Translate

mercredi 30 janvier 2013

Camus, Caligula, acte I scène 8


Caligula (1945) ALBERT CAMUS
ACTE I SCÈNE 8




SCÈNE VIII
Caligula s'assied près de Caesonia.
CALIGULA
Écoute bien. Premier temps : tous les patriciens, toutes les personnes de l'Empire qui disposent de quelque fortune - petite ou grande, c'est exactement la même chose - doivent obligatoirement déshériter leurs enfants et tester sur l'heure en faveur de l'État.
L'INTENDANT
Mais, César...
CALIGULA
Je ne t'ai pas encore donné la parole. À raison de nos besoins, nous ferons mourir ces personnages dans l'ordre d'une liste établie arbitrairement. A l'occasion, nous pourrons modifier cet ordre, toujours arbitrairement. Et nous hériterons.
CAESONIA, se dégageant.
Qu'est-ce qui te prend ?
CALIGULA, imperturbable.
L'ordre des exécutions n'a, en effet, aucune importance. Ou plutôt ces exécutions ont une importance égale, ce qui entraîne qu'elles n'en ont point. D'ailleurs, ils sont aussi coupables les uns que les autres. Notez d'ailleurs qu'il n'est pas plus immoral de voler directement les citoyens que de glisser des taxes indirectes dans le prix de denrées dont ils ne peuvent se passer. Gouverner, c'est voler, tout le monde sait ça. Mais il y a la manière. Pour moi, je volerai franchement. Ça vous changera des gagne-petit. (Rudement, à l'intendant.) Tu exécuteras ces ordres sans délai. Les testaments seront signés dans la soirée par tous les habitants de Rome, dans un mois au plus tard par tous les provinciaux. Envoie des courriers.
L'INTENDANT
César, tu ne te rends pas compte...
CALIGULA
Écoute-moi bien, imbécile. Si le Trésor a de l'importance, alors la vie humaine n'en a pas. Cela est clair. Tous ceux qui pensent comme toi doivent admettre ce raisonnement et compter leur vie pour rien puisqu'ils tiennent l'argent pour tout. Au demeurant, moi, j'ai décidé d'être logique et puisque j'ai le pouvoir, vous allez voir ce que la logique va vous coûter. J'exterminerai les contradicteurs et les contradictions. S'il le faut, je commencerai par toi.

Commentaire

                           Albert CAMUS (1913-1960) est un philosophe, romancier, nouvelliste, et dramaturge français du XXème siècle. La plupart de ses œuvres développent un humanisme fondé sur la prise de conscience de l’absurdité de la vie humaine. Il qualifiera sa première réflexion à ce sujet de « cycle de l’absurde », dans lequel quatre œuvres figurent, dont une pièce de théâtre intitulée Caligula (1945). Dans cette pièce, Camus met en scène un jeune empereur du même nom que l’œuvre, se transformant après la mort de sa sœur en un homme « obsédé d’impossible, [et] emprisonné de mépris et d’horreur », ce personnage étant inspiré du célèbre empereur romain Caligula (37 à 41). Dans la scène 8 de l’acte I de cette œuvre, on assiste au dialogue entre Caesonia (maîtresse de Caligula), un intendant, et Caligula lui-même, au sujet des mesures que ce dernier compte mettre en place. On verra en quoi ce dialogue relève de la naissance d’un tyran. D’abord, on observera la théorie de Caligula au sujet du pouvoir et de la tyrannie, puis nous analyserons les principes et les conséquences négatives de cette tyrannie.


Albert Camus

                           Tout le raisonnement de Caligula repose sur la logique, il le dit lui-même, « [il] [a] décidé d’être logique » (l.26). Son discours est extrêmement bien construit : connecteurs logiques, connecteurs temporels, conjonctions de coordination (« premier temps » (l.2) ; « A raison de » (l.7) ; « en effet » (l.12) ; « mais » (l.17), tous les moyens sont utilisés pour rendre son propos indiscutable, les didascalies étant également là pour renforcer cet effet, puisqu’elles nous disent qu'il est « imperturbable » (l.12), ce qui nous laisse penser que Caligula est sûr de lui. Son plan est donc très facile à suivre : premièrement « tous les patriciens […] [devront] obligatoirement déshériter leurs enfants », puis ils seront tués « dans l’ordre d’une liste établie », et ce « en faveur de l’Etat ». Aucune place n’est laissée à l’implicite, puisque « gouverner c’est voler » autant qu'il le fasse « franchement » et qu’il « vol[e] directement les citoyens » plutôt que de le faire de manière indirecte. Il utilise donc une logique implacable à partir d’un postulat (« gouverner c’est voler ») pour justifier la spoliation directe des biens par un raisonnement par analogie (« il n'est pas plus immoral de voler directement les citoyens que de glisser des taxes indirectes »).
                           Mais derrière ce discours si implacable et si autoritaire se cachent de réelles absurdités. En effet, dans son discours, Caligula se contredit lui-même à plusieurs reprises. Il dit tout d’abord que les patriciens seront tués « dans l’ordre d’une liste établie » pour ensuite enchaîner sur « l’ordre des exécutions n’a en effet, aucune importance », pour ensuite dire que « ces exécutions ont une importance égale » et que de ce fait « elles n’en ont point ». Ces équivalences fondées sur un pseudo syllogisme  aboutissent à des absurdités logiques et à une confusion dans l’échelle des valeurs, ce qui décrédibilise son raisonnement. Mais Caligula n’en a que faire, puisqu'il est l’empereur, et que quelle que soit la chose qu'il veut faire, il pourra toujours la faire : il a tous les pouvoirs.
                           Ce discours s’apparente donc parfaitement à celui d’un tyran, les excès et la violence n’étant pas oubliés.
                           En effet, le fait que « gouverner, c’est voler » n’implique pas forcément le fait que la politique tenue soit monstrueuse ou violente. C’est Caligula qui veut que les choses soient ainsi en tant que tyran. Cette violence se voit notamment dans son autoritarisme : les riches « doivent obligatoirement déshériter ». Il fait les choses dans la précipitation, il faut que tout soit fait « sur l’heure », ou « dans un mois au plus tard ». Son raisonnement est basé sur l’extrémisme : il « exterminer[a] les contradicteurs et contradictions », volera, « fer[a] mourir » des gens. C’est Caligula lui-même qui rend cette politique monstrueuse, et avoue lui-même agir de manière arbitraire puisqu’à deux reprises il utilise le mot « arbitrairement ». Il est donc pleinement conscient que ce qu’il fait n’a pas de réelle justification, et est plus dans l’ordre du « caprice » d’un maître, qui n’agit pas du tout dans l’intérêt public, mais « en faveur de l’Etat » (donc dans son propre intérêt). Mais c’est moins la question de l’argent qui l’intéresse que le fait d’exercer sa volonté, sa liberté pour changer le monde à sa façon.



                           Cette négation de l’intérêt public le conduit donc au mépris de l’autre, au mépris des humains, et donc au mépris de la vie elle-même. Cela est parfaitement caractérisé lorsqu'il dit « si le Trésor a de l’importance, alors la vie humaine n’en a pas »puisqu'il place l’argent au-dessus de tout, y compris au-dessus de la vie de ses sujets. Cela se traduit également au travers de la relation qu'il entretient avec son intendant, qu'il méprise totalement. Il le désigne en effet de manière très péjorative : « imbécile », il lui donne des ordres : « écoute bien » (l.2) ; « envoie ». Caligula va même jusqu'à lui dire que « [il] ne [lui a]  pas encore donné la parole », alors même qu'il ne le laisse pas s’exprimer (« tous ceux qui pensent comme toi »), et même le menace, en lui disant que « s’il le faut, [il] commencer[a] par [l’exterminer] lui ». L’usage de la terreur et le mépris des valeurs sont les caractéristiques des tyrans. Cela relève tout autant de la perversité que du nihilisme complet allant jusqu'aux tendances suicidaires.

            Ce discours symbolise donc parfaitement la naissance du tyran Caligula, s’agissant des paroles avant les actes. Tous les aspects de la tyrannie y sont : absurdité, arbitraire, mépris des autres, intérêt personnel et violence. Ce personnage, ne pouvant aller contre le cours des choses : « Ce monde, tel qu'il est fait, n'est pas supportable. J'ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l'immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde», décide de bouleverser l’ordre de son empire au risque de le détruire et de se détruire lui-même avec. L’exercice de sa liberté absolue vient « d’un besoin d'impossible ». Mais à quoi sert la liberté quand elle abolit celle des autres ? A quoi sert la fortune quand on a fait le vide autour de soi ? La responsabilité et la liberté d’un homme n’ont de sens qu'avec la notion de solidarité. Sinon l’homme devient fou ou s’anéantit. Telle est la leçon de l’Existentialisme que Camus partage avec Sartre. En mettant en scène ce personnage sanguinaire et tyrannique, il fait aussi clairement une comparaison de Caligula avec Hitler. On retrouve également ce genre de personnage dans Ubu roi  d’Alfred JARRY, mais sur le mode grotesque.

Mélanie 1S1 (janvier 2013)


Pour en savoir plus sur la représentation du pouvoir au théâtre voir ICI
ou encore ICI

mercredi 16 janvier 2013

David , Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard : commentaire de tableau


Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard de Jacques-Louis David (1802) château de Malmaison


Commentaire du tableau de David

Bonaparte au mont Saint-Bernard (1802)

Julien Sorel dans Le Rouge et le Noir de Stendhal (1830) est un fervent admirateur de Napoléon Bonaparte, comme toute la génération romantique. Autre admirateur, le roi d'Espagne Charles IV, commanditaire du tableau Bonaparte au mont Saint-Bernard peint par Jacques-Louis David en 1802. Ce tableau équestre représente le franchissement des Alpes du général Bonaparte, alors premier consul, et de son armée pendant les guerres d'Italie contre l'Autriche. On verra en quoi ce grand tableau (2,5x2,2 m) est une œuvre de propagande à la gloire de celui qui est devenu l'empereur des Français. Après avoir examiné le cadre hostile et dangereux dans lequel progressent Bonaparte et son armée, nous nous attacherons à montrer la mise en valeur d'un chef glorieux, symbole de libération et de gloire.


  1. Un cadre hostile et dangereux


A) Un cadre hostile : les Alpes enneigées


Dans ce grand tableau, ciel et terre s'affrontent en deux triangles coupés par une diagonale qui va de gauche à droite. Le ciel est plombé et gris et les montagnes sont sombres, rocheuses, sans végétation et recouvertes d'un tapis neigeux. C'est donc un environnement hostile et sans vie.


Le paysage neigeux qui comporte un risque de dérapage s'ajoute au danger. Le vent qui pousse à l'avant, comme en atteste l'étole de Bonaparte qui se déploie et la crinière et la queue du cheval qui sont soulevées, rend plus difficile l'ascension des soldats et de leur chef.



B) Ascension périlleuse


Le cheval est sur la diagonale du tableau, en parallèle des crêtes des montagnes (diagonale ascendante). Le cheval cabré, au bord du gouffre, rend la montée périlleuse et risque la chute. Son œil est effrayé, malgré sa force musculaire.


Le cheval est fougueux alors que le cavalier est calme. Les rênes sont lâches, Bonaparte n'appuie que la pointe de son pied sur l'étrier. Mais son corps, en diagonale opposée à la diagonale ascendante, contrebalance les forces et rétablit l'équilibre menacé par sa posture peu réaliste .


On note aussi la progression difficile au deuxième plan des soldats, penchés en avant, avec le matériel lourd d'artillerie.


Ce tableau représente une ascension audacieuse d'une armée dans un décor et un climat hostile et froid : difficulté pour avancer pour les soldats et pour leur chef, au bord du déséquilibre, mais dans une posture de gloire.


  1. Un chef glorieux symbole de la République : une vision épique


A) Des soldats guidés et protégés


Une colonne de soldats au second plan est sous la protection du cheval et de Bonaparte.


Les uniformes bleus et le matériel d'artillerie connotent une scène de guerre, c'est donc un tableau héroïque et épique : la légende de l'épopée napoléonienne est en marche !


Cependant, il y a volonté d'humaniser la colonne militaire, montrée à mi-corps et dans un uniforme similaire à celui de son chef.


B) Bonaparte : un symbole d’héroïsme et de libération


Il s'inscrit dans la lignée des conquérants car les noms de Bonaparte, d'Hannibal et de Charlemagne sont gravés sur une pierre au premier plan, en bas, à gauche.


Bonaparte est l'allégorie du guide et du héros que la légère contre-plongée grandit et magnifie. Les couleurs chaudes sont concentrées sur lui, ainsi que la lumière qui l'illumine, tout comme la robe blanche symbolique de son cheval. La main droite nue du cavalier est pointée vers le ciel, c'est la direction vers la montagne et vers « la route de la victoire ». Le visage juvénile, signe de vie et d'espérance, est tourné vers les spectateurs, comme pour les prendre à témoin et leur montrer son assurance et sa détermination.


Enfin, la cocarde tricolore sur son bicorne, son uniforme de parade de général en chef des armées et le drapeau qui flotte à droite, en bas du tableau, en font l'incarnation de la République qui sera sauvée grâce à sa bravoure et à ses qualités de stratège et de chef.


Il s'agit donc bien d'un tableau de propagande qui sera ensuite reproduit en quatre autres versions très proches, à la demande de Bonaparte. Dans cette œuvre picturale néoclassique, Bonaparte bravant les éléments, domptant un cheval fougueux, protégeant et guidant son armée en digne héritier des héros de l'Antiquité et du Moyen-Age, c'est le nouvel Hannibal, le nouveau Charlemagne, c'est un héros épique. L'empereur qu'il est devenu doit sa légitimité et sa gloire à sa bravoure, à son titre de sauveur de la patrie. Dans l'iconographie et l'imaginaire collectif français, Napoléon occupe le terrain jusqu'en 1940, où De Gaulle va prendre la relève.




Pour voir la méthode du commentaire de tableau, cliquer ICI


Voici comment Bonaparte a réellement franchi les Alpes

ou comment on démonte un mythe !



Bonaparte franchissant les Alpes de Paul Delaroche (1850) Walker Art Gallery Liverpool



Cours de Céline Roumégoux

Tous droits réservés


Voltaire, Babouc ou le monde comme il va

 Dissertation sur Le Monde comme il va de Voltaire

Sujet :

Commentez cette phrase : « Le monde comme il va, c’est presque le monde comme il devrait aller. Certes, la statue que Babouc remet à Ituriel n’est pas toute en or, mais il est évident que l’or largement y prédomine, et que telle quelle, elle constitue une assez belle œuvre d’art. » Que pensez-vous de ce jugement sur le conte de Voltaire ?




Voltaire peint vers 1735 par Quentin de la Tour.



Au XVIIIe siècle, la mode est à l’orientalisme et à la critique sociale. Voltaire réunit ces deux tendances dAu XVIIIe siècle, la mode est à l’orientalisme et à la critique sociale. Voltaire réunit ces deux tendances ans son conte philosophique, Le Monde comme il va, paru en 1748. Babouc, un Scythe, doit examiner Persépolis, en vérité la société française, pour en rendre compte à l’ange Ituriel, qui décide finalement de « laisser aller le monde comme il va ». En guise de rapport, il remet à ce dernier une statue, allégorie de la ville, ce qui fait dire à un commentateur : « Le monde comme il va, c’est presque le monde comme il devrait aller. Certes, la statue que Babouc remet à Ituriel n’est pas toute en or, mais il est évident que l’or largement y prédomine, et que telle quelle, elle constitue une assez belle œuvre d’art. » On pourra, après examen de cette appréciation, se demander en quoi, malgré ses imperfections, la statue est une œuvre d’art et en quoi la clémence d’Ituriel correspond aux idées de Voltaire sur l’homme et la société.


Ce qui frappe dans le jugement du commentateur sur la statue, allégorie de la société, ce sont les modalisateurs, atténuateurs d’intensité, marqués par les adverbes exprimant le degré « c’est presque le monde comme il devrait aller » ou encore « la statue [...]n’est pas toute en or ». Le monde, à l’image de la statue, tend vers un idéal mais comporte des imperfections. Cependant le résultat « constitue une assez belle œuvre d’art », c’est-à-dire un assemblage harmonieux entre les métaux vils et précieux, entre le bien et le mal. Cette idole, commandée par Babouc, une figure malicieuse du diable, présente donc à l’ange, alias Dieu, sa créature composite, c’est-à-dire l’homme ! Et l’ange-Dieu, dans sa grande clémence sauva la créature. Voltaire pose donc en fait la question du mal et du rachat de l’homme mais il va appliquer cette réflexion plus prosaïquement à la société de son temps.


Les défauts de la société, figurés par les métaux vils qui constituent une partie de la statue, sont d’abord largement visibles au cours de l’enquête menée par Babouc.

Les institutions sont montrées du doigt. Ainsi l’armée, du soldat mercenaire au général, ignore la cause de la guerre pour laquelle elle se bat. Les soldats sont dépourvus de tout patriotisme et guidés par leur seul intérêt. Pire, ils ne manifestent aucune solidarité entre eux et se comportent comme « des bêtes féroces ». Voltaire fait ainsi allusion aux incessantes guerres de son époque, plus particulièrement à la guerre de succession d’Autriche à laquelle la France s’est mêlée sans raison sérieuse, ce qui l’a amenée à « travailler pour le roi de Prusse » ou encore « pour des prunes », sacrifiant pour rien des milliers de vies dans des querelles obscures qui ne la regardaient pas.

La vénalité et la corruption sévissent dans tous les secteurs de la vie sociale. Ainsi, les plus riches achètent leurs charges, dans l’armée, dans la justice, dans la levée de l’impôt. L’argent remplace donc le mérite et la compétence. C’est ainsi qu’on voit un jeune magistrat de vingt-cinq ans employer avec arrogance un vieil avocat expérimenté pour faire l’instruction à sa place. Les grands même sont dépendants de la puissance de l’argent, représentée par le grossier fermier général qui est leur créancier.





L’Eglise n’est pas épargnée, dont les docteurs s’épuisent en querelles et conduisent les fidèles à l’ennui et à l’abrutissement, au point qu’ils chantent « comme des onagres » dans des églises insalubres, dans lesquelles on va même jusqu’à enterrer les morts, tout en se livrant au commerce des chaises pour avoir une place assise ! Voltaire n’invente rien : on enterrait bien les rois de France à Saint Denis et les Jansénistes et les Jésuites se persécutaient réciproquement.

Le monde de la culture ne se porte pas mieux : on admire les tragédies au théâtre mais on méprise les comédiens qui vivent dans la misère et finissent à la fosse commune ! Les lettrés sont des cuistres ou des Trissotin qui s’écoutent parler et ne cessent de se critiquer.

Quant à l’état de la ville, il est alarmant de laideur et de saleté dans ses quartiers populaires et les mœurs de tous sont dépravées. Même, et surtout, les gens du monde pratiquent un libertinage effréné sans le moindre état d’âme.

Le bilan est si négatif que Babouc, dégoûté, se dit que Persépolis mérite vraiment d’être anéantie car le mal y est trop présent.


Cependant, il va trouver un mentor en la personne d’un sage lettré, puisqu’il en existe tout de même un ! On ne peut pas s’empêcher de reconnaître Voltaire sous l’habit du lettré. Ce sage va le conduire sur place et lui faire assister de visu au fonctionnement de la justice, afin que de manière expérimentale, il puisse juger de son réel fonctionnement. Alors, Babouc, verra que « les enfants de ces hommes nouveaux » jugent plus vite et mieux que les vieux avocats ergoteurs et que, bien qu’ayant acheté leur charge, les officiers font aussi preuve de bravoure, enfin que les financiers sont fort utiles pour garantir l’équilibre économique de la nation.

Les prêtres, bien contrôlés par l’état, servent à instruire et à moraliser le peuple et certains lettrés ne manquent pas d’esprit. Quant aux mœurs, tout comme les beaux quartiers, elles procurent bien du plaisir et du raffinement, au point que Babouc resterait bien en compagnie de la belle Téone, une courtisane de luxe ! « Babouc conclut qu’il y avait de très bonnes choses dans les abus ».

Ainsi, il termine sur une impression positive après avoir pesé le bien et le mal et après avoir été « éclairé » par un lettré-philosophe ! La société, tout comme la statue allégorique, est faite d’or et de boue, mais l’éclat de l’or au double sens du mot, c’est-à-dire la richesse et la rareté précieuse, est prédominant. En ce milieu de siècle, le commerce, la finance et la classe montante, la bourgeoisie, apportent à la France une nouvelle prospérité. Les Philosophes s’activent et préparent l’Encyclopédie. La contestation de l’ordre ancien est en marche et les privilèges sont menacés. Le nouveau veau d’or ressemble à la statue de Babouc ! Voltaire ne peut s’empêcher d’être ironique même dans son éloge des nouvelles tendances qui s’amorcent….







L’œuvre d’art « assez belle », dont il est question dans la citation, est donc bien une nouvelle société qui progressivement remplacera l’ancienne grâce aux lumières de la raison, de la connaissance accessible à tous et au progrès. Cette nouvelle génération, mieux instruite, s’enrichira par le commerce et l’industrie, par la finance et les affaires. L’homme, devenu plus heureux matériellement et plus critique intellectuellement sera sans aucun doute plus vertueux, moins enclin au mal. Quant à la vertu des prudes, c’est autre chose : Voltaire n’est pas un père la morale. Il serait même plutôt mondain, libéral et réformateur. Selon lui, l’homme et la société sont perfectibles et le mal est constitutif de l’homme. Mieux vaut s’en accommoder et œuvrer utilement plutôt que de tout détruire. C’est ce que fera Candide dans son jardin turc ou Voltaire à Ferney…

Céline Roumégoux

Voir un commentaire sur le chapitre 2 du Monde comme il va ICI

Tous droits réservés









mardi 15 janvier 2013

Pascal, Le bonheur

Le Bonheur
Liasse : le souverain bien



X - LE SOUVERAIN BIEN in Les pensées

  « Car tous les hommes désirent d'être heureux ; cela est sans exception. Quelques différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que l'un va à la guerre et que l'autre n'y va pas, c'est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui se tuent et qui se pendent.
Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point, où tous tendent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, roturiers, vieillards, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tous temps, de tous âges et de toutes conditions.
Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme devrait nous convaincre de l'impuissance où nous sommes d'arriver au bien par nos efforts ; mais l'exemple ne nous instruit point. Il n'est jamais si parfaitement semblable qu'il n'y ait quelque délicate différence; et c'est là que nous attendons que notre espérance ne sera pas déchue en cette occasion comme en l'autre. Ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais, l'espérance nous séduit, et, de malheur en malheur, nous mène jusqu'à la mort, qui en est le comble éternel.
     C'est une chose étrange qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait été capable de tenir la place de la fin et du bonheur de l'homme, astres, éléments, plantes, animaux, insectes, maladies, guerres, vices, crimes, etc. L'homme étant déchu de son état naturel, il n'y a rien à quoi il n'ait été capable de se porter. Depuis qu'il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paraître tel, jusqu'à la destruction propre, toute contraire qu'elle est à la raison et à la nature tout ensemble.
Les uns ont cherché la félicité dans l'autorité, les uns dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés. Ces trois concupiscences ont fait trois sectes, et ceux qu'on appelle philosophes, n'ont fait effectivement que suivre une des trois. Ceux qui en ont le plus approché ont considéré qu'il est nécessaire que le bien universel que tous les hommes désirent, et où tous doivent avoir part, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul, et qui, étant partagées, affligent plus leur possesseur par le manque de la partie qu'il n'a pas, qu'elles ne le contentent par la jouissance de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devait être tel que tous pussent le posséder à la fois sans diminution et sans envie, et que personne ne le pût perdre contre son gré. Ils l'ont compris, mais ils ne l'ont pu trouver ; et au lieu d'un bien solide et effectif, ils n'ont embrassé que l'image creuse d'une vertu fantastique.
    Notre instinct nous fait sentir qu'il faut chercher notre bonheur dans nous. Nos passions nous poussent au dehors, quand même les objets ne s'offriraient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d'eux-mêmes, et nous appellent, quand même nous n'y pensons pas. Ainsi les philosophes ont beau dire : rentrez en vous-mêmes, vous y trouverez votre bien ; on ne les croit pas, et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots. Car, qu'y a-t-il de plus ridicule et de plus vain que ce que proposent les Stoïciens, et de plus faux que tous leurs raisonnements ? »


Quelques remarques préalables :

Un constat d’échec est à l’origine de la réflexion philosophique de Pascal : l’homme ne recherche que le bonheur et est incapable, malgré ses efforts, d’y parvenir. Cet eudémonisme montre en réalité la misère de l’homme sans Dieu et son impuissance à trouver « le souverain bien » en dehors de la foi.
L’objectif de la Pensée est donc plus de faire l’apologie de la foi qu’une réflexion sur le bonheur. Mais la quête du bonheur, si puissante chez l’homme, sert à Pascal à montrer les erreurs de l’homme à vouloir le trouver ailleurs qu’en Dieu. On retrouve les idées de saint Augustin sur les trois concupiscences fallacieuses et l’importance qu’accordent les Jansénistes au péché originel, cause de l’impuissance et de la déchéance de l’homme qui s’est privé de Dieu et qui, désormais, ne peut atteindre par lui-même la félicité.
Étymologiquement, bonheur vient de l'expression « bon eür ». « Eür » est issu du latin augurium qui signifie « accroissement accordé par les dieux à une entreprise ».
Par conséquent et pour respecter l’esprit et l’intention de Pascal, le plan de commentaire suivant pourrait être suivi.

Plan du commentaire

I) L’homme en quête désespérée du bonheur

A) Un postulat : l’homme ne pense qu’au bonheur
a) Généralisation de cette volonté de bonheur et du désir d’être heureux (voir le lexique de ces deux notions dans le texte)
b) Exemples surprenants à expliquer (se pendre pour être heureux ? aller à la guerre ?)

B) Un constat d’échec général : rapport d’opposition avec l’idée de bonheur
a) La liste des déçus : effet accumulatif
b) Le rôle des négations qui marquent la faillite de cette quête (« rien dans la nature qui n’ait été capable de tenir … ») et des expressions comme « de malheur en malheur »

II) Raisons qui poussent l’homme à persister dans l’erreur du faux bonheur

A) Les erreurs du désir (corps)

a) Rejet de l’expérience et « espérance qui nous pipe » : remarquer le « nous » et les modalisations de l’auteur.
b) Recherche vaine des jouissances de « la nature », voir les énumérations hétéroclites.

B) Les erreurs « philosophiques » (esprit)

a) Erreur des trois concupiscences (volupté, autorité et savoir) et la « vertu fantastique » qu’est l’illusion d’un bien commun. Noter les longues phrases explicatives et complexes pour traiter ces sujets. Observer l’attaque contre les philosophies traitées de « sectes ».
b) Echec de la recherche stoïcienne du bien en « nous-mêmes ». Noter le discours rapporté des philosophes et la question oratoire finale pour les disqualifier. Ton polémique.

III) Comment trouver le vrai bonheur

A) Recherche des causes de l’échec

a) Le péché originel (« a perdu le vrai bien » ou l’homme « déchu de son état naturel »)
b) Sa conséquence : « l’impuissance où nous sommes »

B) Retrouver Dieu

a) Grâce la foi (« jamais personne sans la foi ») qui est donnée dès le début du deuxième paragraphe comme une évidence (montrer que ce n’est pas l’aboutissement logique de cet extrait).
b) Les intuitions : « ils l’ont compris mais ils ne l’ont pu trouver [le vrai bien] » et « notre instinct » ne suffisent pas, même si c’est déjà, dans l’esprit de Pascal, un progrès spirituel.
Le salut et le bonheur sont en Dieu, d’après Pascal.

Céline Roumégoux
Tous droits réservés

Molière, Tartuffe, scène d'exposition


Commentaire de Tartuffe (1669) de Molière, acte I scène 1
Premier mouvement (vers 1 à 84) :

une présentation familiale orageuse

et un sujet de division : Tartuffe

Lire le texte ICI




La Compagnie du Saint Sacrement, qui avait le soutien de la reine mère Anne d’Autriche et du Parlement, a été dissoute officiellement par Louis XIV en 1666, après le décès de sa mère. Molière, qui avait joué devant le roi un premier état de sa pièce en 1664, avait été aussitôt censuré et interdit par la pression de la cabale des dévots, animée par cette fameuse compagnie. Aussi, put-il enfin jouer la version définitive de Le Tartuffe ou L’Imposteur en 1669, après trois placets adressés au roi. Dans cette comédie de mœurs et de caractère, le personnage éponyme, figure du faux dévot, parasite, captateur d’héritage, libertin avéré et directeur de conscience sectaire, n’apparaît qu’au troisième acte de cette pièce en vers, qui en compte cinq. Dans la scène d’exposition, presque tous les personnages sont présents, à l’exception notable d’Orgon, le chef de famille entiché de Tartuffe, et de Tartuffe lui-même. Il sera intéressant de découvrir comment le problème de la présence et de l’influence de Tartuffe, infiltré et impatronisé dans cette famille, va être soulevé et lancer le conflit. D’abord, la colère d’une partisane de l’intrus, madame Pernelle, mère d’Orgon, ouvre les hostilités et permet habilement de faire les présentations. Face à elle, la coalition des opposants de Tartuffe se met en place.

I) Une exposition orageuse in media res qui ouvre le conflit par une fausse sortie

A) Une vieille dame indignée qui donne le ton de la comédie de caractère

- Dès la première réplique, madame Pernelle se détache violemment du groupe familial présent sur scène et rudoie sa servante, en faux aparté : « Allons, Flipote, allons ; que d'eux je me délivre. » Le « eux » dédaigneux englobe les présents, les fustige et les provoque.
- Cette volonté de sortir, dès l’entrée en scène, sous le prétexte de l’opprobre, est retardée par la sollicitude d’Elmire, qui retient sa belle-mère en la questionnant : « Mais, ma mère, d'où vient que vous sortez si vite ? »
- Dès lors, la réaction de madame Pernelle va révéler son caractère, ses opinions et même ses origines sociales. Elle est autoritaire et colérique, ce que traduit la défense qu’elle oppose à Elmire : « ne venez pas plus loin ». Elle se pose comme représentante bafouée de l’ordre moral : « Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée; Dans toutes mes leçons, j'y suis contrariée ; On n'y respecte rien; ». Enfin, les images populaires qu’elle emploie révèle sa condition bourgeoise : « Et c'est, tout justement, la cour du roi Pétaut ».
L’intervention de la servante Dorine, interrompue aussitôt, exacerbe la colère de la vieille dame qui va laisser éclater ses reproches. Le spectateur découvrira progressivement, en même temps que les relations qu’entretiennent les personnages entre eux, les raisons du conflit.

B) Des blâmes individuels successifs en guise de présentation générale

- Après Dorine, la servante, traitée « d’impertinente » et rappelée à sa condition de « fille suivante », les quatre personnages qui vont tenter d’intervenir seront vite réprimandés.
- Ainsi Damis « sot en trois lettres » est aussi considérée par sa grand-mère comme « un méchant garnement » qui sera source de tourment pour son père.
- Sa sœur Marianne, tout « doucette » et « discrète » mènerait « sous chape » une vilaine vie.
- Elmire est accusée d’être dépensière, coquette et de donner le mauvais exemple.
- Quant à Cléante, son frère, il est indésirable car il prêcherait de mauvaises « maximes » à cette petite société et l’entraînerait ainsi dans la mauvaise voie.
Les reproches adressés à la famille sont donc relatifs à la conduite en société et font allusion au libertinage de mœurs alors en vigueur (surtout à la cour !) qui corromprait la maisonnée. On sent bien là l’influence dans la réprobation des « messieurs de la Compagnie du Saint Sacrement » qui s’étaient institués gardiens et défenseurs de la vertu et de la piété jusqu’au sein des familles au point de les diriger et contrôler. Molière met habilement dans la bouche d’une vieille femme aigrie des propos désagréables, et plutôt vagues, visant la conduite de la jeunesse, et qui pourraient semer la zizanie au sein du groupe. On voit bien l’allusion du dramaturge au contrôle quasi policier exercé par le parti dévot qui s’en était pris aux mœurs mêmes du jeune roi Louis XIV ! L'austérité morale est ici incarnée par une vieille femme belliqueuse, très peu indulgente et encore moins aimante à l'égard de ses petits enfants !

Duel verbal entre Dorine et madame Pernelle, mise en scène de Jacques Charon 1975

II) La riposte et la coalition s’organisent face à Madame Pernelle qui défend Tartuffe

A) La mise en cause de Tartuffe met le feu aux poudres

- Damis ouvre la riposte par une allusion dans une phrase inachevée : « Votre Monsieur Tartuffe est bien heureux sans doute … ».
- Il poursuit son attaque ouvertement cette fois et sa colère éclate dans l’interjection « Quoi ! » et dans une question oratoire où Tartuffe est traité de « cagot de critique », c’est-à dire de bigot hypocrite. Les termes pour le désigner sont donc injurieux et méprisants. « Ce beau Monsieur-là » est ironique car Tartuffe est ensuite traité de « pied plat », c’est-à dire de paysan chaussé de chaussures plates, contrairement aux personnes de qualité au XVIIe siècle. Il est clairement qualifié d’usurpateur et de tyran : « Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique ». Mais surtout Damis, en employant un futur prophétique, « Il faudra que j’en vienne à quelque grand éclat », annonce qu’un drame familial se profile.
- Cependant s’engage un duel oratoire entre Dorine et Madame Pernelle. La servante au franc parler « un peu trop forte en gueule », selon les termes de Madame Pernelle, déjà s’était immiscée dans la polémique entre Damis et Madame Pernelle pour joindre ses critiques contre Tartuffe à celles du fils de la maison : « Car il contrôle tout, ce critique zélé ». Elle occupe désormais le terrain pendant les quatre répliques suivantes et fait l’historique de l’entrée de Tartuffe dans la famille : « Un gueux qui, quand il vint, n’avait pas de souliers Et dont l’habit entier valait bien six deniers » et s’indigne « qu’un inconnu céans s’impatronise » et fasse « le maître ». Mais surtout, elle voit clair dans les intentions cachées de Tartuffe qui voudrait empêcher tout divertissement et vie sociale à la maisonnée : « Je crois que de Madame il est, ma foi, jaloux ». Il faut entendre par le terme « jaloux », le sens de la convoitise amoureuse ou plutôt sexuelle, pour être net, à l’égard d’Elmire, ce que la suite de la pièce confirmera. Tartuffe veut donc isoler la famille pour mieux la contrôler et même pour séduire la maîtresse de maison !
Il est significatif que ce soit Damis qui ouvre le conflit car vu l’aveuglement de son père Orgon et de sa grand-mère, Madame Pernelle, la nouvelle génération a plus de discernement. Molière fait une fine allusion à Louis XIV qui, délivré de la tutelle pesante de sa mère, peut enfin agir contre ces messieurs de la Compagnie si prompts à le critiquer et le contrôler dans sa vie privée et publique ! Que la servante, c’est-à-dire la voix du peuple, s’en mêle et de façon vigoureuse, ne peut que déclencher l’adhésion populaire et ainsi Molière met tout le monde de son côté contre le prétendu représentant de l’ordre moral et religieux, en fait un homme pétri de désirs inavoués et inavouables.

B) La défense de Tartuffe par Madame Pernelle

- Madame Pernelle commence par faire l’éloge de Tartuffe : « C’est un homme de bien qu’il faut que l’on écoute ». La tournure présentative et emphatique (« C’est ») est catégorique et péremptoire, ne souffrant aucune remise en cause.
- Elle justifie ensuite, selon la même modalité, la direction de conscience de Tartuffe par son but spirituel : « C’est au chemin du Ciel qu’il prétend vous conduire ». Mais, surtout, elle fait pression en citant Orgon, le maître de maison, qui aime Tartuffe et qui devrait inciter la famille à en faire autant : « Et mon fils à l’aimer vous devrait tous induire ». Elle glisse imperceptiblement du respect (« homme de bien ») à l’affection qui serait, selon elle, due à Tartuffe (« l’aimer ») !
- Finalement, Madame Pernelle, perd progressivement pied et se contente d’une exclamation plutôt courte (4 syllabes) et populaire (« Voyez la langue ») avant d’appliquer le vieux principe de la défense par l’attaque : « Vous ne lui voulez mal et ne le rebutez Qu’à cause qu’il vous dit à tous vos vérités ». Néanmoins, la dernière insinuation de Dorine concernant la concupiscence de Tartuffe à l’égard d’Elmire va refaire partir de plus belle la querelle sur un autre terrain (« Je crois que de Madame il est, ma foi, jaloux »).


Il s’agit bien d’une exposition originale et mouvementée où les personnages dévoilent déjà leurs caractères et leurs conflits : la vieille femme aigrie, fanatique de Dieu et surtout de Tartuffe, les jeunes femmes douces et effacées, les jeunes hommes en révolte et la servante, fine mouche et ayant compris avant tout le monde, avec son bon sens populaire, la vraie nature et les vraies motivations de cet intrus de Tartuffe qui envoûte la vieille génération ! Des rapports de force inégaux se mettent en place à cinq contre une. Déjà le spectateur se doute qu’il va assister à la défaite du clan des dévots ! Ce qui l’intéresse alors c’est de savoir comment ! Molière a réussi à poser la question du conflit de famille et de l’imposture religieuse dans une querelle dynamique.


Voir la suite du commentaire de la scène ICI

Tous droits réservés