Le Bonheur
Pascal, Pensées, 181 (1670) Edition
de Port-Royal
Liasse :
le souverain bien
« Car tous les hommes désirent d'être
heureux ; cela est sans exception. Quelques différents moyens qu'ils y
emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que l'un va à la guerre et que
l'autre n'y va pas, c'est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de
différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet
objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui
se tuent et qui se pendent.
Et
cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi,
n'est arrivé à ce point, où tous tendent continuellement. Tous se plaignent,
princes, sujets, nobles, roturiers, vieillards, jeunes, forts, faibles, savants,
ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous temps, de tous âges et de
toutes conditions.
Une
épreuve si longue, si continuelle et si uniforme devrait nous convaincre de
l'impuissance où nous sommes d'arriver au bien par nos efforts ; mais l'exemple
ne nous instruit point. Il n'est jamais si parfaitement semblable qu'il n'y ait
quelque délicate différence; et c'est là que nous attendons que notre espérance
ne sera pas déchue en cette occasion comme en l'autre. Ainsi le présent ne nous
satisfaisant jamais, l'espérance nous séduit, et, de malheur en malheur, nous
mène jusqu'à la mort, qui en est le comble éternel.
C'est
une chose étrange qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait été capable de tenir
la place de la fin et du bonheur de l'homme, astres, éléments, plantes, animaux,
insectes, maladies, guerres, vices, crimes, etc. L'homme étant déchu de son état
naturel, il n'y a rien à quoi il n'ait été capable de se porter. Depuis qu'il a
perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu'à la destruction
propre, toute contraire qu'elle est à la raison et à la nature tout
ensemble.
Les
uns ont cherché la félicité dans l'autorité, les uns dans les curiosités et dans
les sciences, les autres dans les voluptés. Ces trois concupiscences ont fait
trois sectes, et ceux qu'on appelle philosophes, n'ont fait effectivement que
suivre une des trois. Ceux qui en ont le plus approché ont considéré qu'il est
nécessaire que le bien universel que tous les hommes désirent, et où tous
doivent avoir part, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent
être possédées que par un seul, et qui, étant partagées, affligent plus leur
possesseur par le manque de la partie qu'il n'a pas, qu'elles ne le contentent
par la jouissance de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien
devait être tel que tous pussent le posséder à la fois sans diminution et sans
envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré. Ils l'ont compris, mais
ils ne l'ont pu trouver ; et au lieu d'un bien solide et effectif, ils n'ont
embrassé que l'image creuse d'une vertu
fantastique.
Notre
instinct nous fait sentir qu'il faut chercher notre bonheur dans nous. Nos
passions nous poussent au dehors, quand même les objets ne s'offriraient pas
pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d'eux-mêmes, et nous
appellent, quand même nous n'y pensons pas. Ainsi les philosophes ont beau dire
: rentrez en vous-mêmes, vous y trouverez votre bien ; on ne les croit pas, et
ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots. Car, qu'y a-t-il de
plus ridicule et de plus vain que ce que proposent les Stoïciens, et de plus
faux que tous leurs raisonnements ? »
Quelques remarques préalables :
Un
constat d’échec est à l’origine de la réflexion philosophique de Pascal :
l’homme ne recherche que le bonheur et est incapable, malgré ses efforts, d’y
parvenir. Cet eudémonisme montre en réalité la misère de l’homme sans Dieu et
son impuissance à trouver « le souverain bien » en dehors de la
foi.
L’objectif
de la Pensée est donc plus de faire l’apologie de la foi qu’une réflexion sur le
bonheur. Mais la quête du bonheur, si puissante chez l’homme, sert à Pascal à
montrer les erreurs de l’homme à vouloir le trouver ailleurs qu’en Dieu. On
retrouve les idées de saint Augustin sur les trois concupiscences fallacieuses
et l’importance qu’accordent les Jansénistes au péché originel, cause de
l’impuissance et de la déchéance de l’homme qui s’est privé de Dieu et qui,
désormais, ne peut atteindre par lui-même la félicité.
Étymologiquement, bonheur vient
de l'expression « bon eür ». « Eür » est issu du latin augurium qui
signifie « accroissement accordé par les dieux à une entreprise ».
Par
conséquent et pour respecter l’esprit et l’intention de Pascal, le plan de
commentaire suivant pourrait être suivi.
Plan
du commentaire
I)
L’homme en quête désespérée du bonheur
A)
Un postulat : l’homme ne pense qu’au bonheur
a)
Généralisation de cette volonté de bonheur et du désir d’être
heureux (voir le lexique de ces deux notions dans le texte)
b)
Exemples surprenants à expliquer (se pendre pour être heureux ? aller à la
guerre ?)
B)
Un constat d’échec général : rapport d’opposition avec l’idée de
bonheur
a)
La liste des déçus : effet accumulatif
b)
Le rôle des négations qui marquent la faillite de cette quête (« rien dans la nature qui n’ait été capable de
tenir … ») et des expressions comme « de malheur en
malheur »
II)
Raisons qui poussent l’homme à persister dans l’erreur du faux
bonheur
A)
Les erreurs du désir (corps)
a)
Rejet de l’expérience et « espérance qui
nous pipe » : remarquer le « nous » et les modalisations de
l’auteur.
b)
Recherche vaine des jouissances de « la nature », voir les énumérations
hétéroclites.
B)
Les erreurs « philosophiques » (esprit)
a) Erreur des trois concupiscences (volupté, autorité et savoir) et la « vertu fantastique » qu’est l’illusion d’un bien commun. Noter les longues phrases explicatives et complexes pour traiter ces sujets. Observer l’attaque contre les philosophies traitées de « sectes ».
a) Erreur des trois concupiscences (volupté, autorité et savoir) et la « vertu fantastique » qu’est l’illusion d’un bien commun. Noter les longues phrases explicatives et complexes pour traiter ces sujets. Observer l’attaque contre les philosophies traitées de « sectes ».
b)
Echec de la recherche stoïcienne du bien en « nous-mêmes ». Noter le discours
rapporté des philosophes et la question oratoire finale pour les disqualifier.
Ton polémique.
III)
Comment trouver le vrai bonheur
A)
Recherche des causes de l’échec
a)
Le péché originel (« a perdu le vrai
bien » ou l’homme « déchu de son état
naturel »)
b)
Sa conséquence : « l’impuissance où nous
sommes »
B)
Retrouver Dieu
a)
Grâce la foi (« jamais personne sans la
foi ») qui est donnée dès le début du deuxième paragraphe comme une évidence
(montrer que ce n’est pas l’aboutissement logique de cet extrait).
b)
Les intuitions : « ils l’ont compris mais
ils ne l’ont pu trouver [le vrai bien] » et « notre instinct » ne suffisent pas, même
si c’est déjà, dans l’esprit de Pascal, un progrès
spirituel.
Le
salut et le bonheur sont en Dieu, d’après Pascal.
Céline
Roumégoux
Tous droits réservés