Sujet : la forme de l’apologue vous semble-t-elle efficace pour défendre une
opinion ?
La
fable, la parabole, le conte philosophique, le récit utopique et même le mythe :
autant de formes différentes de l’apologue, qui est un récit plaisant en vers
ou en prose, qui illustre une leçon ou une morale. Le lecteur a toujours
plaisir à réfléchir à partir d’une histoire plutôt que de lire un austère traité
de morale ou de philosophie. Cependant, on peut se demander si l’apologue est
efficace pour défendre une opinion. On verra ce qui peut attirer le lecteur et
la nature des enseignements qu’il trouve dans ce genre littéraire. On en
montrera aussi les limites et qu’il existe d’autres genres tout aussi
attractifs et efficaces.
I) Un récit plaisant
A) Par la nature variée
des actants
-
Le regard étranger qui dépayse et amuse en montrant nos travers sociaux sous un
angle cocasse est un bon moyen d’attirer le lecteur. C’est le cas dans les
contes philosophiques de Voltaire. Ainsi Babouc ou Candide sont des étrangers
ou des naïfs qui découvrent les défauts de la société de leur temps et
s’offusquent de la barbarie des guerres, du scandale de l’esclavage, de la
saleté des villes, entre autres.
-
Les animaux ou les végétaux sont choisis aussi pour incarner des types sociaux
ou psychologiques. La Fontaine se sert du lion pour critiquer le roi ou du
renard pour cibler les hypocrites et les flatteurs et mettre en garde contre
leurs agissements. Marie de France (XIIe siècle) dans L’assemblée des lièvres
montre qu’il est bien vain d’aller trouver son bonheur ailleurs que chez
soi.
-
Les personnages magiques des contes de fées figurent le bien ou le mal comme la
fée et la sorcière. Les objets aussi sont symboliques et peuvent illustrer une
leçon, comme la statue d’or et de boue que fait fabriquer Babouc dans Le monde comme il va de Voltaire et qui
représente la société avec ses qualité et ses défauts.
B) Par les péripéties
qui tiennent en haleine ou amusent
-
Les apologues prennent souvent la forme du récit d’apprentissage ou
d’initiation. Ainsi le héros est envoyé en mission et doit vaincre des
obstacles et en ressortir fortifié. Que ce soit un adulte ou un enfant, il
découvre, déjoue des pièges, réfléchit et redresse des situations injustes. Le
petit Poucet de Perrault, le plus faible de la fratrie va trouver le moyen de
sauver ses frères et leur faire retrouver le chemin de la maison grâce à sa
débrouillardise. Candide se retrouve dans des situations rocambolesques ou
dangereuses et va finalement découvrir le secret du bonheur dans le travail et
une petite communauté solidaire.
-
La saynète croquée par un fabuliste comme Florian (XVIIIe siècle) dans Le Chat et le miroir, après un début
piquant : « Sur une table de
toilette, ce chat aperçut un miroir », nous donne à voir les
contorsions comiques d’un chat, obstiné à découvrir les secrets d’un miroir. Il
se résigne enfin à en abandonner le mystère qui le dépasse et à retourner à un
domaine à sa portée, à savoir les souris !
-
Les récits utopiques présentent des sociétés idéales qui sont tout le contraire
des sociétés existantes, que ce soient Utopia
de Thomas More ou La Cité du soleil
de Campanella.
Par
leur brièveté, leur fantaisie, leur charge comique, les apologues plaisent au
lecteur et l’instruisent. Les registres utilisés comme le merveilleux ou
l’ironie voilent la plate réalité et actionnent l’imagination et la réflexion.
Lilypad, une cité flottante et écologique | © Vincent Callebaut Architectures
II) Les enseignements
des apologues
A) Développer la
réflexion individuelle
-
En montrant les défauts de l’homme ordinaire, les apologues invitent à les
corriger. Ainsi le fort, comme le chêne, dans la fable de La Fontaine, aura
intérêt à prendre exemple sur le roseau faible et à plier pour ne pas se
rompre.
-
Les grands de ce monde devraient bien se souvenir : « qu’on a souvent besoin d’un plus petit que
soi » ainsi que le découvre sire lion dans Le Lion et le Rat de la Fontaine.
-
Les leçons de sagesse abondent pour tous, comme l’aphorisme du bon Turc dans Candide : « Le travail éloigne de nous trois grands
maux : l’ennui, le vice et le besoin »
B) Favoriser
l’esprit critique collectif
-
Proposer une cité idéale, c’est montrer les défauts du temps concerné et
inciter à transformer la société. L’Eldorado de Candide concentre l’idéal des Lumières où les prisons et les
tribunaux sont remplacés par un imposant palais des sciences et où le roi est
débonnaire et accessible à ses sujets.
-
Les contre-utopies des temps modernes mettent en garde contre les dérives
perverses des sciences poussées à l’extrême comme Dans le meilleur des mondes de Huxley où la génétique a pris le
pouvoir et la liberté des hommes.
-
Parfois les fables contribuent à la concorde sociale. Ainsi la fable d’Esope où
se disputent l’estomac et les pieds, reprise par La Fontaine dans Les membres et l’estomac (Fables, III,
2), montre que le corps humain comme le corps social a besoin de « travailleurs » (les membres) et de
« directeurs » (l’estomac)
pour pouvoir fonctionner. On raconte qu’au Ve siècle av. J.-C., cette fable
arrêta une rébellion du petit peuple contre la noblesse romaine !
Critiquer
et proposer, poser des questions et apporter des réponses : voilà les
objectifs des apologues. Ils font appel à l’imagination, la sensibilité,
l’émotion, le rire et surtout à la réflexion. Tous sont didactiques et couvrent
tous les domaines : moral, politique, social, philosophique, religieux. Cependant
ils ont des limites et certains autres genres littéraires peuvent être tout
aussi efficaces, voire plus.
III) Les limites des
apologues et les autres moyens de défendre une opinion
A) Les limites
-
Certaines morales contenues dans les fables peuvent ne pas être si
compréhensibles que cela, surtout pour les enfants. Rousseau l’avait montré
dans L’Emile et écrivait « on achète l'agrément aux dépens de la clarté
». Il en est de même quand les auteurs usent de l’ironie et de l’allusion :
certains lecteurs auront du mal à décrypter le message subtil et feront même
des contresens.
-
Rousseau, encore, reprochait aux fables leur morale ambiguë, pas si morale au
fond. Prenant l’exemple de La Cigale et
la Fourmi, il déplorait que ce récit encourage l’enfant à être « avare et
dur » et en plus, en prenant plaisir « à
railler dans ses refus » de charité. Il conclut en disant que « au lieu de se corriger sur la dupe, il ne se
formera pas sur le fripon ». Platon, bien avant lui, déconseillait de lire
Homère à cause des mauvais exemples véhiculés par les mythes.
-
Enfin, quelques apologues reflètent l’idéologie de leur temps ou propagent des
idées conservatrices, caricaturales ou choquantes. Candide n’échappe pas à un certain manichéisme et la caricature de
la philosophie de Leibniz frise la mauvaise foi. Certaines utopies font la part
belle au pouvoir d’une élite qui peut devenir tyrannique comme dans L’Autre Monde de Cyrano de Bergerac où
les enfants prennent le pouvoir sur les parents et où « la virginité est un crime » !
B) Des formes
littéraires concurrentes de l’apologue
-
Le théâtre est une excellente tribune pour diffuser des idées. Marivaux l’avait
bien compris en mettant en scène dans L’Ile
des esclaves l’inversion des rapports sociaux entre maîtres et valets pour
montrer, non pas qu’il fallait faire la révolution, mais que seul le hasard de
la naissance ou de la vie nous
attribuait une condition et qu’il fallait être juste et raisonnable et ne pas
abuser de ses avantages.
-
La nouvelle et le roman peuvent avoir valeur d’apologue avec plus de finesse et
de profondeur psychologique. Les Contes
normands de Maupassant, La
Métamorphose de Kafka ou Le baron
perché de Calvino présentent tous les rapports conflictuels au sein de la
famille ou du groupe social de manière imagée ou réaliste. Grégoire Samsa
métamorphosé en cafard chez Kafka
n’existe plus pour ses proches et devient objet de répulsion et de rejet alors
que le baron de Calvino fuit sa famille pour s’établir définitivement dans les
arbres pour conquérir sa liberté.
-
Enfin l’essai ou la lettre ouverte comme l’article J’accuse de Zola prennent clairement positon et usent d’une
argumentation directe et claire qui ne laisse aucun doute sur les positions de
l’auteur. C’est le cas du Traité de la
tolérance de Voltaire ou du Contrat
social de Rousseau.
L’apologue
par sa diversité et sa souplesse se prête bien à la diffusion des idées,
opinions et réflexions de toutes natures. Le récit est court, captivant et va à
l’essentiel. On use de persuasion pour rallier le lecteur à une opinion. On
s’intéresse aussi bien à la morale privée qu’à l’éthique sociale, politique ou
religieuse. On critique une conduite ou une société et on propose des remèdes.
Mais la distanciation, provoquée par le masque de la fiction et des registres
fantaisistes, nuit à l’identification, parfois brouille même le message qui est
mal compris par le lecteur. Une représentation théâtrale lèvera mieux les
doutes et touchera une assemblée plus nombreuse. L’argumentation directe de
l’essai ou l’approfondissement psychologique du roman et de la nouvelle longue
seront plus clairs mais demanderont plus d’efforts au lecteur. Socrate, lui,
préconisait le dialogue où les questions étaient plus importantes que les
réponses. L’art de la conversation qui était, avant, l’apanage des Français
semble pourtant prendre une forme moderne et se généraliser dans les forums sur
Internet. Comme quoi exprimer des idées et les faire partager est toujours
d’actualité.
Corrigé de Céline
Roumégoux
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