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mercredi 8 mai 2013

Sonnet à Caliste de Malherbe

Sonnet à Caliste de Malherbe


François de Malherbe (1555-1628)


Sonnet à Caliste

Il n’est rien de si beau comme Caliste est belle :
C’est une oeuvre où Nature a fait tous ses efforts,
Et notre âge est ingrat qui voit tant de trésors,
S’il n’élève à sa gloire une marque éternelle.

La clarté de son teint n’est pas chose mortelle :
Le baume est dans sa bouche et les roses dehors
Sa parole et sa voix ressuscitent les morts,
Et l’art n’égale point sa douceur naturelle.

La blancheur de sa gorge éblouit les regards ;
Amour est en ses yeux, il y trempe ses dards,
Et la fait reconnaître un miracle invisible.

En ce nombre infini de grâces et d’appas,
Qu’en dis-tu ma raison ? crois-tu qu’il soit possible
D'avoir du jugement, et ne l’adorer pas ?



Portrait d’une jeune femme au collier de perles
Huile sur panneau signée Honthorst et datée 1644.
Gerrit Van Honthorst
Né en 1590, Mort en 1656
Ecole Hollandaise XVIIe siècle


François de Malherbe (1555-1628), poète de cour officiel de Henri IV,  a, selon les mots de Boileau "réduit la Muse aux règles du devoir". C’est dire que ce poète a le souci de la clarté, de la régularité toute classique et est donc considéré comme le chef de file du courant classique. Dans son recueil 
Les Délices de la poésie française, on trouve Un sonnet à Caliste (1620) composé en l’honneur de la vicomtesse d’Auchy avec qui il a eu une liaison malheureuse. Ce poème, bien que né d’une expérience personnelle, est le modèle même de l’idéal classique fait de mesure et de raison. On verra comment Malherbe dans cet éloge proche du blason conserve une retenue qui ressemble plus à un exercice de style impersonnel et à une célébration du concept de beauté classique qu’à un cri d’amour spontané.


I) L’éloge traditionnel de la beauté sous forme de blason

A) Un idéal esthétique: la beauté

- Le vocabulaire de la beauté est omniprésent : "beau ... belle" (v.1), "grâces ...appas" (v.12)

- Il est associé au lexique de l’admiration et du compliment : "tant de trésors" (v.3), "miracle visible" (V.11), "éblouit les regards" (v.9) et aux hyperboles : "nombre infini de grâces" (v.12), "il n’est rien de si beau" (v.1).

- La "Nature" est personnifiée sous la forme d’une allégorie et est présentée comme l’auteur du chef d’oeuvre qu’est Caliste, supplantant toute oeuvre d’art : "C’est un oeuvre où Nature a fait tous ses efforts" (v.2), "Et l’art n’égale point sa douceur naturelle"(v.8).

- Le rythme binaire (avec césure à l’hémistiche) des trois premières strophes marque l’équilibre de cette beauté toute classique et la maîtrise du poète qui ne se laisse pas déborder par son admiration ! Le sonnet est d’ailleurs tout à fait classique : utilisation des alexandrins, disposition des rimes ABBA ABBA, CCD EDE.
  • Caliste (en grec Καλλιστώ / Kallistố, de καλλίστη / kallístê, « la plus belle) est donc l’incarnation d’un idéal de la beauté fait d’équilibre et d’harmonie, correspondant aux canons de la beauté des femmes de l’époque. Son corps est cependant évoqué, bien que de manière très stylisée.
B) Un blason pudique

- Le corps de la femme est décrit dans ses charmes traditionnels : le teint clair; "les roses" des joues ; l’haleine fraîche : "le baume est dans sa bouche" ; sa gorge blanche ; ses yeux pleins d’amour et sa parole magique.

- Le recours à la comparaison mythologique "Amour est dans ses yeux, il y trempe ses dards" et à la métaphore déjà utilisée par Ronsard (cf. Mignonne,allons voir si la rose) "et les roses dehors" ne singularise en rien Caliste et on aurait bien du mal à se la représenter !

- C’est une idole païenne qui est ainsi célébrée : "La clarté de son teint n’est pas chose mortelle", "Sa parole et sa voix ressuscitent les morts", elle est oeuvre de Nature qui n’est pas assimilée ici à Dieu et on peut donc "l’adorer". 
  • Ce sonnet au registre épidictique, bien qu’inspiré par des sentiments personnels et une femme réelle, paraît bien impersonnel et proche de l’exercice de style.
II) Un exercice de style et d’esprit

A) Un poème impersonnel : un exercice de style

- Aucune apostrophe ou adresse quelconque à Caliste : elle est d’abord nommée par son prénom et désignée à la troisième personne du singulier. Le pronom sujet "elle" n’est jamais utilisé. Il est, dans les trois premières strophes, remplacé par ses attributs physiques : "sa gloire", "son teint", sur le mode descriptif.

- Le poète en appelle à "notre âge ingrat" pour "élever à sa gloire une marque éternelle" : elle est donc désignée à l’admiration générale et non pas exclusive du poète amoureux !

- "les regards" de tous sont éblouis par sa beauté.

- Dans les trois premières strophes, nulle énonciation personnelle du poète qui, de surcroît, emploie un présent de vérité générale, presque d’immortalité.
  • Ce poème n’est pas adressé directement à Caliste, c’est un éloge public qui a des accents étrangement funèbres : ainsi "mortelle" et "morts" à la rime produisent un effet sinistre. Si on y ajoute "la clarté du teint, le baume de sa bouche et la blancheur de la gorge", on pourrait songer à l’évocation d’une jeune morte. On ne peut s’empêcher de penser que le poète aurait pu trouver un autre compliment que celui de la "voix qui ressuscite les morts !"
B) Un raisonnement logique : un exercice d’esprit

- Le premier vers est un postulat comme une vérité générale incontestable : "Il n’est rien de si beau comme Caliste est belle".

- Les deux quatrains et le premier tercet en sont la démonstration descriptive.

- le dernier tercet en est l’aboutissement. Là, seulement, le rythme est un peu bousculé par le rejet : "Qu’en dis-tu ma raison ?" et le contre-rejet : "Crois-tu qu’il soit possible". Ces deux questions oratoires qui s’adressent à la raison (et non au cœur !) du poète, disent la conséquence logique des effets de la beauté sur les sentiments du poète qui se garde bien pourtant d’associer le verbe adorer à son "je" et à la forme affirmative : "crois-tu qu’il soit possible d’avoir du jugement, et ne l’adorer pas ?"
  • Il est clair que Malherbe se tient à distance de son sujet, par pudeur, par rancune pour avoir été jadis éconduit par la dame ou seulement parce que au XVIIe siècle "le moi est haïssable" ?

Ce sonnet se plie au topos de l’éloge de la beauté féminine mais le corps de la femme est idéalisé et elle est exposée à l’admiration générale. L’implication du poète est purement intellectuelle et il semble plus préoccupé de faire de son sonnet une oeuvre d’art classique que de séduire la dame et de dévoiler son cœur  On est loin de Ronsard "fou d’amour" ou de la fascination de Baudelaire pour sa beauté en marche ou encore d’Apollinaire dont l’érotisme se lit dans ses métaphores cavalières et militaires !





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