Translate

dimanche 29 janvier 2023

Voltaire, commentaire de " Femmes, soyez soumises à vos maris"

 Plan détaillé de commentaire

Voltaire, Femmes, soyez soumises à vos maris , in Mélanges, pamphlets et œuvres polémiques, 1766

 

"On lui fit lire Montaigne : elle fut charmée d’un homme qui faisait conversation avec elle, et qui doutait de tout. On lui donna ensuite les grands hommes de Plutarque : elle demanda pourquoi il n’avait pas écrit l’histoire des grandes femmes.

 

         L’abbé de Châteauneuf la rencontra un jour toute rouge de colère. Qu’avez-vous donc, madame ? lui dit-il. J’ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui traînait dans mon cabinet ; c’est, je crois, quelque recueil de lettres ; j’y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à vos maris ; j’ai jeté le livre.

 

        - Comment, madame ! savez-vous bien que ce sont les Epîtres de saint Paul ?

 

         Il ne m’importe de qui elles sont : l’auteur est très impoli. Jamais M. le maréchal ne m’a écrit dans ce style ; je suis persuadée que votre saint Paul était un homme très difficile à vivre : était-il marié ?

 

         - Oui, madame.

 

        - Il fallait que sa femme fût une bien bonne créature : si j’avais été la femme d’un pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à vos maris ! Encore s’il s’était contenté de dire, Soyez douces, complaisantes, attentives, économes, je dirais : Voilà un homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s’il vous plaît ? Quand j’épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d’être fidèles : je n’ai pas trop gardé ma parole, ni lui la sienne ; mais ni lui ni moi ne promîmes d’obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? N’est-ce pas assez qu’un homme, après m’avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de neuf mois, qui quelquefois est mortelle ? N’est-ce pas assez que je mette au jour, avec de très grandes douleurs, un enfant qui pourra me plaider quand il sera majeur ? Ne suffit-il pas que je sois sujette tous les mois à des incommodités très désagréables pour une femme de qualité, et que, pour comble, la suppression d’une de ces douze maladies par an soit capable de me donner la mort, sans qu’on vienne me dire encore, Obéissez ?

 

         Certainement la nature ne l’a pas dit ; elle nous a fait des organes différents de ceux des hommes ; mais en nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle n’a pas prétendu que l’union formât un esclavage. Je me souviens bien que Molière a dit :

 

Du côté de la barbe est la toute puissance 

 

Mais voilà une plaisante raison pour que j’aie un maître ! Quoi ! parce qu’un homme a le menton couvert d’un vilain poil rude, qu’il est obligé de tondre de fort près, et que mon menton est né rasé, il faudra que je lui obéisse très humblement ? Je sais bien qu’en général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres, et qu’ils peuvent donner un coup de poing mieux appliqué : j’ai bien peur que ce ne soit là l’origine de leur supériorité.

 

         Ils prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se vantent d’être plus capables de gouverner ; mais je leur montrerai des reines qui valent bien des rois. On me parlait ces jours passés d’une princesse allemande qui se lève à cinq heures du matin pour travailler à rendre ses sujets heureux, qui dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres, encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu’elle a de lumières. Son courage égale ses connaissances ; aussi n’a-t-elle pas été élevée dans un couvent par des imbéciles qui nous apprennent ce qu’il faut ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre. Pour moi, si j’avais un Etat à gouverner, je me sens capable d’oser suivre ce modèle."

 


Voltaire et sa maîtresse Emilie du Châtelet, mathématicienne, traductrice de Newton.


 

Plan possible du commentaire

 

I) Une conversation mondaine entre une aristocrate des Lumières et un abbé

 

A) Une femme libérée (la maréchale de Grancey,)

(Elle a des amants comme son mari a des maîtresses, son mari très libéral ne lui impose pas l’obéissance, elle est désinvolte au sujet des écrits religieux et de saint Paul en s’adressant pourtant à un abbé)

 

B) Un discours plein d’esprit

(Elle est spontanée, donne des exemples personnels, utilise des exclamations et des questions oratoires et montre son indignation de manière ironique)

 

II) Un réquisitoire contre l’oppression masculine et religieuse sur les femmes

 

A) Une attaque contre la religion et les couvents

 (Elle juge saint Paul comme s’il était son contemporain, critique l’éducation donnée aux filles dans les couvents)

 

B) Réfutation des arguments masculins pour dominer les femmes (supériorité prétendue du corps et de l’intelligence)

(S’appuie sur « L’école des femmes » de Molière pour se moquer de la prétendue supériorité virile)

 

III) Un plaidoyer pour l’égalité entre hommes et femmes

 

A) Ce que la nature fait déjà subir aux femmes (maternités dangereuses, menstruations pénibles, enfant ingrat) et ce qu’elle n’impose pas : l’obéissance de la femme à l’homme

 

B) L’exemple de la princesse allemande (Catherine II) : la femme idéale et l’idéal des Lumières