitimé dans ce massacre.
Ce tableau représentant cette tuerie sauvage fut pourtant commandé à Vasari par le pape Grégoire XIII (celui qui instaura le calendrier grégorien, notre calendrier actuel) pour faire exemple dans le cadre de la Contre-Réforme et il se trouve toujours dans la salle Regia au Vatican. Voyons d’abord comment la violence est montrée puis comment le parti catholique est légitimé dans ce massacre.
I) Une scène violente
A) Un carnage dans une fosse
La scène est montrée en contre-plongée et au premier plan, dans une sorte de fosse, apparaît un enchevêtrement de corps brutalisés par des soldats. Ces derniers brandissent des sabres pointés sur des vieillards qui tentent de se protéger de leurs mains nues, doigts écartés.
Deux soldats se détachent de profil. Le premier, au tout premier plan, revêtu d’une tunique jaune, plaque au sol de son bras gauche et de son genou droit, prêt à l’égorger de son sabre ensanglanté, un vieil homme chenu. Ce vieillard est le seul protestant, d’ailleurs, qui porte une épée, dressée dans l’angle inférieur droit du tableau. Au-dessus, un deuxième soldat à la tunique rouge saisit par les cheveux un vieillard qui lui tourne le dos et s’apprête à le frapper de son sabre.
Derrière lui, un autre soldat dont on n’aperçoit que le casque frappe de face un homme au visage grimaçant de douleur. La tuerie se poursuit dans un désordre de têtes et de bras levés pour parer les coups ou pour en donner. Entre les corps en désordre, apparaissent des têtes d’hommes terrorisés, d’agonisants et de morts.
Bien que ce soit la nuit, ce premier plan est bien éclairé par deux sources lumineuses, une à l’avant (à la place du spectateur et donc à l’extérieur du tableau) et l’autre constituée d’un flambeau et d’une lanterne ronde, au centre du tableau. Cet éclairage artificiel fait briller les lames des sabres, les casques et les tuniques des assaillants et met en lumière les corps et les têtes. Les expressions des victimes en sont d’autant plus saisissantes.
Le combat est inégal : pas de corps à corps équilibrés mais des vieillards acculés, malmenés qui tentent de fuir, de se protéger de leurs mains ouvertes (signe d’ouverture et d’innocence ?) et qui s’écroulent, vaincus. Leurs vainqueurs sont jeunes, vigoureux, ont une musculature d’athlètes et leurs poings sont serrés (signe de fermeture et de sauvagerie ?) sur leurs armes ou crispés sur les têtes de leurs victimes qu’ils dominent de toute leur force.
Ce carnage paraît donc odieux car on dirait des fils tuant leurs pères. Le sort réservé au vieillard du tout premier plan ne fait pas de doute et le geste en suspens du soldat n’en est que plus terrible. On comprend son acharnement car c’est le seul protestant à avoir une arme (probablement prise à son agresseur) et celle-ci est encore pointée et menaçante. Si le regard suit la direction de la pointe de l’épée, il rencontre le bras et la main d’une autre victime, prolongés par deux autres mains levées demandant grâce, et est bloqué par le poing dressé, serré sur le manche d’un sabre, d’un soldat, ce poing occupant le centre exact de la scène, comme pour en marquer le symbole, celui de la répression absolue.
Au vu de cette moitié inférieure du tableau, on ne peut qu’être scandalisé par la férocité des soldats catholiques (ce sont des militaires, donc ils sont en mission !) et on se demande tout de même si Vasari, bien que peignant sur commande, ne montre pas leur cruauté et l’iniquité d’un tel massacre. Les registres épique et pathétique sont en conflit ici et laissent le champ ouvert au parti pris.
Une sorte de plateforme fait une transition horizontale entre la scène de carnage au premier plan en contrebas et la moitié supérieure du tableau. Un bâtiment gris s’y dresse en contre-plongée au deuxième plan, sur toute la hauteur supérieure et occupe les trois quarts de la largeur. L’immeuble est montré sur deux angles dont l’arête correspond à la médiane du tableau tracée juste au-dessus du poing meurtrier précédemment décrit. Une rue longe la façade du bâtiment sur la droite du tableau et, en perspective, en arrière plan, on aperçoit une place fermée par un bâtiment, où flambe un bûcher avec des soldats autour (un autodafé ?). Une petite portion de ciel éclairé par un croissant de lune couché (sorte de basculement catastrophique ?) se remarque dans l’angle supérieur droit. Ainsi l’espace où se déroule la tuerie est strictement délimité, aucune possibilité pour les victimes de s’échapper car elles sont bloquées par la troupe de la milice catholique qui force la maison de Coligny, barrant l’accès à la place de l’arrière plan, elle-même occupée par l’autodafé et fermée par une haute maison.
Mais les scènes majeures se déroulent dans ce bâtiment du deuxième plan. On peut reconstituer les faits car ils sont montrés dans leur déroulement. La porte du bâtiment a été enfoncée par une troupe armée et casquée à l’aide d’un madrier utilisé comme bélier et cette foule se précipite à l’intérieur. Déjà une partie des hommes a atteint l’étage et fait des signes de victoire depuis les balustrades des balcons. Mais le plus terrible est la chute d’un homme dévêtu qui vient d’être surpris dans son sommeil et a été défenestré. Il est en train de tomber, tête en bas, au-dessus de soldats dont l’un, par réflexe, lève vers lui une main plus secourable que menaçante ! Un flambeau éclaire le visage et le corps dénudé mais vigoureux du défenestré qui est sans doute l’amiral de Coligny.
Un tel déploiement de force brutale pour déloger un seul homme, dépouillé de la vie et de son honneur, car il est nu et sans défense, ne peut que donner une image monstrueuse de la troupe catholique. L’imminence de la mort dramatise le tableau. Le bûcher qui flamboie à l’arrière plan annonce d’autres atrocités et attend peut-être le corps de la victime ou d’autres. On sait que la foule s’acharna même sur les cadavres mais que ceux-ci furent plutôt jetés dans la Seine que dans le feu !
Ce qui renforce l’aspect dramatique, c’est que l’action est figée dans son déroulement, dans sa phase la plus violente et dont on prévoit l’issue fatale. Si Vasari avait voulu montrer l’inhumanité de cette nuit de la Saint Barthélemy et dénoncer la barbarie des catholiques, il ne s’y serait pas pris autrement !
A) La force légitime de l’Eglise catholique contre l’hérésie diabolique des protestants
Pourtant Vasari ne peut se permettre de s’opposer à son commanditaire le pape et le tableau doit célébrer une lutte juste pour sauver l’unité de la Chrétienté. Aussi, faut-il mettre des symboles forts dans ce carnage !
La première chose qui saute aux yeux, c’est la jeunesse des soldats du premier plan et la vieillesse des victimes ; ce qui pourrait rendre pitoyable ces dernières mais qui souligne ainsi leur archaïsme et aussi leur fin proche. On veut faire entendre qu’il s’agit d’une « secte de vieillards ». Contrairement aux assaillants, ils sont tous tête nue et Coligny défenestré est même entièrement nu. Ils sont ainsi livrés aux regards dans toute leur « animalité » et même leur expression de souffrance ressemble à un rictus grossier. Les soldats massacreurs du premier plan ont un profil romain impassible et leur tunique à l’antique, qui dévoile leur puissante musculature, est mal assortie avec la culotte bouffante de style Renaissance, comme si l’artiste florentin montrait la puissance de l’Eglise catholique romaine sous les traits des centurions du grand empire romain !
B) Une croisade en plein Paris
Deux symboles forts sont sur représentés : le glaive (les sabres) et la croix. Ce sont les attributs des croisés contre les infidèles mais aussi des anges exterminateurs du démon ! Les lames des sabres se croisent systématiquement au premier plan et même l’épée du protestant avec l’étui qui est fixé au flanc du soldat qui va le tuer. L’arête du bâtiment trace la branche verticale supérieure de la croix qui occupe le centre du tableau, la branche horizontale étant constituée par la plateforme qui sépare les deux scènes principales du tableau. Au premier plan, on sacrifie donc l’équivalent du démon au pied de la croix et pour la bonne cause. Même le fronton triangulaire de la fenêtre d’où a été jeté Coligny est symbolique (même si c’est bien un élément architectural d’époque) car il figure la trinité et l’on sait que les protestants n’accordaient pas à ce dogme la même importance que les catholiques (voir l’affaire Michel Servet).
Quant au croissant de lune, sa disposition horizontale, pointes montantes, est le symbole de la noblesse et rappelle les croisades. C’est aussi le croissant d’or, symbole chrétien de Constantinople (qui était précisément tombé un siècle plus tôt aux mains des infidèles, mettant fin à l’empire romain d’orient).
Il était donc primordial de mettre en évidence tous ces symboles de la lutte de la Chrétienté contre le désordre satanique de l’hérésie que représentent les protestants.
Ce tableau de Vasari présente deux aspects contradictoires : la violence et la justification catholique de celle-ci. On est partagé entre la terreur et la pitié. Aucune idéologie ne pourrait justifier aujourd’hui ce massacre, cette guerre civile entre chrétiens. Pourtant, le pape, les princes et les rois de l’époque adressèrent leurs félicitations au roi français Charles IX qui endossa la responsabilité de cette « répression » dans l’intérêt du royaume et de l’Eglise. Ce que l’on voit avant les symboles, c’est d’abord une sorte de délectation dans le meurtre, ce qui révolte les mentalités d’aujourd’hui mais qui a eu un bel effet dissuasif à l’époque puisque les principaux chefs protestants s’empressèrent de se convertir, à commencer par Henri de Navarre, ne serait - ce que pour devenir Henri IV, roi de la France très catholique.
Céline Roumégoux
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