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vendredi 14 février 2014

Notes de lecture : Les solidarités mystérieuses – Pascal Quignard – NRF Gallimard 2011







Certains livres ont une âme, celui-ci en possède une indéniablement. On lit ce roman au rythme de la marche inlassable de Claire sur la lande, au rythme de ses attentes de Simon, de ses surveillances aux jumelles, tapie dans les anfractuosités des rochers des falaises.
         Roman d’une passion d’adolescente, de jeune femme, de femme trahie par son ami-amant. Roman d’une femme qui s’enferme dans une vie en marge de la vie de l’autre, celui qui a fait sa vie avec une autre, a un petit garçon handicapé, une femme à la jalousie maladive, destructrice, meurtrière.
         Claire a fait sa vie, a eu une fille, Juliette, a divorcé plus tard, est revenue à Saint-Enogat, là où elle habitait avec sa mère puis ses parents d’adoption, les parents de Simon, son amour d’adolescence. Elle a retrouvé son professeur de piano, Madame Ladon, vieille dame veuve sans enfant qui va en faire sa légataire. Elle lui lègue sa vieille maison nichée au creux du sommet de la falaise. Là, elle trouvera un havre de paix à la mesure de sa solitude jusqu’au jour où sa ferme va être incendiée. Incendie criminel ? Qui peut en vouloir à Claire ? Simon soupçonne son épouse d’être l’incendiaire mais refuse de la dénoncer. Il couvrira tous les frais de reconstruction de la maison de Claire mais ils ne devront plus se revoir. Cette nouvelle séparation  aura des répercussions sur ces deux êtres qui ne peuvent vivre privés de contacts. Août 2010, on retrouve sur la mer le canot vide de Simon et peu de temps après, un corps échoué sur la plage, celui de Simon Quelen, le maire de la Clarté.


         Livre aux multiples voix comme celle de Paul, frère de Claire qui donne sa version de l’état d’esprit de sa sœur après la mort de Simon, de sa lente désagrégation, de son détachement des choses du monde. Intéressons-nous au titre : Les solidarités mystérieuses. Le pluriel évoque une multiplicité de solidarités : celle de Claire, enfant orpheline et de Mme Ladon, ce vieux professeur de musique qui prolongera sa vie dans le legs de sa maison et de ses biens à Claire. Solidarité de Paul avec sa sœur Claire lorsqu’il part à sa recherche après sa disparition et n’aura de cesse de lui redonner le goût de vivre. Solidarité mystérieuse qui unit Claire et Simon pendant toutes ces années alors qu’ils sont mariés chacun de leur côté mais ne cessent de s’aimer en secret. Solidarité dans cette mort mystérieuse de Simon que Claire prétend avoir suivie de loin, du haut du promontoire rocheux d’où elle le surveillait quotidiennement sur la mer. Solidarité mystérieuse également, celle de Paul et de Jean, les deux amants que l’on croise dans le roman. Jean, le prêtre  acceptera de donner la bénédiction lors de l’enterrement de Simon.
         Ce roman nous laisse une odeur de lande, de bruyère, de mer, de ressac, de cris d’oiseaux qui tournent sur les falaises, de vent qui siffle à nos oreilles. Les pages bruissent et font écho au vent qui cingle les marches taillées dans la falaise à pic qui descend vers la mer, là où se perd Simon dans l’élément liquide. Un beau roman en vérité.



Quelques passages relevés dans le livre :
(p. 195) «  Les femmes n’attendent même pas des hommes des maisons où s’ennuyer auprès d’eux et y vieillir. Les femmes ont besoin des hommes afin qu’ils les consolent de quelque chose d’inexplicable. »
(p.49) Propos de la vieille dame après son veuvage et sur sa solitude :
« J’aime énormément être seule. J’aime infiniment ces plages de silence où je ne suis qu’à moi. C’est incroyable quand j’y songe : j’ai aussitôt adoré être veuve. Je n’avais pas prévu une seconde que j’apprécierai à ce point la solitude. J’ai assisté à cela comme une spectatrice. A mon grand étonnement, mon deuil s’est transformé en grandes vacances… »
         Vous ne resterez pas insensible à la lecture de ce roman, même si vous n’entrez pas en sympathie avec tous les personnages. Bonne lecture.

                                                                     Josseline G.G.(écrit le 23/08/2013)