Plan détaillé de commentaire
Voltaire,
Femmes, soyez soumises à vos maris , in Mélanges, pamphlets et œuvres
polémiques, 1766
"On lui fit lire Montaigne : elle
fut charmée d’un homme qui faisait conversation avec elle, et qui doutait de
tout. On lui donna ensuite les grands hommes de Plutarque : elle demanda
pourquoi il n’avait pas écrit l’histoire des grandes femmes.
L’abbé
de Châteauneuf la rencontra un jour toute rouge de colère. Qu’avez-vous donc,
madame ? lui dit-il. J’ai ouvert par hasard, répondit-elle, un livre qui
traînait dans mon cabinet ; c’est, je crois, quelque recueil de
lettres ; j’y ai vu ces paroles : Femmes, soyez soumises à
vos maris ; j’ai jeté le livre.
- Comment,
madame ! savez-vous bien que ce sont les Epîtres de saint Paul ?
Il
ne m’importe de qui elles sont : l’auteur est très impoli. Jamais M. le
maréchal ne m’a écrit dans ce style ; je suis persuadée que votre saint
Paul était un homme très difficile à vivre : était-il marié ?
- Oui,
madame.
- Il
fallait que sa femme fût une bien bonne créature : si j’avais été la femme
d’un pareil homme, je lui aurais fait voir du pays. Soyez soumises à
vos maris ! Encore s’il s’était contenté de dire, Soyez
douces, complaisantes, attentives, économes, je dirais : Voilà un
homme qui sait vivre ; et pourquoi soumises, s’il vous plaît ? Quand
j’épousai M. de Grancey, nous nous promîmes d’être fidèles : je n’ai pas
trop gardé ma parole, ni lui la sienne ; mais ni lui ni moi ne promîmes
d’obéir. Sommes-nous donc des esclaves ? N’est-ce pas assez qu’un homme,
après m’avoir épousée, ait le droit de me donner une maladie de neuf mois, qui
quelquefois est mortelle ? N’est-ce pas assez que je mette au jour, avec
de très grandes douleurs, un enfant qui pourra me plaider quand il sera
majeur ? Ne suffit-il pas que je sois sujette tous les mois à des
incommodités très désagréables pour une femme de qualité, et que, pour comble,
la suppression d’une de ces douze maladies par an soit capable de me donner la
mort, sans qu’on vienne me dire encore, Obéissez ?
Certainement
la nature ne l’a pas dit ; elle nous a fait des organes différents de ceux
des hommes ; mais en nous rendant nécessaires les uns aux autres, elle n’a
pas prétendu que l’union formât un esclavage. Je me souviens bien que Molière a
dit :
Du côté de
la barbe est la toute puissance
Mais voilà une plaisante raison pour que
j’aie un maître ! Quoi ! parce qu’un homme a le menton couvert d’un
vilain poil rude, qu’il est obligé de tondre de fort près, et que mon menton
est né rasé, il faudra que je lui obéisse très humblement ? Je sais bien
qu’en général les hommes ont les muscles plus forts que les nôtres, et qu’ils
peuvent donner un coup de poing mieux appliqué : j’ai bien peur que ce ne
soit là l’origine de leur supériorité.
Ils
prétendent avoir aussi la tête mieux organisée, et, en conséquence, ils se
vantent d’être plus capables de gouverner ; mais je leur montrerai des
reines qui valent bien des rois. On me parlait ces jours passés d’une princesse
allemande qui se lève à cinq heures du matin pour travailler à rendre ses
sujets heureux, qui dirige toutes les affaires, répond à toutes les lettres,
encourage tous les arts, et qui répand autant de bienfaits qu’elle a de
lumières. Son courage égale ses connaissances ; aussi n’a-t-elle pas été
élevée dans un couvent par des imbéciles qui nous apprennent ce qu’il faut
ignorer, et qui nous laissent ignorer ce qu’il faut apprendre. Pour moi, si
j’avais un Etat à gouverner, je me sens capable d’oser suivre ce modèle."
Plan possible du
commentaire
I) Une conversation mondaine entre une
aristocrate des Lumières et un abbé
A) Une femme libérée (la maréchale de
(Elle a des amants comme son mari a des
maîtresses, son mari très libéral ne lui impose pas l’obéissance, elle est
désinvolte au sujet des écrits religieux et de saint Paul en s’adressant
pourtant à un abbé)
B) Un discours plein d’esprit
(Elle est spontanée, donne des exemples
personnels, utilise des exclamations et des questions oratoires et montre son
indignation de manière ironique)
II) Un réquisitoire contre l’oppression
masculine et religieuse sur les femmes
A) Une attaque contre la religion et
les couvents
(Elle
juge saint Paul comme s’il était son contemporain, critique l’éducation donnée
aux filles dans les couvents)
B) Réfutation des arguments masculins
pour dominer les femmes (supériorité prétendue du corps et de
l’intelligence)
(S’appuie sur « L’école des
femmes » de Molière pour se moquer de la prétendue supériorité virile)
III) Un plaidoyer pour l’égalité entre
hommes et femmes
A) Ce que la nature fait déjà subir
aux femmes (maternités dangereuses, menstruations pénibles, enfant ingrat)
et ce qu’elle n’impose pas : l’obéissance de la femme à l’homme
B) L’exemple de la princesse
allemande (Catherine II) : la femme idéale et l’idéal des Lumières