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Commentez cette phrase : « Le monde comme il va, c’est presque le monde comme il devrait aller. Certes, la
statue que Babouc remet à Ituriel n’est pas toute en or, mais il est évident que
l’or largement y prédomine, et que telle quelle, elle constitue une assez belle
œuvre d’art. » Que pensez-vous de ce jugement sur le conte de
Voltaire ?
Voltaire peint vers 1735 par Quentin de la
Tour.
Au XVIIIe
siècle, la mode est à l’orientalisme et à la critique sociale. Voltaire
réunit ces deux tendances dAu XVIIIe
siècle, la mode est à l’orientalisme et à la critique sociale. Voltaire
réunit ces deux tendances ans son conte philosophique, Le Monde comme il
va, paru en 1748. Babouc, un Scythe, doit examiner Persépolis, en vérité la
société française, pour en rendre compte à l’ange Ituriel, qui décide finalement
de « laisser aller le monde comme il va ». En guise de rapport, il remet à ce
dernier une statue, allégorie de la ville, ce qui fait dire à un commentateur :
« Le monde comme il va, c’est presque le monde comme il devrait aller.
Certes, la statue que Babouc remet à Ituriel n’est pas toute en or, mais il est
évident que l’or largement y prédomine, et que telle quelle, elle constitue une
assez belle œuvre d’art. » On pourra, après examen de cette appréciation, se
demander en quoi, malgré ses imperfections, la statue est une œuvre d’art et en
quoi la clémence d’Ituriel correspond aux idées de Voltaire sur l’homme et la
société.
Ce qui frappe dans le jugement du
commentateur sur la statue, allégorie de la société, ce sont les modalisateurs,
atténuateurs d’intensité, marqués par les adverbes exprimant le degré « c’est
presque le monde comme il devrait aller » ou encore « la statue
[...]n’est pas toute en or ». Le monde, à l’image de la statue, tend vers
un idéal mais comporte des imperfections. Cependant le résultat « constitue une
assez belle œuvre d’art », c’est-à-dire un assemblage harmonieux entre les
métaux vils et précieux, entre le bien et le mal. Cette idole, commandée par
Babouc, une figure malicieuse du diable, présente donc à l’ange, alias Dieu, sa
créature composite, c’est-à-dire l’homme ! Et l’ange-Dieu, dans sa grande
clémence sauva la créature. Voltaire pose donc en fait la question du mal et du
rachat de l’homme mais il va appliquer cette réflexion plus prosaïquement à la
société de son temps.
Les défauts de la société, figurés
par les métaux vils qui constituent une partie de la statue, sont d’abord
largement visibles au cours de l’enquête menée par Babouc.
Les institutions sont montrées du
doigt. Ainsi l’armée, du soldat mercenaire au général, ignore la cause de la
guerre pour laquelle elle se bat. Les soldats sont dépourvus de tout patriotisme
et guidés par leur seul intérêt. Pire, ils ne manifestent aucune solidarité
entre eux et se comportent comme « des bêtes féroces ». Voltaire fait ainsi
allusion aux incessantes guerres de son époque, plus particulièrement à la
guerre de succession d’Autriche à laquelle la France s’est mêlée sans raison
sérieuse, ce qui l’a amenée à « travailler pour le roi de Prusse » ou encore
« pour des prunes », sacrifiant pour rien des milliers de vies dans des
querelles obscures qui ne la regardaient pas.
La vénalité et la corruption
sévissent dans tous les secteurs de la vie sociale. Ainsi, les plus riches
achètent leurs charges, dans l’armée, dans la justice, dans la levée de l’impôt.
L’argent remplace donc le mérite et la compétence. C’est ainsi qu’on voit un
jeune magistrat de vingt-cinq ans employer avec arrogance un vieil avocat
expérimenté pour faire l’instruction à sa place. Les grands même sont dépendants
de la puissance de l’argent, représentée par le grossier fermier général qui est
leur créancier.
L’Eglise n’est pas épargnée, dont
les docteurs s’épuisent en querelles et conduisent les fidèles à l’ennui et à
l’abrutissement, au point qu’ils chantent « comme des onagres » dans des églises
insalubres, dans lesquelles on va même jusqu’à enterrer les morts, tout en se
livrant au commerce des chaises pour avoir une place assise ! Voltaire n’invente
rien : on enterrait bien les rois de France à Saint Denis et les Jansénistes et
les Jésuites se persécutaient réciproquement.
Le monde de la culture ne se porte
pas mieux : on admire les tragédies au théâtre mais on méprise les comédiens qui
vivent dans la misère et finissent à la fosse commune ! Les lettrés sont des
cuistres ou des Trissotin qui s’écoutent parler et ne cessent de se
critiquer.
Quant à l’état de la ville, il est
alarmant de laideur et de saleté dans ses quartiers populaires et les mœurs de
tous sont dépravées. Même, et surtout, les gens du monde pratiquent un
libertinage effréné sans le moindre état d’âme.
Le bilan est si négatif que Babouc,
dégoûté, se dit que Persépolis mérite vraiment d’être anéantie car le mal y est
trop présent.
Cependant, il va trouver un mentor
en la personne d’un sage lettré, puisqu’il en existe tout de même un ! On ne
peut pas s’empêcher de reconnaître Voltaire sous l’habit du lettré. Ce sage va
le conduire sur place et lui faire assister de visu au fonctionnement de la
justice, afin que de manière expérimentale, il puisse juger de son réel
fonctionnement. Alors, Babouc, verra que « les enfants de ces hommes nouveaux »
jugent plus vite et mieux que les vieux avocats ergoteurs et que, bien qu’ayant
acheté leur charge, les officiers font aussi preuve de bravoure, enfin que les
financiers sont fort utiles pour garantir l’équilibre économique de la
nation.
Les prêtres, bien contrôlés par
l’état, servent à instruire et à moraliser le peuple et certains lettrés ne
manquent pas d’esprit. Quant aux mœurs, tout comme les beaux quartiers, elles
procurent bien du plaisir et du raffinement, au point que Babouc resterait bien
en compagnie de la belle Téone, une courtisane de luxe ! « Babouc conclut qu’il
y avait de très bonnes choses dans les abus ».
Ainsi, il termine sur une
impression positive après avoir pesé le bien et le mal et après avoir été
« éclairé » par un lettré-philosophe ! La société, tout comme la statue
allégorique, est faite d’or et de boue, mais l’éclat de l’or au double sens du
mot, c’est-à-dire la richesse et la rareté précieuse, est prédominant. En ce
milieu de siècle, le commerce, la finance et la classe montante, la bourgeoisie,
apportent à la France une nouvelle prospérité. Les Philosophes s’activent et
préparent l’Encyclopédie. La contestation de l’ordre ancien est en marche
et les privilèges sont menacés. Le nouveau veau d’or ressemble à la statue de
Babouc ! Voltaire ne peut s’empêcher d’être ironique même dans son éloge des
nouvelles tendances qui s’amorcent….
L’œuvre d’art « assez belle », dont
il est question dans la citation, est donc bien une nouvelle société qui
progressivement remplacera l’ancienne grâce aux lumières de la raison, de la
connaissance accessible à tous et au progrès. Cette nouvelle génération, mieux
instruite, s’enrichira par le commerce et l’industrie, par la finance et les
affaires. L’homme, devenu plus heureux matériellement et plus critique
intellectuellement sera sans aucun doute plus vertueux, moins enclin au mal.
Quant à la vertu des prudes, c’est autre chose : Voltaire n’est pas un père la
morale. Il serait même plutôt mondain, libéral et réformateur. Selon lui,
l’homme et la société sont perfectibles et le mal est constitutif de l’homme.
Mieux vaut s’en accommoder et œuvrer utilement plutôt que de tout détruire.
C’est ce que fera Candide dans son jardin turc ou Voltaire à
Ferney…
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