Bac blanc
2012 série S
Objet d'étude : la question de
l’homme dans les genres de l’argumentaire du XVIe siècle à nos
jours.
Texte A : Cyrano de Bergerac, Les États et Empires du Soleil, 1662
Texte B : Montesquieu, Lettres Persanes, 1721
Texte C : Louis-Armand de Lom d'Arce, baron de Lahontan, Dialogue entre le baron de Lahontan et un sauvage d'Amérique (1703)
Texte B : Montesquieu, Lettres Persanes, 1721
Texte C : Louis-Armand de Lom d'Arce, baron de Lahontan, Dialogue entre le baron de Lahontan et un sauvage d'Amérique (1703)
Texte A : CYRANO de BERGERAC, Les États et Empires du Soleil, 1662.
[Une perdrix nommée Guillemette la Charnue, blessée par la balle d’un chasseur,
a demandé devant un tribunal réparation « à l’encontre du genre humain ».]
Plaidoyer fait au Parlement des oiseaux, les Chambres assemblées, contre un
animal accusé d’être homme.
« Examinons donc, messieurs, les difficultés de ce procès avec toute la
contention1 de laquelle nos divins esprits sont capables.
« Le nœud de l’affaire consiste à savoir si cet animal est homme et puis en cas que nous avérions qu’il le soit, si pour cela il mérite la mort.
« Pour moi, je ne fais point de difficultés qu’il ne le soit, premièrement, par un sentiment d’horreur dont nous nous sommes tous sentis saisis à sa vue sans en pouvoir dire la cause; secondement, en ce qu’il rit comme un fou; troisièmement, en ce qu’il pleure comme un sot; quatrièmement, en ce qu’il se mouche comme un vilain; cinquièmement, en ce qu’il est plumé comme un galeux; sixièmement, en ce qu’il a toujours une quantité de petits grès carrés dans la bouche qu’il n’a pas l’esprit de cracher ni d’avaler; septièmement, et pour conclusion, en ce qu’il lève en haut tous les matins ses yeux, son nez et son large bec, colle ses mains ouvertes la pointe au ciel plat contre plat, et n’en fait qu’une attachée, comme s’il s’ennuyait d’en avoir deux libres; se casse les deux jambes par la moitié, en sorte qu’il tombe sur ses gigots; puis avec des paroles magiques qu’il bourdonne, j’ai pris garde que ses jambes rompues se rattachent, et qu’il se relève après aussi gai qu’auparavant. Or, vous savez, messieurs, que de tous les animaux, il n’y a que l’homme seul dont l’âme soit assez noire pour s’adonner à la magie, et par conséquent celui-ci est homme. Il faut maintenant examiner si, pour être homme, il mérite la mort.
« Je pense, messieurs, qu’on n’a jamais révoqué en doute que toutes les créatures sont produites par notre commune mère, pour vivre en société. Or, si je prouve que l’homme semble n’être né que pour la rompre, ne prouverai-je pas qu’en allant contre la fin de sa création, il mérite que la nature se repente de son ouvrage ?
« La première et la plus fondamentale loi pour la manutention2 d’une république, c’est l’égalité; mais l’homme ne la saurait endurer éternellement : il se rue sur nous pour nous manger; il se fait accroire que nous n’avons été faits que pour lui; il prend, pour argument de sa supériorité prétendue, la barbarie avec laquelle il nous massacre, et le peu de résistance qu’il trouve à forcer notre faiblesse, et ne veut pas cependant avouer à ses maîtres, les aigles, les condors, et les griffons, par qui les plus robustes d’entre eux sont surmontés.
« Mais pourquoi cette grandeur et disposition de membres marquerait-elle diversité d’espèce, puisque entre eux-mêmes il se rencontre des nains et des géants ?
« Encore est-ce un droit imaginaire que cet empire dont ils se flattent; ils sont au contraire si enclins à la servitude, que de peur de manquer à servir, ils se vendent les uns aux autres leur liberté. C’est ainsi que les jeunes sont esclaves des vieux, les pauvres des riches, les paysans des gentilshommes, les princes des monarques, et les monarques mêmes des lois qu’ils ont établies. Mais avec tout cela ces pauvres serfs ont si peur de manquer de maîtres, que comme s’ils appréhendaient que la liberté ne leur vînt de quelque endroit non attendu, ils se forgent des dieux de toutes parts, dans l’eau, dans l’air, dans le feu, sous la terre.
« Le nœud de l’affaire consiste à savoir si cet animal est homme et puis en cas que nous avérions qu’il le soit, si pour cela il mérite la mort.
« Pour moi, je ne fais point de difficultés qu’il ne le soit, premièrement, par un sentiment d’horreur dont nous nous sommes tous sentis saisis à sa vue sans en pouvoir dire la cause; secondement, en ce qu’il rit comme un fou; troisièmement, en ce qu’il pleure comme un sot; quatrièmement, en ce qu’il se mouche comme un vilain; cinquièmement, en ce qu’il est plumé comme un galeux; sixièmement, en ce qu’il a toujours une quantité de petits grès carrés dans la bouche qu’il n’a pas l’esprit de cracher ni d’avaler; septièmement, et pour conclusion, en ce qu’il lève en haut tous les matins ses yeux, son nez et son large bec, colle ses mains ouvertes la pointe au ciel plat contre plat, et n’en fait qu’une attachée, comme s’il s’ennuyait d’en avoir deux libres; se casse les deux jambes par la moitié, en sorte qu’il tombe sur ses gigots; puis avec des paroles magiques qu’il bourdonne, j’ai pris garde que ses jambes rompues se rattachent, et qu’il se relève après aussi gai qu’auparavant. Or, vous savez, messieurs, que de tous les animaux, il n’y a que l’homme seul dont l’âme soit assez noire pour s’adonner à la magie, et par conséquent celui-ci est homme. Il faut maintenant examiner si, pour être homme, il mérite la mort.
« Je pense, messieurs, qu’on n’a jamais révoqué en doute que toutes les créatures sont produites par notre commune mère, pour vivre en société. Or, si je prouve que l’homme semble n’être né que pour la rompre, ne prouverai-je pas qu’en allant contre la fin de sa création, il mérite que la nature se repente de son ouvrage ?
« La première et la plus fondamentale loi pour la manutention2 d’une république, c’est l’égalité; mais l’homme ne la saurait endurer éternellement : il se rue sur nous pour nous manger; il se fait accroire que nous n’avons été faits que pour lui; il prend, pour argument de sa supériorité prétendue, la barbarie avec laquelle il nous massacre, et le peu de résistance qu’il trouve à forcer notre faiblesse, et ne veut pas cependant avouer à ses maîtres, les aigles, les condors, et les griffons, par qui les plus robustes d’entre eux sont surmontés.
« Mais pourquoi cette grandeur et disposition de membres marquerait-elle diversité d’espèce, puisque entre eux-mêmes il se rencontre des nains et des géants ?
« Encore est-ce un droit imaginaire que cet empire dont ils se flattent; ils sont au contraire si enclins à la servitude, que de peur de manquer à servir, ils se vendent les uns aux autres leur liberté. C’est ainsi que les jeunes sont esclaves des vieux, les pauvres des riches, les paysans des gentilshommes, les princes des monarques, et les monarques mêmes des lois qu’ils ont établies. Mais avec tout cela ces pauvres serfs ont si peur de manquer de maîtres, que comme s’ils appréhendaient que la liberté ne leur vînt de quelque endroit non attendu, ils se forgent des dieux de toutes parts, dans l’eau, dans l’air, dans le feu, sous la terre.
1. contention : effort, application.
2. manutention : maintien.
2. manutention : maintien.
Texte B : MONTESQUIEU, Lettres Persanes, 1721.
Lettre XXX
Rica au même1, à Smyrne
Rica au même1, à Smyrne
Les habitants de Paris sont d’une curiosité qui va jusqu’à l’extravagance.
Lorsque j’arrivai, je fus regardé comme si j’avais été envoyé du ciel :
vieillards, hommes, femmes, enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais,
tout le monde se mettait aux fenêtres ; j’étais aux Tuileries, je voyais
aussitôt un cercle se former autour de moi; les femmes mêmes faisaient un
arc-en-ciel nuancé de mille couleurs, qui m’entourait; si j’étais aux
spectacles, je trouvais d’abord cent lorgnettes dressées contre ma figure:
enfin jamais homme n’a tant été vu que moi. Je souriais quelquefois d’entendre
des gens qui n’étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaient
entre eux : « Il faut avouer qu’il a l’air bien persan. » Chose admirable ! Je
trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les
boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m’avoir pas assez
vu.
Tant d’honneurs ne laissent2 pas d’être à charge3 : je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et quoique j’aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d’une grande ville où je n’étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l’habit persan et à en endosser un à l’européenne, pour voir s’il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d’admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement : libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J’eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m’avait fait perdre en un instant l’attention et l’estime publique : car j’entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu’on m’eût regardé, et qu’on m’eût mis en occasion d’ouvrir la bouche. Mais, si quelqu’un, par hasard, apprenait à la compagnie que j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : « Ah ! ah ! Monsieur est Persan ? c’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »
Tant d’honneurs ne laissent2 pas d’être à charge3 : je ne me croyais pas un homme si curieux et si rare; et quoique j’aie très bonne opinion de moi, je ne me serais jamais imaginé que je dusse troubler le repos d’une grande ville où je n’étais point connu. Cela me fit résoudre à quitter l’habit persan et à en endosser un à l’européenne, pour voir s’il resterait encore dans ma physionomie quelque chose d’admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement : libre de tous les ornements étrangers, je me vis apprécié au plus juste. J’eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m’avait fait perdre en un instant l’attention et l’estime publique : car j’entrai tout à coup dans un néant affreux. Je demeurais quelquefois une heure dans une compagnie sans qu’on m’eût regardé, et qu’on m’eût mis en occasion d’ouvrir la bouche. Mais, si quelqu’un, par hasard, apprenait à la compagnie que j’étais Persan, j’entendais aussitôt autour de moi un bourdonnement : « Ah ! ah ! Monsieur est Persan ? c’est une chose bien extraordinaire ! Comment peut-on être Persan ? »
De Paris, le 6 de la lune de Chalval, 1712.
1. à son ami Usbek.
2. ne laissent pas : n’empêchent pas.
3. être à charge : causer une gêne.
2. ne laissent pas : n’empêchent pas.
3. être à charge : causer une gêne.
Texte C : Louis-Armand de Lom d'Arce, baron de Lahontan, Dialogue
entre le baron de Lahontan et un sauvage d'Amérique (nommé Adario) (1703) Des Lois : Deuxième entretien
ADARIO – […] Quel genre d'hommes sont les Européens ! Quelle sorte de créatures
qui font le bien par force et n'évitent à faire le mal que par la crainte des
châtiments?
Si je te demandais ce que c'est qu'un homme, tu me
répondrais que c'est un Français, et moi je te prouverai que c'est plutôt un
castor. Car un homme n'est pas homme à cause qu'il est planté droit sur ses
deux pieds, qu'il sait lire et écrire, et qu'il a mille autres industries.
J'appelle un homme celui qui a un penchant naturel à
faire le bien et qui ne songe jamais à faire du mal. Tu vois bien que nous
n'avons point des juges; pourquoi? parce que nous n'avons point de querelles ni
de procès.
Mais pourquoi n'avons-nous pas de procès? C'est
parce que nous ne voulons point recevoir ni connaître l'argent. Pourquoi est-ce
que nous ne voulons pas admettre cet argent?
C'est parce que nous ne voulons pas de lois, et que
depuis que le monde est monde nos pères ont vécu sans cela. Au reste, il est
faux, comme je l'ai déjà dit, que le mot de lois signifie parmi vous les choses
justes et raisonnables, puisque les riches s'en moquent et qu'il n'y a que les
malheureux qui les suivent.
Venons donc à ces lois ou choses raisonnables. Il y
a cinquante ans que les gouverneurs du Canada prétendent que nous soyons sous
les lois de leur grand capitaine. Nous nous contentons de nier notre dépendance
de tout autre que du grand Esprit; nous sommes nés libres et frères unis, aussi
grands maîtres les uns que les autres; au lieu que vous êtes tous des esclaves
d'un seul homme.
Si nous ne répondons pas que nous prétendons que
tous les Français dépendent de nous, c'est que nous voulons éviter des
querelles. Car sur quel droit et sur quelle autorité fondent-ils cette
prétention? Est-ce que nous nous sommes vendus à ce grand capitaine?
Avons-nous été en France vous chercher?
C'est vous qui êtes venus ici nous trouver.
Qui vous a donné tous les pays que vous habitez? De
quel droit les possédez-vous?
Ils appartiennent aux Algonkins depuis toujours. Ma
foi, mon cher frère, je te plains dans l'âme.
Crois-moi, fais-toi Huron. Car je vois la différence
de ma condition à la tienne. Je suis maître de mon corps, je dispose de
moi-même, je fais ce que je veux, je suis le premier et le dernier de ma nation
; je ne crains personne et ne dépends uniquement que du grand Esprit. Au lieu
que ton corps et ta vie dépendent de ton grand capitaine ; son vice-roi dispose
de toi, tu ne fais pas ce que tu veux, tu crains voleurs, faux témoins,
assassins, etc.
Tu dépends de mille gens que les emplois ont mis
au-dessus de toi. Est-il vrai ou non ? Sont-ce des choses improbables et
invisibles ?
Ha ! mon cher frère, tu vois bien que j'ai raison;
cependant, tu aimes encore mieux être esclave français, que libre Huron. Ah! le
bel homme qu'un Français avec ses belles lois, qui croyant être bien sage est
assurément bien fou! puisqu'il demeure dans l'esclavage et dans la dépendance,
pendant que les animaux eux-mêmes jouissant de cette adorable liberté, ne
craignent, comme nous, que des ennemis étrangers.
I. Vous
répondrez d’abord à la question suivante
(4 points) :
En quoi et
comment l’homme est-il critiqué dans ces trois textes ? Votre réponse
devra être organisée et faire des références précises aux textes.
II. Vous traiterez ensuite au choix un des sujets
suivants (16 points) :
Commentaire
:
Vous commenterez le texte de Montesquieu.
Dissertation
:
Quel est l’intérêt de recourir à un regard extérieur pour argumenter ? Vous
organiserez votre réponse en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos
connaissances et lectures personnelles.
Invention :
Imaginez la réponse de l’homme au réquisitoire du juge dans le texte de
Cyrano de Bergerac, sous la forme d’un plaidoyer en faveur de l’humanité.
Correction du
bac blanc 2012 série S
La question
transversale :
En quoi et
comment l’homme est-il critiqué dans ces trois textes ? Votre réponse
devra être organisée et faire des références précises aux textes.
Sous l’Ancien Régime, critiquer
les défauts sociaux, politiques et religieux exposait à la censure. Aussi les
auteurs prenaient-ils des précautions : en particulier, ils plaçaient
leurs critiques dans la bouche d’un étranger ou d’un animal, ce qu’on
appelle le regard extérieur. C’est le cas pour Cyrano de Bergerac, Lahontan et
Montesquieu dans les extraits respectifs de leurs œuvres : Les
États et Empires du Soleil, 1662 ; Dialogue
entre le baron de Lahontan et un sauvage d'Amérique (1703) ; Lettres
Persanes, 1721. On peut se demander comment
et en quoi l’homme social est critiqué. Après les définitions péjoratives
de l’homme données par ces textes, on verra quels sont les défauts dénoncés et
les intentions des auteurs.
Les textes donnent
une définition négative de l’homme par la voix d’un animal et de deux
étrangers, au discours direct, dans un plaidoyer judiciaire, une lettre et un
dialogue.
La perdrix
Guillemette, du parlement des oiseaux, dans son plaidoyer, trouve à l’homme
sept caractéristiques qui peuvent s’organiser autour de trois aspects. D’abord,
est stigmatisé le physique de l’homme, repoussant pour un oiseau, lui
inspirant de « l’horreur »
« en ce qu’il est plumé comme un galeux ». Son
comportement extravagant est ensuite ridiculisé, car « il rit comme un fou », « pleure comme un sot »,
« se mouche comme un vilain » et « a toujours une quantité de petits grès
carrés dans la bouche ». Enfin, et c’est le plus important, l’homme se
livre à toutes sortes de simagrées, comme de « se casse[r] les deux jambes par la moitié, en sorte qu’il tombe sur ses
gigots » pour s’adonner à la magie, c’est-à dire à la prière et donc à
la religion. Montesquieu dirait, sous la plume de son Persan, que c’est plutôt
l’habit qui fait l’homme, c’est-à dire son apparence, et plus cette apparence
est exotique et étrange, plus l’individu éveille l’intérêt des autres :
« Il faut avouer qu’il a l’air bien
persan ». Quant à l’Indien de Lahontan, il compare dans sa tirade
l’homme européen à « un castor »
car « un homme n'est pas homme à cause qu'il est planté droit sur deux pieds,
qu'il sait lire et écrire, et qu'il a mille autres industries ».
Les auteurs insistent sur les défauts de l’homme, des
moins graves aux plus graves.
Si la curiosité et la superficialité des Parisiens
sont dénoncées par le Persan, la perdrix est plus virulente
qui accuse l’homme d’atteinte meurtrière à la Nature et à l’égalité entre les
êtres vivants. L’homme qui veut tout dominer est, lui-même, prompt à la
servitude : « ils sont au contraire si
enclins à la servitude, que de peur de manquer à servir, ils se vendent les uns
aux autres leur liberté » et « se
forgent des dieux » pour être sûrs d’avoir des maîtres. L’Indien
s’attaque à l’argent qui entraîne des lois, or « les
riches s'en moquent et qu'il n’y a que les malheureux qui les suivent ». Ces lois entraînent
l’asservissement des Algonquins or « nous sommes nés libres et frères unis, aussi
grands maîtres les uns que les autres », et la servitude des Européens « pendant que les animaux
eux-mêmes jouissant de cette adorable liberté, ne craignent, comme nous, que
des ennemis étrangers ».
Lahontan, avant Diderot, dénonce l’illégitimité du colonialisme.
C’est
donc bien la dénonciation des atteintes aux droits de l’homme et des êtres
vivants en général qui est au cœur des textes de Lahontan et Cyrano de Bergerac.
Dans les trois textes sont dénoncés l’arrogance, le sentiment de supériorité,
la curiosité déplacée et la domination usurpée qu’exercent les hommes, dits
civilisés, sur les peuples étrangers, primitifs ou même le règne animal. Tous
les renvoient à leurs faiblesses et à leur manque de lucidité et de libre
arbitre.
Les trois textes sont des
critiques des mœurs et des mentalités européennes. Le texte de Montesquieu est
plus humoristique et léger que les deux autres car il ne s’en prend ici qu’à
une forme de snobisme des Parisiens. La perdrix voudrait bien faire condamner
l’homme à mort pour obtenir réparation de la blessure subie et le ton est
polémique. Quant à l’Indien qui dit à son interlocuteur français :
« Crois-moi, fais-toi Huron » et définit l’homme comme « celui qui a un penchant naturel à faire le bien et qui ne songe jamais
à faire du mal », son discours est didactique et fraternel. Tous les
auteurs appellent à se mettre à la place de l’autre, à réfléchir aux notions de
liberté, d’égalité et de fraternité. Deux rejettent le joug de la religion et
des lois et tous appellent à l’ouverture d’esprit et au respect de l’autre, de
l’animal et des lois de la nature. Tous ces combats intellectuels se
poursuivront, de manière plus scientifique avec les travaux des ethnologues
comme ceux de Claude Lévi Strauss au XXe
siècle.
Correction de la Dissertation :
Quel est l’intérêt de recourir à un regard extérieur pour argumenter ? Vous
organiserez votre réponse en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos
connaissances et lectures personnelles.
I) Plaire au lecteur et le
distraire
A) Dépayser et faire rêver : discours utopique des gens d’Eldorado
B) Amuser ou inquiéter par l’anthropomorphisme : roman de Renard, Etats et Empire du soleil de Cyrano de Bergerac, La Ferme des animaux de Orwel, les
fables de La Fontaine, La Planète des
singes de Pierre Boulle, La
Métamorphose de Kafka …
C) Le regard des aliens : Fredric BROWN, En
sentinelle, 1958
II) Dénoncer les
atteintes à « l’autre », lutter contre les préjugés et réhabiliter
« l’étranger » et même l’animal
A) Dénoncer l’esclavage et le colonialisme comme institutions d’état:
Les textes du corpus, Supplément au
voyage de Bougainville de Diderot
B) Les ravages moraux et physiques apportés aux indigènes et les
atteintes à la nature : Diderot, Lahontan
C) Lutter contre les préjugés : les indigènes ne sont pas des
monstres, ils ont des qualités et de la sagesse. Les animaux éprouvent des
sentiments et souffrent comme les humains.
III) Ridiculiser et
rabaisser la superbe des Occidentaux et faire réfléchir à l’altérité
A) La caricature pour éprouver l’amour propre: Lettres persanes
B) Inverser les situations pour faire prendre conscience : dans les
raisonnements des sauvages de Lahontan, Diderot
C) Prise de distance et de hauteur pour
inciter à la réflexion de manière plus concrète que dans un essai
Céline Roumégoux