A.T. (1985) de Antoni Tàpies
Influencé
par le Surréalisme suite à sa rencontre avec Miro puis par
l’Abstraction et le Pop-art, Antoni Tàpies (1923-2012), peintre et
sculpteur catalan, va surtout utiliser des matériaux non conventionnels
dans ses tableaux comme la poudre de marbre, la résine, le latex, le
goudron. Ses œuvres sont marquées par des symboles, des lacérations qui
font signes. Ses tableaux sont autant de fragments du monde dans sa
matérialité brute comme dans son sens métaphysique et politique. Le
tableau A.T. (1985) illustre bien sa manière, entre graffiti et
signature protestataire ou identitaire. En quoi ce tableau est-il à la
fois signe et signature ? Nous l’examinerons d’abord comme un signe sur
le mur puis comme une signature énigmatique.
A.T. (1985) de Tàpies
I - Un signe sur le mur
A - Le graffiti
- Aspect brut, sans finition sur un fond sable avec rugosités et sillons apparents
→ paroi de caverne ou mur de cité
- Peu de couleurs (moyens rudimentaires), superposition visible (beige/noir/rouge)
→ geste spontané, sans retouche
→ rage due à la violence et contraste des couleurs
- Grossièreté des traits, représentation non figurative
→ sens énigmatique à priori
B - Des symboles
- Les croix noires : diagonale + verticale amorçant un basculement vers la gauche (sens inverse des aiguilles d’une montre)
Croix = symbole religieux de souffrance, d’expiation
Noir = mort
→ déséquilibre, malaise
→ déséquilibre, malaise
- La masse rouge principale :
Rouge → violence, sang
Forme → cagoule connote le secret et le meurtre
- Réseau de lignes sur le fond
→ réseau veineux ou palimpseste de parchemin ou plan urbain
Ce
tableau, par son aspect simplifié et violent à cause des couleurs et
des symboles, s’apparente à un graffiti et délivre un message mystérieux
où on perçoit de la violence, du désordre et un certain malaise.
Pourtant, en y regardant de plus près, on décèle des lettres qu’il nous
appartient de décrypter à présent.
Tàpies dans son atelier
II - Une signature singulière
A - L’identité
- La forme des motifs reprend les initiales du peintre Antoni Tàpies.
Disproportion entre les lettres figurées, le A du prénom occupant tout l’espace central, en majuscule. L’initiale du nom de famille est en minuscule et encadre le A sauf si on imagine que le deuxième T correspond au T dans Antoni.
→ Egocentrisme sur le prénom d’autant plus que le A est la première lettre de l’alphabet. Mise en avant du "Moi".
→ Dévaluation de l’initiale du patronyme. Hypothèse : volonté de se détacher d’une lignée.
- Pourtant, ce patronyme a un sens : Tàpies en catalan signifie mur, d’où la logique de la minuscule comme si son nom de famille était le support de son travail d’artiste
→ ici, don artistique inscrit dans le mur ≠ dévalorisation
- Depuis la Renaissance, les œuvres artistiques sont signées, en général en bas à droite. Or, paradoxe, il fait de son paraphe son œuvre.
B - L’expression d’un malaise dans son identité
- Une identité à la fois cachée derrière les symboles et affirmée
→ ambiguïté sur la perception de soi.
- Les analphabètes signent avec une croix
→ signe d’existence mais aussi d’exclusion d’un monde initié à l’écriture
→ renvoie à une époque antérieure à la civilisation lettrée
→ renvoie à une époque antérieure à la civilisation lettrée
- Anonymat avec le X mais aussi X peut être expression d’un collectif (gang, groupe, ...). Le peintre met en valeur ses initiales tout en défaisant les conventions. Elles sont à la fois lisibles et illisibles, personnelles et anonymes. On peut se demander si le peintre se trouve bien dans son identité, s’il représente l’air du temps (air de violence avec la Guerre d’Espagne qui l’a marqué douloureusement).
Ce
tableau fresque fait à la fois signe sur le mur délivrant un message
inquiétant fait de symboles de mort et de violence, et signature
métaphore du "Moi" de l’artiste qui semble osciller entre affirmation de
son identité et camouflage. Ce tableau fait finalement le trait d’union
entre les fresques primitives des cavernes et les tags urbains
contemporains qui peuvent à la fois être perçus comme une pollution
visuelle ou au contraire une œuvre d’art. En tout cas, cela pose la
question de l’Art et ce qui peut être représenté.
Prise de notes de Marwa (1S1)
d’après le cours de Céline Roumégoux (novembre 2012)
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