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vendredi 21 juin 2013

Corrigé EAF 2013 série technologique commentaire La Bonne Soirée de Théophile Gautier

SÉRIES TECHNOLOGIQUES

 Objet d'étude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.
Textes :

Texte A : Théophile Gautier, Émaux et Camées, « La Bonne Soirée », 1872.
Texte B : Max Jacob, Le Cornet à dés, Deuxième partie, « Petit poème », 1917.
Texte C : Joë Bousquet, La Connaissance du Soir, « Pensefables et Dansemuses », « A cette ronde d’enfants… », 1947.
Texte D : Vincent Van Gogh, Lettres à son frère Théo, 1873-1890.

Commentaire :

Vous commenterez le texte A (Théophile Gautier) en vous aidant du parcours de lecture suivant :
- l’opposition des lieux décrits (éléments et personnages du décor, sensations et scènes évoquées)
- le recours à l’humour et à l’imagination poétique pour suggérer « La Bonne Soirée ».



Voir le texte ICI

« Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu » ainsi commence le poème de Charles Baudelaire intitulé La chambre double (1869) in Petits poèmes en prose.  Théophile Gautier,  « Le poète impeccable », à qui Baudelaire dédie Les Fleurs du mal a peut-être inspiré directement celui qui se présente comme son disciple avec son poème La Bonne Soirée du recueil Emaux et Camées dont l’édition définitive, après plusieurs parutions, date de 1872. Gautier, dans ce poème léger et délicat nous fait pénétrer dans son intimité et sa chambre à coucher aux tons pastel, comme celle de Baudelaire. On verra comment l’éloge de la chambre s’oppose au monde extérieur et on dégagera la critique humoristique des obligations mondaines.

I) L’éloge de la chambre

A) Un lieu chaleureux, confortable et sensuel

- La chaleur est évoquée à plusieurs reprises pour caractériser l’atmosphère du lieu : « devant son feu […] la chauffeuse […] angle de la cheminée […] au feu placés ».
- La douceur est suggérée par les couleurs pastel du « papier rose » du chapeau de lampe, le blanc du « globe laiteux » ou l’or du disque du pendule. « La chauffeuse capitonnée » assure  le confort du corps. On remarque que le lit, pourtant essentiel dans une chambre, n’est jamais évoqué, comme si la chambre était plus un lieu de vie tranquille que de sommeil.
-  La sensualité  et même l’érotisme sont fortement sollicités grâce à la catachrèse (les bras du fauteuil) qui conduit à la personnification : « La chauffeuse capitonnée vous tend les bras ». Cette chauffeuse parlante est comparée à une maîtresse possessive qui retient par ses charmes, connotés par « le globe laiteux » de la lampe, et qui ordonne au poète : « Tu resteras ! ». La fluidité du rythme des trois sizains  (2e, 3e et 4e) consacrés à la description de la chambre, comprenant chacun une seule phrase en enjambement, contribue à installer une ambiance douce et calme. Les vers quadrisyllabiques en 3e et 6e position de la strophe provoquent un léger déséquilibre par rapport aux octosyllabes, ce qui n’est pas sans mimer « le pendule qui balance ».

B) Un lieu protecteur et paisible

- L’évocation de la chambre est enchâssée au cœur du poème, comme dans un cocon protecteur. Le premier et dernier sizain du poème sont, eux, consacrés au monde extérieur, perçu comme hostile et dérangeant.
- Le désir de demeurer bien au chaud dans ce nid ou ce giron sensuel est exprimé par « Qu’il ferait bon garder la chambre » et « il faut sortir ! – quelle corvée ! ». L’ordre suggéré par la chauffeuse renforce ce souhait : «  Tu resteras ! ».
- Enfin, le vocabulaire du silence et du repos fait de ce lieu un havre de paix : « On n’entend rien dans le silence » et « Tout endormi ».

La chambre est ressentie comme une « maîtresse » qui rime « avec caresse » et qui prodigue chaleur, douceur et protection. Pourquoi, alors, la quitter ? Quelles sont donc ces obligations impliquées par « Il faut sortir ! » et ce regret marqué par le conditionnel « Qu’il ferait bon garder la chambre » ?


 d'après J. Béraud (1889)

II) La critique humoristique du monde extérieur

A) Le monde extérieur froid et agité

- Dans la première et dernière strophe du poème, qui concernent le dehors, le rythme est heurté et les phrases courtes et fortement ponctuées : «  Quel temps de chien ! – il pleut, il neige » et « Il faut sortir ! - quelle corvée ! ». Les sonorités sont également expressives avec des allitérations en [k] en [t] et [p] qui sont des occlusives qui font entendre dureté et fracas. Le ton est familier pourtant comme si le poète était indulgent.
- Le lexique des intempéries vient renforcer cette hostilité du monde extérieur avec la pluie, la neige et « les cochers transis sur leur siège » ou « le vent qui pleure et rôde ». La seule couleur est la couleur froide du « nez bleu » des cochers, détail pittoresque et amusant !
- Les modalisations de l’auteur sont négatives : « ce vilain soir de décembre » et vont de pair avec ses exclamations agacées. Pourtant, là encore, pas de rejet total puisque, lui semble-t-il, « Il faut sortir ! ».

B) La satire discrète et malicieuse des mondanités sociales

- La présence du poète est discrète. Seuls les adjectifs possessifs (« mon habit, mon gilet ») montrent qu’il s’agit bien de lui. Il utilise plus souvent des tournures d’énonciation impersonnelles (« il faut, il ferait bon ») ou des « on » et des « vous » de généralisation : « Et semble […] vous dire » ou « On n’entend rien ». Ce procédé favorise l’identification du lecteur avec ce personnage amoureux de sa chambre !
- L’humour se glisse dans la description de sa tenue vestimentaire prête à être mise et qui semble dotée de vie : « Mon habit noir […] les bras ballants » ou « Mon gilet bâille ». Si le poète hésite à sortir, ses habits, eux, semblent s’ennuyer à l’attendre. Ils sont pourtant dévalorisés par certaines de leurs caractéristiques : « Les brodequins à pointe étroite » ne semblent guère confortables et les « minces cravates » paraissent bien mesquines ! Quant aux « gants glacés » qui « s’allongent comme des mains plates », ils sont plutôt inquiétants et déshumanisés !
- Mais là où apparaît vraiment la satire sociale de ce « bal à l’ambassade anglaise » où le poète doit se rendre, c’est lorsqu’il est question de « prendre la file à l’arrivée Et suivre au pas Les coupés des beautés altières portant blasons sur leurs portières et leurs appas ». La métonymie « des beautés altières » au lieu de « femmes nobles » tend à les dévaloriser en tant que personnes. L’expression ambiguë «  portant blasons sur leurs portières et leurs appas »  prêtent à confusion. Faut-il associer « blasons » et « appas » en un zeugma ironique, ce qui signifierait que « les beautés altières » se penchent à la portière où sont dessinés leurs blasons pour faire admirer leurs charmes  et montrer leur illustre origine ? Faut-il plutôt considérer que « appas » est complément d’objet de « suivre au pas » ? Comme « appas » rime avec « pas » et que le froid d’un soir de décembre n’est pas favorable pour pavoiser à découvert, la deuxième hypothèse semble préférable ! En tout cas, le poète montre son agacement, si ce n’est son humiliation, à devoir attendre derrière les « coupés » aristocratiques, et leurs belles tentatrices !

Finalement, il n’ira pas ! Comme le poème est tronqué, on ne le saura pas … Gautier, dans ce charmant poème, tout de légèreté et de fantaisie, fait l’éloge de sa chambre et de ses charmes au moins aussi ensorcelants que ceux des belles du bal anglais. On assiste à un véritable tableau vivant et animé qui rend la chambre décrite, attirante et drôle. « La bonne soirée » du titre est donc bien celle que le poète va finalement passer seul au coin du feu à lire et à méditer un mot d’amour qu’il fera porter à celle à qui il a « posé un lapin » au bal, avec des violettes de Parme pour se faire pardonner et organiser un nouveau rendez-vous plus intime, sans doute … Drôle d’homme, tout de même qui préfère sa chambre à sa bien aimée !

Voir le poème intégral ICI

Pour le corrigé du commentaire des 1S et ES : portrait de madame Tim in Un roi sans divertissement de Giono voir ICI

Céline Roumégoux

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Corrigés EAF 2013 série technologique, les questions sur le thème de la chambre

SÉRIES TECHNOLOGIQUES

 Objet d'étude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.

Textes :

Texte A : Théophile Gautier, Émaux et Camées, « La Bonne Soirée », 1872.
Texte B : Max Jacob, Le Cornet à dés, Deuxième partie, « Petit poème », 1917.
Texte C : Joë Bousquet, La Connaissance du Soir, « Pensefables et Dansemuses », « A cette ronde d’enfants… », 1947.
Texte D : Vincent Van Gogh, Lettres à son frère Théo, 1873-1890.

Voir les textes ICI

I - Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez aux questions suivantes de façon organisée et synthétique. (6 points) :

1. Quel lieu intime est évoqué dans les documents A, B et C ? En quoi cette évocation est-elle poétique ? (3 points)

1) Les poètes du corpus, Théophile Gautier, Max Jacob et Joë Bousquet, dans leurs poèmes respectifs, La Bonne Soirée, Petit poème et A cette ronde d’enfants, s’inspirent tous d’un lieu familier intime : leur chambre. On verra en quoi ces évocations d’un lieu ordinaire et privé sont poétiques. D’abord, on montrera comment l’imagination transforme ces lieux, puis comment elle les magnifie.

Le recours aux images permet aux poètes de métamorphoser le réel banal en représentations fantasmées, ludiques ou symboliques.
Gautier personnifie « la chauffeuse capitonnée » en « maîtresse » qui « vous tend les bras » et semble dire : « Tu resteras ». La métaphore sensuelle est filée grâce au « globe laiteux » de la lampe, comparé à « un sein blanc voilé sous les guipures » du chapeau en « papier rose à découpures ». La chambre est clairement érotisée et « caresse » rime avec « maîtresse » !
Jacob retrouvait des lettres de l’alphabet dans les « passementeries » des rideaux et « les transformai[t] en dessins qu’ [il] imaginai[t] ». De même « les boules de pilastre » devenaient « des têtes de pantins ».
Jacob se souvient de sa chambre d’enfant et de son imagination ludique, alors que Gautier s’exprime au présent et décrit sa chambre de jeune homme avec ses fantasmes charnels et ses craintes d’avoir à affronter les femmes aristocrates à l’extérieur !

Quant à Bousquet, il ne mentionne aucun élément matériel et annonce que sa chambre  « Dans [s]on cœur était enclose ». Il n’apostrophe que « les chansons » et « les beaux jours », synonymes de bonheur perdu. Mais « cette ronde d’enfants », la courbe des beaux jours et la chambre enclose dans son cœur renvoient à la circularité, symboles de protection ou de perfection et à l’enfance. D’ailleurs, le verbe « grandir » associé au mot « chambre » peut montrer qu’un lieu peut faire progresser, surtout si, pour le poète,  il rappelle une ronde et des chansons, autres formes de la poésie. Donc, pour Bousquet, la chambre est assimilée au chant et à la danse et à la création poétique. Quand on sait que, paralysé à l’âge de vingt ans, suite à une blessure de guerre, il va passer le restant de sa vie cloîtré dans sa chambre, où il deviendra poète et réunira autour de lui artistes et écrivains, on comprend mieux la relation entre la chambre, l’enfance et l’écriture poétique !

Ces chambres sont également magnifiées. Gautier parle du « disque d’or » de la pendule, voit de la dentelle raffinée dans du papier découpé et la vie en rose et blanc dans ce giron douillet ! Jacob laisse vagabonder son imagination sur « la mousseline des rideaux » et signale « les fleurs ouvertes sculptées légèrement sur le bois ».

La beauté, la douceur, la féminité sont donc attachées à ces évocations, ainsi qu’une allusion à la forme ronde, évocatrice de la mère et de la femme. Pour Bousquet, c’est à la chanson et à la danse que la chambre est associée et aux sentiments dont le cœur est l’emblème. L’enfance et le jeu sont des thèmes présents chez Jacob et Bousquet. Ces poèmes aux formes brèves et, pour les poèmes versifiés, comme ceux de Gautier et Bousquet, aux vers courts (octosyllabes et quadrisyllabes chez Gautier, heptasyllabes chez Bousquet), « surréalisent » pourtant des lieux ordinaires, les transforment grâce à l’imagination et en font des lieux de légende personnelle. C’est l’un des pouvoirs de la poésie d’enchanter le réel.



La Chambre à coucher
Chambre à coucher de Van Gogh à Arles, 1888
Musée Van Gogh à Amsterdam

2. À quelles impressions, agréables ou désagréables, ce lieu est-il, selon vous, associé dans chacun des quatre documents ? (3 points).

2) Dans ces documents, la chambre est associée essentiellement à des impressions agréables parfois en contraste avec un espace extérieur perçu comme hostile. La chambre peut être aussi liée au temps de l’enfance et du bonheur.

Ce lieu intime est un véritable cocon protecteur et confortable, propice au repos et même à une forme de plaisir des sens. Gautier s’exclame : « Qu’il ferait bon garder la chambre ! », tandis que Van Gogh parle de « repos inébranlable ». Bousquet et Jacob l’associent au temps de l’enfance avec ses jeux et ses rondes.
Mais pour deux des artistes, c’est un lieu de création. Van Gogh en fait un tableau où « seulement la couleur doit ici faire la chose et en donnant par sa simplification un style plus grand aux choses ». Bousquet donne à la chambre un pouvoir de transformation et de connaissance de soi : « Possédant ce que je suis Je saurai sur toutes choses Que la chambre où je grandis dans mon cœur était enclose ». Les verbes « savoir » au futur simple et « être » au présent, ainsi que le verbe « grandir » qui peut aussi bien être conjugué au présent qu’au passé simple, indiquent le rôle de construction de l’être du poète en rapport avec ce lieu. C’est aussi pour lui un lieu de création poétique.

Ainsi la chambre préserve du temps et de l’espace extérieur. Pour Gautier, c’est évident car dehors « il pleut, il neige » et « Il faut sortir ! –quelle corvée ! ». Pour Bousquet, la chambre est assimilée au temps heureux de l’enfance « Que tant de peine a suivi ».
Van Gogh insiste sur sa fatigue : « J’ai encore les yeux fatigués » et aspire à suggérer « du repos ou du sommeil » en peignant cette chambre où il est de passage. Enfin, Jacob fait des rideaux une sorte de protection contre l’extérieur, ce qui ne l’empêche pas de le reconstituer grâce aux lettres qu’il croit deviner : « H, un homme assis ; B, l’arche d’un pont sur un fleuve ». On voir d’ailleurs que ces deux lettres par la forme de leur calligraphie servent à relier.

Tous ces artistes font donc l’éloge d’un lieu intime où ils peuvent donner libre cours à leur imagination et éprouver du plaisir grâce au calme, au confort, à l’ambiance fortement colorée ou tendrement pastel du lieu. Ainsi, un lieu banal qui n’était pas un sujet poétique et artistique avant les temps modernes, peut-être parce que la chambre n’était pas alors un lieu privé et intime, devient grâce au regard, aux sentiments et sensations des artistes un lieu exceptionnel qui favorise l’inspiration.


Céline Roumégoux

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mardi 18 juin 2013

La Saint Barthélemy par Vasari, commentaire de tableau

Giorgio Vasari (1511-1574) 


Scène de la Saint Barthélemy, le massacre des Huguenots





Le 
massacre de la Saint-Barthélemy est le massacre des protestants perpétré par les catholiques, à Paris, le 24 août 1572, jour de la Saint-Barthélemy. Ce massacre s’est prolongé pendant plusieurs jours dans la capitale, puis s’est étendu à plus d’une vingtaine de villes de province durant les semaines suivantes.
Un signal fut donné, semble-t-il, par la sonnerie de matines (au sens strict, entre minuit et l’aube), à la cloche de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, proche du Louvre et paroisse des rois de France. Auparavant, les nobles protestants furent chassés du palais du Louvre puis massacrés dans les rues. L’amiral de Coligny fut tiré de son lit, achevé et défenestré. Les corps sont traînés dans les rues et rassemblés dans la cour du Louvre
En apprenant la nouvelle du massacre, le pape Grégoire XIII fit chanter un Te Deum et une médaille à l’effigie du souverain pontife fut frappée afin de célébrer l’événement. Grégoire XIII commanda également au peintre Vasari une série de fresques relatant le massacre (ci-dessus, un détail de la peinture toujours présente dans la Sala Regia au Vatican).
Vasari, peintre, architecte et écrivain, travailla pour le compte de Cosme 1ier de Médicis. (source Wikipédia)

Commentaire du tableau

Cette scène fait partie d'une fresque en trois panneaux (c'est le panneau central : voir ICI). Le format est un rectangle étroit présenté dans le sens de la hauteur. Il s’agit d’une scène citadine nocturne éclairée par des flambeaux et un croissant de lune. On y voit des soldats casqués, armés de hallebardes et de sabres, en train de massacrer devant un bâtiment des vieillards désarmés. On sait qu’il s’agit de la nuit de la Saint Barthélemy et la défenestration qui y figure correspond à celle dont fut victime le chef des protestants l’amiral de Coligny.
Ce tableau représentant cette tuerie sauvage fut pourtant commandé à Vasari par le pape Grégoire XIII (celui qui instaura le calendrier grégorien, notre calendrier actuel) pour faire exemple dans le cadre de la Contre-Réforme et il se trouve toujours dans la salle Regia au Vatican. Voyons d’abord comment la violence est montrée puis comment le parti catholique est légitimé dans ce massacre.

I) Une scène violente

A) Un carnage dans une fosse

La scène est montrée en contre-plongée et au premier plan, dans une sorte de fosse, apparaît un enchevêtrement de corps brutalisés par des soldats. Ces derniers brandissent des sabres pointés sur des vieillards qui tentent de se protéger de leurs mains nues, doigts écartés.
Deux soldats se détachent de profil. Le premier, au tout premier plan, revêtu  d’une tunique jaune, plaque au sol de son bras gauche et de son genou droit, prêt à l’égorger de son sabre ensanglanté, un vieil homme chenu. Ce vieillard est le seul protestant, d’ailleurs, qui porte une épée, dressée dans l’angle inférieur droit du tableau. Au-dessus, un deuxième soldat à la tunique rouge saisit par les cheveux un vieillard qui lui tourne le dos et s’apprête à le frapper de son sabre.
Derrière lui, un autre soldat dont on n’aperçoit que le casque frappe de face un homme au visage grimaçant de douleur. La tuerie se poursuit dans un désordre de têtes et de bras levés pour parer les coups ou pour en donner. Entre les corps en désordre, apparaissent des têtes d’hommes terrorisés, d’agonisants et de morts.
Bien que ce soit la nuit, ce premier plan est bien éclairé par deux sources lumineuses, une à l’avant (à la place du spectateur et donc à l’extérieur du tableau) et l’autre constituée d’un flambeau et d’une lanterne ronde, au centre du tableau. Cet éclairage artificiel fait briller les lames des sabres, les casques et les tuniques des assaillants et met en lumière les corps et les têtes. Les expressions des victimes en sont d’autant plus saisissantes.
Le combat est inégal : pas de corps à corps équilibrés mais des vieillards acculés, malmenés qui tentent de fuir, de se protéger de leurs mains ouvertes (signe d’ouverture et d’innocence ?) et qui s’écroulent, vaincus. Leurs vainqueurs sont jeunes, vigoureux, ont une musculature d’athlètes et leurs poings sont serrés (signe de fermeture et de sauvagerie ?) sur leurs armes ou crispés sur les têtes de leurs victimes qu’ils dominent de toute leur force.
Ce carnage paraît donc odieux car on dirait des fils tuant leurs pères. Le sort réservé au vieillard du tout premier plan ne fait pas de doute et le geste en suspens du soldat n’en est que plus terrible. On comprend son acharnement car c’est le seul protestant à avoir une arme (probablement prise à son agresseur) et celle-ci est encore pointée et menaçante. Si le regard suit la direction de la pointe de l’épée, il rencontre le bras et la main d’une autre victime, prolongés par deux autres mains levées demandant grâce, et est bloqué par le poing dressé, serré sur le manche d’un sabre, d’un soldat, ce poing occupant le centre exact de la scène, comme pour en marquer le symbole, celui de la répression absolue.
Au vu de cette moitié inférieure du tableau, on ne peut qu’être scandalisé par la férocité des soldats catholiques (ce sont des militaires, donc ils sont en mission !) et on se demande tout de même si Vasari, bien que peignant sur commande, ne montre pas leur cruauté et l’iniquité d’un tel massacre. Les registres épique et pathétique sont en conflit ici et laissent le champ ouvert au parti pris.

B) Une défenestration dramatique sur fond d’autodafé inquiétant

Une sorte de plateforme fait une transition horizontale entre la scène de carnage au premier plan en contrebas et la moitié supérieure du tableau. Un bâtiment gris s’y dresse en contre-plongée au deuxième plan, sur toute la hauteur supérieure et occupe les trois quarts de la largeur. L’immeuble est montré sur deux angles dont l’arête correspond à la médiane du tableau tracée juste au-dessus du poing meurtrier précédemment décrit. Une rue longe la façade du bâtiment sur la droite du tableau et, en perspective, en arrière plan, on aperçoit une place fermée par un bâtiment, où flambe un bûcher avec des soldats autour (un autodafé ?). Une petite portion de ciel éclairé par un croissant de lune couché (sorte de basculement catastrophique ?) se remarque dans l’angle supérieur droit. Ainsi l’espace où se déroule la tuerie est strictement délimité, aucune possibilité pour les victimes de s’échapper car elles sont bloquées par la troupe de la milice catholique  qui force la maison de Coligny, barrant l’accès à la place de l’arrière plan, elle-même occupée par l’autodafé et fermée par une haute maison.
Mais les scènes majeures se déroulent dans ce bâtiment du deuxième plan. On peut reconstituer les faits car ils sont montrés dans leur déroulement. La porte du bâtiment a été enfoncée par une troupe armée et casquée à l’aide d’un madrier utilisé comme bélier et cette foule se précipite à l’intérieur. Déjà une partie des hommes a atteint l’étage et fait des signes de victoire depuis les balustrades des balcons. Mais le plus terrible est la chute d’un homme dévêtu qui vient d’être surpris dans son sommeil et  a été défenestré. Il est en train de tomber, tête en bas, au-dessus de soldats dont l’un, par réflexe, lève vers lui une main plus secourable que menaçante ! Un flambeau éclaire le visage et le corps dénudé mais vigoureux du défenestré qui est sans doute l’amiral de Coligny.
Un tel déploiement de force brutale pour déloger un seul homme, dépouillé de la vie et de son honneur, car il est nu et sans défense, ne peut que donner une image monstrueuse de la troupe catholique. L’imminence de la mort dramatise le tableau. Le bûcher qui flamboie à l’arrière plan annonce d’autres atrocités et attend peut-être le corps de la victime ou d’autres. On sait que la foule s’acharna même sur les cadavres mais que ceux-ci furent plutôt jetés dans la Seine que dans le feu !
Ce qui renforce l’aspect dramatique, c’est que l’action est figée dans son déroulement, dans sa phase la plus violente et dont on prévoit l’issue fatale. Si Vasari avait voulu montrer l’inhumanité de cette nuit de la Saint Barthélemy et dénoncer la barbarie des catholiques, il ne s’y serait pas pris autrement !

II) Une œuvre de propagande catholique contre les protestants

A) La force légitime de l’Eglise catholique contre l’hérésie diabolique des protestants

Pourtant Vasari ne peut se permettre de s’opposer à son commanditaire le pape et le tableau doit célébrer une lutte juste pour sauver l’unité de la Chrétienté. Aussi, faut-il mettre des symboles forts dans ce carnage !
La première chose qui saute aux yeux, c’est la jeunesse des soldats du premier plan et la vieillesse des victimes ; ce qui pourrait rendre pitoyable ces dernières mais qui souligne ainsi leur archaïsme et aussi leur fin proche. On veut faire entendre qu’il s’agit d’une « secte de vieillards ». Contrairement aux assaillants, ils sont tous tête nue  et Coligny défenestré est même entièrement nu. Ils sont ainsi livrés aux regards dans toute leur « animalité » et même leur expression de souffrance ressemble à un rictus grossier. Les soldats massacreurs du premier plan ont un profil romain impassible et leur tunique à l’antique, qui dévoile leur puissante musculature, est mal assortie avec la culotte bouffante de style Renaissance, comme si l’artiste florentin montrait la puissance de l’Eglise catholique romaine sous les traits des centurions du grand empire romain !

B) Une croisade en plein Paris

Deux symboles forts sont sur représentés : le glaive (les sabres) et la croix. Ce sont les attributs des croisés contre les infidèles mais aussi des anges exterminateurs du démon ! Les lames des sabres se croisent systématiquement au premier plan et même l’épée du protestant avec l’étui qui est fixé au flanc du soldat qui va le tuer. L’arête du bâtiment trace la branche verticale supérieure de la croix qui occupe le centre du tableau, la branche horizontale étant constituée par la plateforme qui sépare les deux scènes principales du tableau. Au premier plan, on sacrifie donc l’équivalent du démon au pied de la croix et pour la bonne cause. Même le fronton triangulaire de la fenêtre d’où a été jeté Coligny est symbolique (même si c’est bien un élément architectural d’époque) car il figure la trinité et l’on sait que les protestants n’accordaient pas à ce dogme la même importance que les catholiques (voir l’affaire Michel Servet).
Quant au croissant de lune, sa disposition horizontale, pointes montantes, est le symbole de la noblesse et rappelle les croisades. C’est aussi le croissant d’or, symbole chrétien de Constantinople (qui était précisément tombé un siècle plus tôt aux mains des infidèles, mettant fin à l’empire romain d’orient).

Il était donc primordial de mettre en évidence tous ces symboles de la lutte de la Chrétienté contre le désordre satanique de l’hérésie que représentent les protestants.
Ce tableau de Vasari présente deux aspects contradictoires : la violence et la justification catholique de celle-ci. On est partagé entre la terreur et la pitié. Aucune idéologie ne pourrait justifier aujourd’hui ce massacre, cette guerre civile entre chrétiens. Pourtant, le pape, les princes et les rois de l’époque adressèrent leurs félicitations au roi français Charles IX qui endossa la responsabilité de cette « répression » dans l’intérêt du royaume et de l’Eglise. Ce que l’on voit avant les symboles, c’est d’abord une sorte de délectation dans le meurtre, ce qui révolte les mentalités d’aujourd’hui mais qui a eu un bel effet dissuasif à l’époque puisque les principaux chefs protestants s’empressèrent de se convertir, à commencer par Henri de Navarre, ne serait - ce que pour devenir Henri IV, roi de la France très catholique.

Céline Roumégoux 

Pour voir la méthode du commentaire de tableau cliquer ICI

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