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vendredi 20 mai 2022

L'Ecume des jours de Boris Vian commentaire chapitre LXVIII dialogue final du chat et de la souris

 L'Ecume des jours, chapitre LXVIII (1947)

de Boris Vian

Le dialogue final entre le chat et la souris



- Vraiment dit le chat, ça ne m’intéresse pas énormément.

- Tu as tort, dit la souris. Je suis encore jeune, et jusqu’au dernier moment j’étais bien nourrie.

- Mais je suis bien nourri aussi, dit le chat, et je n’ai pas du tout envie de me suicider, alors tu vois pourquoi je trouve ça anormal.

- C’est que tu ne l’as pas vu, dit la souris.

- Qu’est-ce qu’il fait ? demanda le chat.

Il n’avait pas très envie de le savoir. Il faisait chaud et ses poils étaient tous bien élastiques

- Il est au bord de l’eau, dit la souris, il attend, et quand c’est l’heure il va sur la planche et il s’arrête au milieu. Il voit quelque chose.

- Il ne peut pas voir grand-chose, dit le chat. Un nénuphar peut-être.

- Oui, dit la souris. Il attend qu’il remonte pour le tuer.

- C’est idiot, dit le chat. Ça ne présente aucun intérêt.

- Quand l’heure est passée, continua la souris, il revient sur le bord, il regarde la photo.

- Il ne mange jamais ? demanda le chat.

- Non, dit la souris, et il devient très faible, et je ne peux pas supporter ça. Un de ces jours, il va faire un faux pas en allant sur cette grande planche.

- Qu’est-ce que ça peut te faire ? demanda le chat. Il est malheureux, alors ?...

- Il n’est pas malheureux, dit la souris, il a de la peine. C’est ça que je ne peux pas supporter. Et puis il va tomber à l’eau, il se penche trop.

- Alors, dit le chat, si c’est comme ça, je veux bien te rendre ce service, mais je ne sais pas pourquoi je dis « si c’est comme ça », parce que je ne comprends pas du tout.

- Tu es bien bon, dit la souris.

- Mets ta tête dans ma gueule, dit le chat, et attends.

- Ça peut durer longtemps ? demanda la souris.

- Le temps que quelqu’un me marche sur la queue, dit le chat ; il me faut un réflexe rapide. Mais je la laisserai dépasser, n’aie pas peur.

         La souris écarta les mâchoires du chat et fourra sa tête entre ses dents aiguës. Elle la retira presque aussitôt.

- Dis donc, dit-elle, tu as mangé du requin, ce matin ?

- Ecoute, dit le chat, si ça ne te plaît pas, tu peux t’en aller. Moi, ce truc-là, ça m’assomme. Tu te débrouilleras toute seule.

         Il paraissait fâché.

- Ne te vexe pas dit la souris.

         Elle ferma ses petits yeux noirs et replaça sa tête en position. Le chat laissa reposer avec précaution ses canines acérées sur le cou doux et gris. Les moustaches noires de la souris se mêlaient aux siennes. Il déroula sa queue touffue et la laissa traîner sur le trottoir.

Il venait, en chantant, onze petites filles aveugles de l'orphelinat de Jules l’Apostolique.

*****

         L’Ecume des jours (1947) de Boris Vian (1920-1959) est un roman original qui utilise des éléments merveilleux et inquiétants, comme si le monde des héros, Colin et Chloé, se déréglait. Après une période de bonheur dans le couple, la maladie de Chloé, qui a un nénuphar qui pousse dans ses poumons, va apporter le malheur et le rétrécissement, au sens propre, de l’univers des jeunes gens. La mort de Chloé laisse Colin désespéré. L’épilogue du roman se présente sous la forme d’un dialogue proche d’un apologue entre le chat et la souris, les animaux familiers du couple. Comment, sous la légèreté d’un dialogue insolite, Boris Vian propose-t-il sa vision contrastée de la mort ?

 

I) Un dialogue insolite et une situation paradoxale

 

A) Une situation inhabituelle

 

-         Des animaux antagonistes qui semblent bien s’entendre : le chat et la souris. Cependant d’habitude, c’est plus le chat que la souris qui est l’animal du foyer proche de son maître.

-         Une demande saugrenue de la souris au chat : un suicide assisté. Pour cela, elle argumente en aiguisant l’appétit naturel du chat pour les souris, puis, parce qu’il est repu, en essayant de l’attendrir sur l’état désespéré de Colin qu’elle ne peut plus supporter.

-         La réaction réticente du chat : « ça ne m’intéresse pas énormément. »

 

B) L’absurdité des propos de la souris et de la situation selon le chat

 

- L’anormalité du suicide de la souris qui veut être mangée par le chat alors qu’il est bien nourri et « [qu]’il faisait chaud et [que] ses poils étaient tous bien élastiques. » Le chat dit : « Je trouve ça anormal. » Il a l’air de penser que manger et se prélasser au chaud suffit au bonheur de vivre et s’étonne à propos de l’attitude de Colin : « Il ne mange jamais ? »

- Le manque d’empathie du chat qui demande : « Qu’est-ce que ça peut te faire ? » lorsque la souris s’inquiète pour Colin. Cependant, le moment venu de « suicider » la souris, il fait preuve de beaucoup de précaution et de douceur : « Le chat laissa reposer avec précaution ses canines acérées sur le cou doux et gris. Les moustaches noires de la souris se mêlaient aux siennes. » Il y a une sorte de fusion finale entre les deux animaux par le biais des moustaches !

- L’incompréhension totale du chat : « je ne comprends pas du tout. »  et son indifférence apparente au sort des autres : « Moi, ce truc-là, ça m’assomme. »

 

C) L’humour des propos et des personnages

 

- Un dialogue qui commence in media res par une réponse du chat à une question ou une demande de la souris qui n’est pas donnée. Mais à la réplique suivante, on comprend très vite qu’elle se propose comme dîner au chat : « Tu as tort, dit la souris. Je suis encore jeune, et jusqu’au dernier moment j’étais bien nourrie. »

- La souris qui se plaint de l’odeur de la gueule du chat : « Dis donc, dit-elle, tu as mangé du requin, ce matin ? »

- Le niveau de langue familier et le ton détaché des protagonistes alors que la situation est tragique puisque la souris est dans la gueule du chat : « Ça peut durer longtemps ? demanda la souris. »

- Le stratagème du chat pour tuer la souris : « Le temps que quelqu’un me marche sur la queue, dit le chat ; il me faut un réflexe rapide. Mais je la laisserai dépasser, n’aie pas peur. »


 

II) Une conception contrastée de la mort

 

A) Une situation pathétique

 

- Le récit douloureux de la souris sur l’état de Colin : « il devient très faible, et je ne peux pas supporter ça. Un de ces jours, il va faire un faux pas en allant sur cette grande planche. » La souris craint pour la vie de Colin et veut se suicider avant lui car elle ne supporte pas de le perdre.

- La subtile distinction que fait la souris entre « malheureux » et « avoir de la peine » : « Il n’est pas malheureux, dit la souris, il a de la peine. C’est ça que je ne peux pas supporter» La souris fait la différence entre un état permanent de malheur et une cause précise et irréparable pour Colin : avoir de la peine à cause de la mort de Chloé à laquelle la souris ne peut apporter de consolation.

- La répétition de « je ne peux pas supporter » dans les deux cas justifie la décision de la souris de se suicider.

- La surprenante sollicitude du chat : « Il est malheureux, alors ?... » et sa décision d’aider indirectement la souris à se suicider : « Alors, dit le chat, si c’est comme ça, je veux bien te rendre ce service ». Malgré son apathie, le chat se montre compatissant envers la souris, sans doute plus pour en finir et avoir la paix que par véritable empathie ou alors, il cache sa sensibilité.

 

 

B) Le destin aveugle et absurde

 

- Le désespoir de Colin se traduit par un comportement absurde : « Il attend qu’il [le nénuphar] remonte pour le tuer. » Vu que les nénuphars sont la cause de la mort de Chloé, Colin se venge en quelque sorte d’eux, ce qui est dans la logique de son monde surréaliste mais inepte pour le sens commun et surtout inefficace. Les nénuphars n’ont pas de conscience. Cependant dans la symbolique égyptienne, le nénuphar (lotus) représente la renaissance, la fleur est censée s’enfoncer dans l’eau la nuit et remonter au soleil du matin. Colin qui empêche les nénuphars de remonter tuerait ainsi toute chance de renaissance. Serait-ce une façon de tuer la vie et d’accepter la mort ?

- Le chat, intermédiaire d’un hasard programmé absurde pour tuer la souris à l’aide des jeunes filles insouciantes, innocentes et aveugles qui, en marchant sur sa queue, vont déclencher la fermeture de ses mâchoires sur le cou de la souris: « Il venait, en chantant, onze petites filles aveugles de l'orphelinat de Jules l’Apostolique. »

- Une solution déresponsabilisante pour le chat comme pour la souris : le hasard aveugle qui provoque la mort par réflexe et dans un temps non défini : « Ça peut durer longtemps ? demanda la souris. Le temps que quelqu’un me marche sur la queue, dit le chat. »

- Cependant dans la phrase finale : « Il venait, en chantant, onze petites filles aveugles de l'orphelinat de Jules l’Apostolique. » plusieurs détails retiennent l’attention. Le nombre onze dans la symbolique chrétienne est ambivalent ; il peut signifier une harmonie rompue ou une incomplétude par rapport au nombre douze, ainsi il ne reste que onze apôtres après la trahison de Judas. Cependant la parabole de Matthieu sur les ouvriers de la onzième heure, soit la fin du jour, montre la générosité de Dieu qui rétribue de la même manière ceux qui ont travaillé pour lui tout le jour et ceux qui n’ont fourni qu’une heure de labeur et sont arrivés en dernier. Le salut après la mort ou le néant ? Les petites filles sont orphelines et aveugles, c’est-à-dire sans guides et sans vision. Sont-elles comme le destin sans Dieu et sans dessein ? Enfin Jules l’Apostolique n'existe pas. Mais il existe un Julien l’Apostat, empereur romain du IVe siècle de notre ère qui renia le christianisme dans lequel il fut pourtant élevé et voulut rétablir le paganisme. Il fut aussi un des premiers à promulguer un édit de tolérance religieuse. Cette phrase finale reste donc énigmatique : faut-il y voir une moquerie iconoclaste contre la religion du salut ? Le destin et le hasard remplacent-ils Dieu ? Reste-t-il un espoir et Dieu guide-t-il les petites filles innocentes pour le meilleur ou pour le pire ?

- Reste que la mort n’est jamais nommée, seul le suicide est évoqué par le chat mais pour le réprouver : « je n’ai pas du tout envie de me suicider, alors tu vois pourquoi je trouve ça anormal. » Ce non-dit de la mort pourtant omniprésente dans le dialogue est à rapprocher du fait que Colin n’est jamais désigné par son prénom mais par le pronom personnel « il ». Le chat et la souris n’ont pas de nom, comme si ce dialogue était un apologue universel sans une morale claire. Comme si Boris Vian hésitait entre le rire et les larmes, le réel et l’imaginaire, l’absurdité et la raison, la foi et le doute ou l’ironie iconoclaste. La mort n’est pas décrite, elle est annoncée par la marche fatale des onze orpheline, le destin en marche en somme.

 

Ce dialogue se présente donc comme un apologue sur le sens ou le non-sens de la mort selon Boris Vian. On y retrouve de l’humour noir, du pathétique, de la tendresse, de l’ironie iconoclaste pour les croyances religieuses et surtout de l’absurde qu’il affectionnait tant. La mort est présentée comme une destruction aveugle et injuste, due au hasard cruel. Elle ravage les survivants et les conduit au suicide. Est évoqué aussi le droit à disposer de sa vie et la question de la responsabilité de son propre destin. Le choix du chat à « assister » la mort de la souris sans en prendre la responsabilité est aussi à prendre en compte. Lui, choisit de vivre dans la satiété et la volupté et de ne pas se poser de questions, sans être toutefois complètement insensible au sort des autres. Dans le roman, il y a un dialogue surréaliste entre Colin et Jésus sur sa croix dans l’église pour la messe de funérailles de Chloé où Jésus est singulièrement comparé à un « chat repu » comme celui du dialogue final :

– Pourquoi l’avez-vous fait mourir ? demanda Colin.

– Oh …dit Jésus. N’insistez pas.

Il chercha une position plus commode sur ses clous.

– Elle était si douce, dit Colin. Jamais elle n’a fait le mal, ni en pensée, ni en action.

– ça n’a aucun rapport avec la religion, marmonna Jésus en bâillant.

Il secoua un peu la tête pour changer l’inclinaison de sa couronne d’épines.

– Je ne vois pas ce que nous avons fait, dit Colin. Nous ne méritions pas cela.

Il baissa les yeux. Jésus ne répondit pas. Colin releva la tête. La poitrine de Jésus se soulevait doucement et régulièrement. Ses yeux s’étaient fermés et Colin entendit sortir de ses narines un léger ronronnement de satisfaction, comme un chat repu. 

La Poule aux œufs d'or Jean de La Fontaine

 


Marguerite Calvet-Rogniat est illustratrice (1897- 1968).
Elle a illustré Un bon petit-diable, les Malheurs de Sophie et Histoire de la Princesse Rosette de la Comtesse de Ségur, ainsi que les Contes de Perrault (éditions René Touret) et les fables de La Fontaine.
Elle est bien connue pour les belles images que remettaient nos instituteurs aux bons élèves lorsqu'ils avaient acquis 10 bons points. Elle a également illustré des cartes postales.

La Poule aux œufs d'or 

Jean de La Fontaine

LIVRE V : FABLE 13 


L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la Poule, à ce que dit la Fable,
Pondait tous les jours un œuf d'or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les œufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches :
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches ?



jeudi 12 mai 2022

Lettre à France (1977) de Michel Polnareff


  Lettre à France (1977) de Michel Polnareff

Il était une fois
Toi et moi
N’oublie jamais ça
Toi et moi!

Depuis que je suis loin de toi
Je suis comme loin de moi
Et je pense à toi tout bas
Tu es à six heures de moi
Je suis à des années de toi
C’est ça être là-bas

La différence
C’est ce silence
Parfois au fond de moi

Tu vis toujours au bord de l’eau
Quelquefois dans les journaux
Je te vois sur des photos
Et moi, loin de toi
Je vis dans une boite à musique
Electrique et fantastique
Je vis en chimérique

La différence,
C’est ce silence
Parfois au fond de moi

Tu n’es pas toujours la plus belle
Et je te reste infidèle
Mais qui peut dire l’avenir
De nos souvenirs?
Oui, j’ai le mal de toi parfois
Même si je ne le dis pas
L’amour c’est fait de ça

Il était une fois
Toi et moi
N’oublie jamais ça
Toi et moi!

Depuis que je suis loin de toi
Je suis comme loin de moi
Et je pense à toi là-bas
Oui, j’ai le mal de toi parfois
Même si je ne le dis pas
Je pense à toi tout bas

samedi 22 janvier 2022

Alfred JARRY, Ubu roi, 1896, acte III, scène 2, Le faux procès des nobles

 

Alfred JARRY, Ubu roi, 1896, acte III, scène 2,

 Le faux procès des nobles

 



La grande salle du palais.

PÈRE UBU, MÈRE UBU, OFFICIERS & SOLDATS,
GIRON, PILE, COTICE, NOBLES enchaînés,
FINANCIERS, MAGISTRATS, GREFFIERS.

Acte III, scène 2

PERE UBU : Apportez la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! ensuite, faites avancer les Nobles.
On pousse brutalement les Nobles.

MERE UBU : De grâce, modère-toi, Père Ubu.

PERE UBU : J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens.

NOBLES : Horreur ! à nous, peuple et soldats !

PERE UBU : Amenez le premier Noble et passez-moi le crochet à Nobles. Ceux qui seront condamnés à mort, je les passerai dans la trappe, ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous, où on les décervellera. (Au Noble.) Qui es-tu, bouffre ?

LE NOBLE : Comte de Vitepsk.

PERE UBU : De combien sont tes revenus ?

LE NOBLE : Trois millions de rixdales.

PERE UBU : Condamné !
Il le prend avec le crochet et le passe dans le trou.

MERE UBU : Quelle basse férocité !

PERE UBU : Second Noble, qui es-tu ? (Le Noble ne répond rien.) Répondras-tu, bouffre ?

LE NOBLE : Grand-duc de Posen.

PERE UBU : Excellent ! excellent ! Je n'en demande pas plus long. Dans la trappe. Troisième Noble, qui es-tu ? tu as une sale tête.

LE NOBLE : Duc de Courlande, des villes de Riga, de Revel et de Mitau.

PERE UBU : Très bien ! très bien ! Tu n'as rien autre chose ?

LE NOBLE : Rien.

PERE UBU : Dans la trappe, alors. Quatrième Noble, qui es-tu ?

LE NOBLE : Prince de Podolie.

PERE UBU : Quels sont tes revenus ?

LE NOBLE : Je suis ruiné.

PERE UBU : Pour cette mauvaise parole, passe dans la trappe. Cinquième Noble, qui es-tu ?

LE NOBLE : Margrave de Thorn, palatin de Polock.

PERE UBU : Ca n'est pas lourd. Tu n'as rien autre chose ?

LE NOBLE : Cela me suffisait.

PERE UBU : Eh bien ! mieux vaut peu que rien. Dans la trappe. Qu'as-tu à pigner, Mère Ubu ?

MERE UBU : Tu es trop féroce, Père Ubu.

PERE UBU : Eh ! je m'enrichis. Je vais faire lire MA liste de MES biens. Greffier, lisez MA liste de MES biens.

LE GREFFIER : Comté de Sandomir.

PERE UBU : Commence par les principautés, stupide bougre !

LE GREFFIER : Principauté de Podolie, grand-duché de Posen, duché de Courlande, comté de Sandomir, comté de Vitepsk, palatinat de Polock, margraviat de Thorn.

PERE UBU : Et puis après ?

LE GREFFIER : C'est tout.

PERE UBU : Comment, c'est tout ! Oh bien alors, en avant les Nobles, et comme je ne finirai pas de m'enrichir, je vais faire exécuter tous les Nobles, et ainsi j'aurai tous les biens vacants. Allez, passez les Nobles dans la trappe.
On empile les Nobles dans la trappe.
Dépêchez-vous plus vite, je veux faire des lois maintenant.

[…]

***********************************

Jouée pour la première fois le 10 décembre 1896 au Théâtre de Paris, Ubu roi est une pièce en cinq actes écrits en prose par le dramaturge français Alfred Jarry (1873 -1907). Ubu roi a d'abord été publié dans la revue parisienne Le Livre d'art en avril 1896.

L'histoire d'Ubu roi est celle d'Ubu, un officier du roi Venceslas de Pologne, qui prévoit d'assassiner ce dernier ainsi que tous les nobles avant de monter au pouvoir. Ubu s'allie au capitaine Bordure et tous deux planifient de passer à l'acte durant une revue. Malgré les réticences de la reine, le roi se rend à la revue et est tué comme prévu. Ubu accède donc au pouvoir, mais Bougrelas, le seul fils survivant du roi, est bien décidé à venger la mort de son père.

Il est possible qu'Alfred Jarry ait parodié le titre de la tragédie Œdipe roi de Sophocle. De nombreuses références à la pièce Macbeth de William Shakespeare sont également présentes tout au long de son texte.

Le personnage d'Ubu est inspiré de monsieur Hébert, professeur de physique au lycée de Rennes où Alfred Jarry a étudié. Il représentait pour ses élèves l'incarnation même du grotesque. Les aventures du « père Hébert », comme il était surnommé, faisaient l'objet de farces écrites par les lycéens.

Dans la scène 2 de l’acte III, Ubu se livre à une parodie de procès des nobles du royaume. C’est une sorte de farce tragique qui dénonce le despotisme qui va jusqu’au délire meurtrier.

 



I ) Une farce grotesque


A) Une situation absurde

Malgré de nombreux personnages dans la salle du palais, Ubu monopolise la parole et ne laisse place qu’à quatre interventions très courtes et sans effet. Celles de la mère Ubu qui tente de le calmer : « De grâce, modère-toi, Père Ubu. », « Quelle basse férocité ! » et « Tu es trop féroce, Père Ubu. » ainsi que l’appel au secours des nobles : « Horreur ! à nous, peuple et soldats ! », Il ne s’agit en aucun cas d’un procès équitable puisque les magistrats présents ne remplissent pas leur office et que le greffier ne sert qu’à consigner les biens volés par Ubu.

La situation est inversée par rapport à l’oppression classique car les victimes de la tyrannie des rois sont plutôt des gens du peuple et non des nobles. Il est d’ailleurs cocasse que ces derniers demandent de l’aide au peuple absent et aux soldats aux ordres d’Ubu.

Le motif du jugement expéditif et arbitraire donné par Ubu : « J'ai l'honneur de vous annoncer que pour enrichir le royaume je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens. » est invalidé par la condamnation du quatrième noble qui affirme : « Je suis ruiné. ». De plus, Ubu dévoile très vite que loin de l’enrichissement du royaume, il agit pour son enrichissement personnel : « Eh ! je m'enrichis. Je vais faire lire MA liste de MES biens. » Les adjectifs possessifs en capitales insistent sur son appropriation des biens des nobles.


B) Un personnage grotesque

La désignation « père Ubu » est péjorative et ridicule pour un roi. Le terme « père » est familier et « Ubu » ressemble à « hurluberlu », personne étourdie, écervelée qui se comporte avec extravagance. Par homophonie, on entend « eut bu » ce qui s’accorde bien avec ses manières de goinfre et d’ivrogne. Son nom le disqualifie d’emblée en tant que souverain.

Le discours d’Ubu est marqué par l’excès, l’exagération. On note un comique de répétition du complément de nom « à Nobles » : « la caisse à Nobles et le crochet à Nobles et le couteau à Nobles et le bouquin à Nobles ! » Cela contribue à les déshumaniser et les assimiler soit à des animaux envoyés à l’abattoir (crochet et couteau), soit à des objets (caisse, livre).

L’utilisation de néologismes : « ils tomberont dans les sous-sols du Pince-Porc et de la Chambre-à-Sous » donne à l’exécution cruelle des nobles un aspect risible et donc dérisoire.

Ainsi, malgré la cruauté de ce jugement expéditif et injuste, les propos d’Ubu sont trop exagérés et incohérents pour entraîner la terreur tragique. Le grotesque et l’absurdité en font une farce « féroce » selon les mots mêmes de la mère Ubu. Cette scène a donc une tout autre fonction..


II) Critique du despotisme qui va jusqu’au délire tyrannique


A) Une parodie de procès

Ubu ne respecte pas la séparation des pouvoirs car il prend la place des magistrats qui deviennent des figurants avant d’être éliminés à leur tour.

La sentence précède la comparution des « coupables » : « je vais faire périr tous les Nobles et prendre leurs biens. » Dès lors, l’interrogatoire n’est qu’un prétexte à étaler l’injustice et la rapacité d’Ubu.

La complaisance dans la description des tortures à venir «  je les passerai dans la trappe [...] on les décervellera » accentue le sadisme du personnage. Cependant, on remarque l’ambiguïté des propos qui sont utilisés au sens propre. Au sens figuré « passer à la trappe » est synonyme de disparition soudaine, d'oubli ou de mise à l'écart d'une personne ou d'une chose, de façon délibérée. « Décerveler » signifie au figuré, priver de ses facultés intellectuelles, ce qui rapproche ce terme de l’endoctrinement ou lavage de cerveau.

La cruauté d’Ubu lui fait oublier son motif premier qui est de s’emparer des biens des nobles puisqu’il condamne un noble ruiné et commet le délit de faciès : « Troisième Noble, qui es-tu ? tu as une sale tête. »

Tout cela caricature un pouvoir arbitraire où tous les motifs sont bons pour mettre à mort sans examen.


B) Dénonciation d’un roi fantoche

Sous l’aspect excessif et grotesque, on observe un processus totalitaire qui a pour caractéristique la bêtise. Les nombreux impératifs : « Apportez, faites avancer, amenez, passez les Nobles dans la trappe, dépêchez-vous plus vite »  précipitent l’action et la rendent irrévocable.

La juxtaposition de formules « officielles » comme : « J'ai l'honneur de vous annoncer » avec des expressions grossières comme « Répondras-tu, bouffre ? » dénote un personnage de basse extraction qui ne possède pas les codes de langage et est indigne de la fonction de roi.

On note la passivité des victimes et des témoins qui ne se révoltent pas ainsi que l’ironie tragi-comique de la vanité des nobles qui déclinent leurs titres et possessions, se jetant ainsi dans la gueule du loup, car il s’agit bien d’un procès de classe sociale mais pas pour la bonne cause, Ubu ne voulant les dépouiller que pour son propre compte et non par souci d’équité dans la répartition des richesses.

Nul n’échappera donc à la férocité vénale d’Ubu pris d’un délire sans borne de toute puissance et de prédation.


La pièce Ubu roi fut d’abord un spectacle de marionnettes et on retrouve dans cette scène les conventions du genre avec les exagérations, le mélange de niveaux de langue, les coups portés à des notables par un personnage issu du peuple comme dans Guignol. Cependant, au-delà du registre grotesque et absurde, le spectateur sent bien qu’il assiste à une dénonciation d’une dictature ignoble avec la complicité passive des témoins. Il découvre jusqu’où peut aller la folie meurtrière d’un homme et sa soif de pouvoir et d’argent. En ce sens, Jarry semble un visionnaire des horreurs à venir au XXème siècle avec les dictatures de droite et de gauche. Plus tard Le Procès de Kafka montrera la torture mentale d’être accusé sans en connaître le motif et dans Le roi se meurt de Ionesco, on découvrira que même les tyrans finissent par mourir.

samedi 27 novembre 2021

Le fils ingrat de Jacob et Wilhelm Grimm et la version longue française

LE FILS INGRAT. 

 Un jour, un homme était assis devant sa porte avec sa femme ; ils avaient devant eux un poulet rôti dont ils s’apprêtaient à se régaler. L’homme vit venir de loin son vieux père ; aussitôt il se hâta de cacher le plat pour n’avoir pas à en donner au vieillard. Celui-ci but seulement un coup et s’en retourna. A ce moment, le fils alla chercher le plat pour le remettre sur la table ; mais le poulet rôti s’était changé en un gros crapaud qui lui sauta au visage et s’y attacha pour toujours. Quand on essayait de l’enlever, l’horrible bête lançait sur les gens un regard venimeux, comme si elle allait se jeter dessus, si bien que personne n’osait en approcher. Le fils ingrat était condamné à la nourrir, sans quoi elle lui aurait dévoré la tête ; et il passa le reste de ses jours à errer misérablement sur la terre. 

Jacob et Wilhelm GrimmTraduction par Frédéric Baudry. Contes choisis des frères Grimm, L. Hachette, 1864 

 

Ce conte sur l'ingratitude du fils fait partie de la littérature orale, c'est en quelque sorte une suite et une variante de la parabole du fils prodigue Luc 15, 11-32.

 


 Retour du fils prodigue, par Pompeo Batoni.

 
Le fils ingrat.



Il y avait une fois deux personnes riches, mari et femme, qui n’avaient qu’un enfant, un fils, nommé Gwilherm. Comme il arrive souvent en pareil cas, c’était un véritable enfant gâté, à qui on ne refusait jamais rien. Il aimait le plaisir et la dépense, et était impatient de voir ses parents lui céder leurs biens et se réserver seulement une petite pension viagère. Tous les jours, il les importunait à ce sujet, leur représentant qu’ils vivraient plus heureux, quand ils n’auraient plus à s’occuper de rien, si bien qu’ils finirent par lui faire donation de tout ce qu’ils possédaient, moyennant une pension viagère, qu’il devait leur payer à termes convenus. Ils se retirèrent dans une vieille maison, au fond de la cour, pendant que leur fils occupait avec sa femme une belle maison neuve, bien meublée et parée.

Gwilherm menait joyeuse vie, et c’était continuellement chez lui festins, parties de plaisir et voyages. Il s’occupait peu de ses champs, de son bétail et de ses nombreux domestiques. Aussi, ces derniers faisaient-ils à peu près tout ce qu’ils voulaient. Comme bien vous pensez, les chevaux, les bœufs et les vaches étaient mal soignés, les champs négligés, et les moissons de plus en plus mauvaises tous les ans ; enfin, tout allait on ne peut plus mal. Voilà !...

Le père et la mère de Gwilherm, voyant cela, lui en firent souvent des représentations, au commencement, et voulurent s’occuper de mettre quelque ordre dans son ménage ; mais cela ne lui plaisait pas, et il finit par leur dire tout net de ne pas se mêler de ses affaires et de rester chez eux. Ils en éprouvèrent beaucoup de peine, et ils étaient malheureux de voir leur fils marcher si rapidement à sa ruine, sans qu’ils y pussent rien faire.

Gwilherm était presque toujours absent de chez lui, en voyage, en partie de plaisir, et sa femme comme lui. Ses rentes ne lui suffisaient déjà plus, et il vendait de temps en temps un bois, un moulin, une ferme, et son bien diminuait ainsi rapidement. Son père et sa mère ne reçurent bientôt plus leur pension régulièrement. Ils ne s'en plaignaient pourtant pas, et ils vivaient le plus économiquement possible. Mais l'argent vint à leur manquer complètement, et, comme ils exposaient leur situation à leur fils :

— Et qu'avez-vous besoin d'argent ? leur répondit-il ; désormais vous recevrez votre nourriture de ma maison, et une servante vous portera tous les jours ce dont vous aurez besoin ; vous n'aurez, par conséquent, aucune dépense à faire.

Les pauvres gens soupirèrent et se résignèrent, sans oser faire aucune observation. Mais ils avaient le cœur gros, et, à partir de ce jour-là, ils n'allèrent plus que rarement chez leur fils, où ils n'étaient pas vus avec plaisir. Bien !

A quelques jours de là, Gwilherm donna un grand repas, auquel il invita tous ses amis et compagnons de plaisirs, ainsi que les plus riches du pays ; mais il ne songea point à son père et à sa mère. Bien plus, on oublia de leur porter à manger ce jour-là. Ils voyaient de chez eux les invités, en tenue de gala, entendaient les rires et es joyeux propos des convives, et le parfum des mets arrivait même jusqu'à eux ; mais ils avaient beau attendre, personne ne venait leur rien apporter. Voyant cela, le père se rendit enfin à la maison de son fils, et, l’ayant rencontré dans un corridor, il lui expliqua pourquoi il était venu. Gwilherm lui répondit, d’un air affairé et mécontent :

— On n’a pas le temps de s’occuper de vous en ce moment ; retournez dans votre maison ; on vous portera quelque chose quand on aura le temps.

Et il s’en alla là-dessus.

Le pauvre vieillard resta un moment immobile et muet d’étonnement et de douleur, puis il retourna chez lui, triste et le cœur navré, et raconta à sa femme comment il avait été reçu par leur fils. Ils passèrent le reste du jour à pleurer. La nuit vint, sans qu’on eût songé à eux, et ils ne mangèrent point ce jour-là. Bien !

Cependant, une scène terrible se passait dans la salle du festin, et Dieu vengeait le père et la mère de l’ingratitude et de la dureté de cœur de leur fils. Celui-ci était à table avec ses invités ; tous les convives étaient gais, et riaient et causaient bruyamment. Comme il se préparait à découper un canard rôti sur le plat, le canard se changea soudain en un énorme crapaud, qui lui sauta au visage et s’y cramponna fortement. L’animal était horrible à voir, gonflé et humide de venin, la gueule grande ouverte, et les yeux rouges et brillants comme la braise. Tous les convives, saisis d'épouvante et d'horreur, se levèrent précipitamment de table et s'enfuirent. Gwilherm poussait des cris affreux et appelait ses amis à son secours ; mais tous s'éloignaient de lui avec horreur. Quand il essayait de se débarrasser avec ses mains du monstre hideux, il se mettait tout le visage en sang et souffrait horriblement. Alors, resté seul, il rentra en lui-même et se dit :

— Ceci est une punition de Dieu, pour la dureté avec laquelle j'ai traité mon père et ma mère. Dans ma maison, il y a un grand repas, et, à quelques pas d'ici, ils souffrent de la faim. J'ai bien mérité ce qui m'arrive !...

Il alla trouver le curé de sa paroisse, ayant toujours le crapaud collé sur son visage, et se confessa à lui. Le prêtre fit son possible pour exorciser le démon (car ce crapaud était un démon) et le forcer de lâcher prise ; mais ce fut en vain. Quand il récitait des prières et des oraisons, et aspergeait le monstre d'eau bénite, il se gonflait, ouvrait une gueule énorme et faisait souffrir horriblement sa victime, qui poussait des cris effrayants. Voyant cela, le prêtre dit à Gwilherm :

— Il vous faudra aller jusqu'à notre Saint-Père le pape, à Rome, car lui seul peut vous délivrer de ce démon.

Gwilherm prit alors la route de Rome, ayant toujours l’horrible bête collée sur sa figure. Partout où il passait, il excitait l’horreur et la frayeur de ceux qui le voyaient, et l’on s’éloignait de lui, et ce n’est qu’à grand’peine et à force d’argent qu’il pouvait se procurer nourriture et logement.

Arrivé à Rome, après beaucoup de mal, il alla immédiatement se jeter aux pieds du Saint-Père et lui fit sa confession. Le Pape l’écouta attentivement, puis il lui parla de la sorte :

— C’est pour vous punir de votre conduite envers votre père et votre mère que Dieu a permis ceci. Voici la pénitence que je vous propose, et si vous avez assez de courage pour l’accomplir, j’espère qu’il vous pardonnera et qu’il vous délivrera de ce démon qui, dans le cas contraire, ne vous quittera jamais et vous suivra jusque dans l’enfer, où il vous tourmentera encore. Écoutez-moi donc, mon fils : vous retournerez à présent auprès de votre père et de votre mère, pour vous jeter à leurs pieds et implorer leur pardon. Vous voyagerez toujours à pied et sans argent, en demandant l’aumône, et sans jamais rien manger que ce que vous devrez à la charité publique. Avant de pouvoir obtenir le pardon de Dieu, il faut que vous ayez celui de votre père et de votre mère. Allez, à présent, mon fils, et que Dieu vous assiste.

Gwilherm se releva alors, un peu consolé, et, avant de quitter Rome, il distribua tout son argent aux pauvres, puis il se remit en route vers son pays. Tous ceux qui le voyaient sur leur passage, avec son horrible bête sur la figure, s’éloignaient de lui avec frayeur, et, comme il n’avait plus d’argent, personne ne voulait lui donner l’hospitalité, ni à manger, et il couchait à la belle étoile et ne vivait que d’herbes, de racines et de quelques fruits sauvages qu’il trouvait dans les campagnes et dans les bois.

Enfin, après des privations et des souffrances inouïes, il arriva dans son pays, les vêtements en lambeaux, la barbe et les cheveux longs et incultes, maigre et décharné, comme un mort sorti de sa tombe au cimetière. Il alla se jeter aux pieds de son père et de sa mère, et les pria de lui pardonner. Les deux vieillards le reconnurent, malgré tout, et le pressèrent sur leur cœur, sans faire attention au crapaud. Alors l’horrible bête se détacha de sa figure, sauta à terre et disparut dans un trou de muraille.

Gwilherm, ses parents et sa femme vécurent ensuite ensemble, dans une union parfaite, et la richesse revint aussi avec l’ordre et l’amour filial.


(Conté par une fileuse de Pluzunet, Côtes-du-Nord,
nommée Anna Luër, 1872.)

Ce conte a été également recueilli en Allemagne par les frères Grimm.

 

 

dimanche 31 octobre 2021

"Toi mon enfant" et "Je vole" : chansons de Mike Brant et Michel Sardou

Quand les enfants quittent le nid familial

 


  
Toi, mon enfant
 
Toi mon enfant, tu vas grandir
Loin de chez nous tu vas partir
Ton au revoir les larmes aux yeux
Ça voudra dire sans doute adieu
Ne dis pas non, toi mon petit
Tu vas partir pour faire ta vie
Chercher l'amour et le trouver
Tu vas sûrement nous oublier
 
Oh non mon père ne dis pas ça
Je vais écrire tu verras
Au bout du monde, où que je sois
Je ne vous oublierai pas
Quoi qu'il arrive
 
Oh mon enfant, ta mère et moi
Nous vieillirons très vite sans toi
Nous revivrons mais en silence
Tous les printemps de ton enfance
Tu comprendras ce que je dis
Beaucoup plus tard, toi mon petit
Quand les enfants que tu auras
Te quitteront tu comprendras
 
Oh non mon père ne dis pas ça
Je partirai mais crois-moi
Toute ma vie, ma mère et toi
Je ne vous oublierai pas
Quoi qu'il arrive
 
Toi mon enfant, tu vas grandir
Loin de chez nous, tu vas partir
Ton au revoir les larmes aux yeux
Ça voudra dire sans doute adieu
Mais si plus tard, on ne sait pas
Un jour pour toi, plus rien ne va
Si tu es seul écoute-moi
Reviens chez nous, reviens chez toi
Reviens chez nous, reviens chez toi
 
Paroliers : Michel Jourdan / Mike Brant
1974 : Toi, mon enfant (face B de Viens ce soir)
 
 
 

 
Je vole
 
Mes chers parents, je pars
Je vous aime mais je pars
Vous n’aurez plus d’enfant, ce soir
Je n’ m’enfuis pas, je vole
Comprenez bien : je vole
Sans fumée, sans alcool
Je vole
Je vole


C’est jeudi, il est cinq heures cinq
J’ai bouclé une petite valise
Et je traverse doucement
L’appartement endormi
J’ouvre la porte d’entrée
En retenant mon souffle
Et je marche sur la pointe des pieds
Comme les soirs où je rentrais après minuit
Pour ne pas qu’ils se réveillent

Hier soir à table
J’ai bien cru que ma mère
Se doutait de quelque chose

Elle m’a demandé si j’étais malade
Et pourquoi j’étais si pâle
J’ai dit que j’étais très bien,
Tout à fait clair
Je pense qu’elle a fait
Semblant de me croire
Et mon père a souri

En passant à côté de sa voiture,
J’ai ressenti comme un drôle de coup
Je pensais que ce serait plus dur
Et plus grisant, un peu comme une aventure
En moins déchirant

Oh, surtout ne pas se retourner
S’éloigner un peu plus
Il y a la gare et après la gare,
Il y a l’Atlantique et après l’Atlantique...

C’est bizarre, cette espèce de cage
Qui me bloque la poitrine
Ça m’empêche presque de respirer
Je me demande si tout à l’heure
Mes parents se douteront
Que je suis en train de pleurer
Oh, surtout ne pas se retourner
Ni des yeux ni de la tête
Ne pas regarder derrière
Seulement voir ce que je me suis promis
Et pourquoi, et où, et comment

Il est sept heures moins cinq
Je me suis rendormi
Dans ce train qui s’éloigne un peu plus
Oh, surtout ne plus se retourner
Jamais

Mes chers parents, je pars
Je vous aime mais je pars
Vous n’aurez plus d’enfant, ce soir
Je n’ m’enfuis pas, je vole
Comprenez bien : je vole
Sans fumée, sans alcool
Je vole
Je vol.

Je n’ m’enfuis pas, je vole
Lala lala...
Je n’ m’enfuis pas, je vole
Comprenez bien : je vole  

Paroliers : Michel Sardou / Pierre Billon

1978 Album : Je vole