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dimanche 31 janvier 2021

Commentaire du tableau de Gauguin : D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Ou allons-nous ?

 

Commentaire iconographique sur le tableau

D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

de Paul Gauguin, peint en 1897

 

 

 

Gauguin a subi une influence des peintres impressionnistes Monet ou encore Manet, mais aussi celle de Van Gogh et a ouvert la voie du fauvisme. Vers la fin de sa vie, il séjourne en Polynésie française ; d’abord à Tahiti puis aux Marquises où il a fini sa vie. Dans le tableau testament D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897), sorte d’immense fresque, il représente une scène dans la nature tahitienne avec personnages. On peut se demander en quoi cette peinture illustre l’Homme naturel et l’exotisme, tout en proposant une réflexion contenue dans le titre du tableau. Après avoir examiné la couleur locale, on décryptera les aspects symboliques du tableau.

 

 

I) Un univers exotique et naturel

 

A. L’harmonie de la nature

 

·  Il s’agit d’un plan paysage d’ensemble représentant des Tahitiens se reposant au bord de la mer, près d’une rivière dans un sous-bois. La légère plongée écrase les personnages assis au premier plan, mais cet effet est compensé par la verticalité d’un homme qui occupe toute la hauteur du tableau au 2/3 droit du tableau. Cette composition met en évidence des lignes de forces opposées : horizontalité/verticalité, comme si les éléments du tableau (paysage et personnages) étaient reliés.

 

·  C’est une scène paisible où se côtoient humains et animaux au repos au sein de la nature.

 

·  Les personnages du premier plan sont majoritairement dévêtus, offrant un tableau naturel de la nudité primitive. Les couleurs chaudes (jaune, ocre) sont concentrées sur les corps ce qui donne un effet de vitalité. La source de lumière est naturelle (soleil) et est en hors-champ à gauche (côté de la mort), qui illumine le personnage de la vieille femme ainsi que tous ceux du premier plan, comme si la lumière éclairait la fin de la vie et se diffusait sur les vivants.

 

B. Des dissonances dans le paradis

 

·  Les personnages semblent posés les uns à côté des autres. Aucun ne communique par le regard, seules les deux jeunes femmes au premier plan, à droite, regardent en direction du spectateur du tableau, ainsi que la vieille femme à gauche. Cependant, deux femmes portant de longues robes au second plan, à droite, sont serrées et unies (sorte de fantômes, d’esprits errant dans la pénombre). On repère aussi majoritairement des femmes ; le seul homme est le cueilleur de fruit qui occupe toute la hauteur du tableau. Cela donne un déséquilibre dans la représentation de l’humanité et une absence de connivence entre les personnages.

 

·  Si les corps sont bien peints de couleurs chaudes, néanmoins, l’excès de jaune-verdâtre fait penser à des couleurs cadavériques. D’autant plus que toute la scène est enserrée dans une sorte de bulle bleue, limitée aux coins supérieurs par du jaune vif où figurent à gauche le titre du tableau et à droite la signature du peintre. Cette bulle froide surprend dans un paysage polynésien. Elle peut être interprétée comme la caverne ou la matrice originelle de la terre-mère.

 

·  Le sol est fait de rochers sans la moindre herbe, et les arbres n’ont pas de feuilles. Pas de lignes de fuite. L’horizon est bouché. La ligne d’horizon en haut à gauche est interrompue au  niveau des bras du cueilleur, d’où un univers clos où l’horizontalité l’emporte, malgré les quelques verticalités, avec une lecture inversée du sens du tableau (droite à gauche).

 

 

 II] Un tableau symbolique

 

A. Le paradis perdu ?

 

·  Le thème du jardin d’Eden est pourtant présent, mais inversé. C’est le cueilleur qui peut figurer Adam cueillant le fruit de la connaissance au lieu d’Eve. On peut le voir aussi comme le père nourricier du peuple tahitien à cause de la petite fille à ses pieds mangeant un fruit. Mais la posture du seul homme, bras levés, pagne autour des reins, ressemble étrangement au Christ crucifié (on retrouve le même homme dans L’homme à la hache).

 

 

Dans ce cas, Gauguin fusionne le mythe de la création avec celui de la rédemption.

 

·  La déesse au deuxième plan gauche du tableau fait la paire avec le cueilleur, sa couleur bleue et la position de ses mains, en opposition avec celle du cueilleur forme symboliquement une croix1. On peut donc dire que le tableau opère le syncrétisme entre une vision païenne et une vision chrétienne plus masculine.

1 alchimie (noir à rouge à blanc) :           

et cycle des correspondances

(voir Rimbaud et Baudelaire)

 

 

 

·  Ce tableau se lit de droite à gauche, comme une lecture inversée du monde ; on peut donc penser que Gauguin veut montrer la réversibilité des mythes et des croyances.

 

B. Une réflexion sur la vie

 

·  Le tableau a un titre évocateur, et au premier plan, de droite à gauche, se déroulent des scènes qui illustrent les étapes de la vie, de l’enfance à la vieillesse.

 

·  Bizarrement, la scène de nativité à droite est peu conventionnelle. Le bébé est couché devant le dos d’une femme, la tête tournée sur la droite (lieu de son origine), comme à l’abandon. Un chien noir le veille, sorte de cerbère des enfers.

 

·  La vieille femme à gauche ressemble à un fœtus. Devant elle, un oiseau blanc (le même que dans Vairumati, autre tableau de Gauguin) qui piétine un lézard et qui, selon Gauguin, représente les mots inutiles.

 

 
 

La couleur blanche semble être une lumière spirituelle (la mort est une naissance). Par ailleurs, les personnages debout du second plan qui partent de la déesse et se dirigent  vers la droite du tableau (la naissance) figurent le cycle de l’éternel retour (voir le schéma ci-dessus dans le § sur le paradis perdu).

 

Gauguin a peint ici un paradis exotique paradoxal. Ce tableau peut être compris comme une célébration de l’Homme naturel et de l’harmonie de la nature. Certains aspects plus graves en montrent les limites. Il s’agit plutôt de revisiter mythes et croyances pour montrer le cycle de la vie. Ainsi, nous avons ici les aspects joyeux et douloureux de l’existence, et le côté mystérieux, parfois inquiétant du devenir spirituel de l’humanité. Gauguin a peint ce tableau dans une sorte de fièvre, sur une toile brute, et a tenté de se suicider à l’arsenic quand il l’eut achevé. Il a voulu en faire la synthèse de son art, d’où la reprise de certains thèmes de ses tableaux antérieurs et proposer une vision spirituelle de l’existence humaine, de son origine à sa finalité. En littérature, à la même époque, les écrivains vont créer le mouvement symboliste où il s’agit de déchiffrer les mystères et d’atteindre une réalité supérieure.

 

Cours de Céline Roumégoux,

d’après les notes de cours de Mouâdh (classe de 1S5)