Levez-vous vite, orages désirés ! Préparation au commentaire d'un extrait de René de Chateaubriand
Vue ancienne du château de Combourg en Bretagne où Chateaubriand passa son enfance et qui était hanté,
selon lui, par un chat noir et un fantôme avec béquille ! Voir ICI
"Comment exprimer cette foule de sensations fugitives que j'éprouvais dans mes promenades ? Les sons que rendent les passions dans le vide d’un cœur solitaire ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence d’un désert ; on en jouit, mais on ne peut les peindre.
L’automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j’entrai avec ravissement dans le mois des tempêtes. Tantôt j’aurais voulu être un de ces guerriers errant au milieu des vents, des nuages et des fantômes ; tantôt j’enviais jusqu’au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l’humble feu de broussailles qu’il avait allumé au coin d’un bois. J’écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.
Le jour, je m’égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts. Qu’il fallait peu de chose à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane dont la fumée s’élevait dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du Nord sur le tronc d’un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri murmurait ! Le clocher solitaire s’élevant au loin dans la vallée a souvent attiré mes regards ; souvent j’ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ; j’aurais voulu être sur leurs ailes. Un secret instinct me tourmentait : je sentais que je n’étais moi-même qu’un voyageur, mais une voix du ciel semblait me dire : « Homme, la saison de ta migration n’est pas encore venue ; attends que le vent de la mort se lève, alors tu déploieras ton vol vers ces régions inconnues que ton cœur demande. »
« Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie ! » Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur."
L’automne me surprit au milieu de ces incertitudes : j’entrai avec ravissement dans le mois des tempêtes. Tantôt j’aurais voulu être un de ces guerriers errant au milieu des vents, des nuages et des fantômes ; tantôt j’enviais jusqu’au sort du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l’humble feu de broussailles qu’il avait allumé au coin d’un bois. J’écoutais ses chants mélancoliques, qui me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l’homme est triste, lors même qu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs.
Le jour, je m’égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts. Qu’il fallait peu de chose à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi, une cabane dont la fumée s’élevait dans la cime dépouillée des arbres, la mousse qui tremblait au souffle du Nord sur le tronc d’un chêne, une roche écartée, un étang désert où le jonc flétri murmurait ! Le clocher solitaire s’élevant au loin dans la vallée a souvent attiré mes regards ; souvent j’ai suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ; j’aurais voulu être sur leurs ailes. Un secret instinct me tourmentait : je sentais que je n’étais moi-même qu’un voyageur, mais une voix du ciel semblait me dire : « Homme, la saison de ta migration n’est pas encore venue ; attends que le vent de la mort se lève, alors tu déploieras ton vol vers ces régions inconnues que ton cœur demande. »
« Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie ! » Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur."
René (1802) de François-René de Chateaubriand
Dès les premiers mots du texte, le mot “sensations” apparaît. Or les sentiments confus de René naissent des sensations éprouvées, ainsi tout au long de la page, le champ lexical des sens est exploité, surtout d’ailleurs l’ouïe et la vue. L’accord est d’abord musical entre l’homme et la nature, même s’il est imparfait.
L’ouïe :
“Les sons...murmure...font entendre...dans le silence...”
“J’écoutais ses chants mélancoliques...”
“Notre coeur est un instrument incomplet...aux soupirs”
“...le jonc flétri murmurait...”
“...une voix du ciel semblait me dire....”
les discours rapportés
“...le vent sifflant dans ma chevelure....”
La vue :
“...que je voyais réchauffer ses mains...”
“...a souvent attiré mes regards... j’ai suivi des yeux...”
Toutes les notations visuelles de la nature de la vision d’ensemble au détail qui montrent que la nature comme l’homme est malmenée (“une feuille séchée que le vent chassait... la mousse qui tremblait au souffle du Nord”).
Outre l’évocation des sensations auditives et visuelles, les éléments naturels (eau, terre, air) sont évoqués voire invoqués : les vents, les eaux, les nuages, la terre. Quant au feu, il provient de l’activité humaine ou des passions intérieures (“visage enflammé”). La saison choisie étant celle du froid et des tempêtes assimilable aux troubles du coeur et de l‘esprit !
Les sensations se produisent lors de “promenades” dans la nature (cf. Les rêveries du promeneur solitaire de Rousseau) et sont associées aux verbes de déplacement, de l’errance, à l’égarement, pour finir par la marche “à grands pas” où les sensations tactiles sont abolies pour laisser place à “l’enchantement” du coeur, comme si René savait enfin le but de “son voyage”.
Ces promenades dans la nature vont le conduire à une réflexion philosophique et religieuse sur le coeur et le destin de l’homme. “...le chant naturel de l’homme est triste; lors même qu’il exprime le bonheur. Notre coeur est un instrument incomplet... et nous sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs”. “ Je sentais que je n’étais moi-même qu’un voyageur, mais une voix du ciel semblait me dire....”. Remarquer les présents de vérité générale et le passage du je au nous.
Partagé entre la mélancolie et la joie, l’homme sait qu’il n’est qu’un passager temporaire de la vie physique, il ne pourra trouver son bonheur définitif que dans la vie éternelle. Ainsi, les promenades de René ne sont que les métaphores des tourments terrestres : ici bas, l’homme ne connaît que les incertitudes et son coeur est “le démon” qui le fait souffrir ! Voilà bien posés les fondement du Romantisme, nourri d’humanisme (“mens sana in corpore sano”) et de la sensibilité préromantique à la Rousseau.
Caspar David Friedrich (1817-1818)
Le voyageur au-dessus de la mer de nuages
Musée Hambourg
René porte en lui beaucoup de caractéristiques du héros romantique : le goût de la solitude, de la nature, l’introspection (le vague des passions), la mélancolie, l’aspiration religieuse. Julien Sorel développera la recherche de l’ambition et de la réussite individuelle et les héros de Hugo auront des aspirations humanitaires, sociales et politiques.
Comment mener l’étude du texte ? En suivant le cheminement précédent :
I) Des sensations aux sentiments
a) Les sensations, la nature et la marche (étude du vocabulaire, des images analogiques)
b) Les sentiments (les antithèses, les envolées lyriques, le mode conditionnel)
II) De la méditation philosophique et religieuse à la formation du héros romantique
a) La méditation (présent de vérité générale, la généralisation au nous, les figures d’opposition)
b) l’exaltation du moi en dialogue avec le monde (les types et formes des phrases, les apostrophes, l’énonciation)
Pour y parvenir :
Quoi ? Une promenade dans la nature
Comment ? La description, la réflexion, le registre lyrique
Pourquoi ? Montrer le destin malheureux de l’homme sur terre (seul et le coeur sensible) et introduire l’Espérance religieuse.
Problématique : Comment une promenade dans la nature, en faisant naître en lui sensations et sentiments, conduit-elle René à une méditation philosophique, caractéristique du héros romantique ?
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