Translate

lundi 26 septembre 2016

Lettre d'Héloïse à Abélard

"Jamais je n'ai cherché en toi que toi‑même" Héloïse.




Vues du tombeau où les dépouilles des amants sont réunies au cimetière du Père-Lachaise à Paris.



Au début du XIIe siècle, Abelard et Héloïse vont connaître une folle passion. Il a 38 ans, elle en a 16. Il est son maître, elle est son élève. Leur liaison fait scandale. Ils seront cruellement punis et finiront leur vie séparés, chacun dans un couvent. Mais il reste leur correspondance où la passion persistante se devine sous les propos pleins de dévotion et de morale. Surtout chez Héloïse... 

Voici un extrait d'une de ses lettres adressée depuis son couvent à Abélard. 

"Tu sais, mon bien‑aimé, et tous le savent, combien j'ai perdu en toi ; tu sais dans quelles terribles circonstances l'indignité d'une trahison publique m'arracha au siècle en même temps que toi ; et je souffre incomparablement plus de la manière dont je t'ai perdu que de ta perte même. Plus grand est l'objet de la douleur, plus grands doivent être les remèdes de la consolation. Toi seul, et non un autre, toi seul, qui seul es la cause de ma douleur, m'apporteras la grâce de la consolation. Toi seul, qui m’as contristée, pourras me rendre la joie, ou du moins soulager ma peine. Toi seul me le dois, car aveuglément j'ai accompli toutes tes volontés, au point que j'eus, ne pouvant me décider à t'opposer la moindre résistance, le courage de me perdre moi‑même, sur ton ordre. 

Bien plus, mon amour, par un effet incroyable, s'est tourné en tel délire qu'il s'enleva, sans espoir de le recouvrer jamais, à lui‑même l’unique objet de son désir, le jour où pour t'obéir je pris l'habit et acceptai de changer de cœur. Je te prouvai ainsi que tu règnes en seul maître sur mon âme comme sur mon corps.

Dieu le sait, jamais je n'ai cherché en toi que toi‑même. C'est toi seul que je désirais, non ce qui t'appartenait ou ce que tu représentes. Je n'attendais ni mariage, ni avantages matériels, ne songeais ni à mon plaisir ni à mes volontés, mais je n'ai cherché, tu le sais bien, qu'à satisfaire les tiennes. Le nom d'épouse paraît plus sacré et plus fort ; pourtant celui d'amie m'a toujours été plus doux. J'aurais aimé, permets-moi de le dire, celui de concubine et de fille de joie, tant il me semblait qu'en m'humiliant davantage j’augmentais mes titres à ta reconnaissance et nuisais moins à la gloire de ton génie."